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Où sont les chorégraphes classiques et néo-classiques en France ?

Le 24 avril aura lieu la finale du premier concours de jeunes chorégraphes classiques et néo-classiques. L’enjeu ? Soutenir la création classique et néo-classique, particulièrement malmenée en France. Deux lauréat.e.s (sur six finalistes) pourront créer une pièce pour le Ballet de l’Opéra de Bordeaux ou le Malandain Ballet Biarritz en 2016-2017. Ces deux compagnies sont d’ailleurs réunies, avec le Ballet du Capitole de Toulouse, en un “Pôle de coopération chorégraphique” dédié à “l’esthétique de la danse classique de ses racines jusqu’à ses formes les plus actuelles“. Un engagement fort, d’autant plus qu’en France, la création néo-classique a peu de place, et se limite souvent aux chorégraphes anglo-saxons. D’où vient le fait qu’il y ait si peu de chorégraphes néo-classiques aujourd’hui en France ? Tour d’horizon avant la finale de ce concours de chorégraphes.

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Un constat amer

Pour qui cherche à cartographier la création néo-classique aujourd’hui en France, le constat est rude. Il a été à de nombreuses reprises souligné par Thierry Malandain, dans ses interviews comme dans son livre Cendrillon, Carnet de création. Le chorégraphe est l’unique directeur d’un Centre Chorégraphique National à revendiquer son héritage classique. Thierry Malandain, Kader Belarbi (directeur du Ballet du Capitole) et Charles Jude (directeur du Ballet de l’Opéra de Bordeaux) sont quasiment les seuls chorégraphes français à faire vivre la danse classique néo-classique. Les Ballets de Marseille et Lyon sont beaucoup plus orientés vers la danse contemporaine, même si le Ballet de l’Opéra de Lyon danse de temps à autre des ballets néo-classiques (avec par exemple une soirée consacrée à Roland Petit cette saison). Très ponctuellement, de jeunes chorégraphes néo-classiques français.es se produisent, lors de concours ou de festivals, mais sans grand écho. Quant aux femmes, elles sont cruellement absentes du paysage.

L’Opéra de Paris tient une place ambiguë à cet égard, liée à la centralisation de la France et aux choix de programmation des directeur.rice.s de la danse successif.ve.s. Si on a pu reprocher à Brigitte Lefèvre de négliger les grands classiques, voire la création néo-classique, au profit de la danse contemporaine, Benjamin Millepied de son côté, tout en enchaînant les créations chorégraphiques, a véhiculé l’image selon laquelle la danse néo-classique ne pouvait être dynamisée que par les chorégraphes de tradition américaine et anglo-saxonne. C’est oublier les chorégraphes russes, allemand.e.s,…, et ne pas donner leur chance aux chorégraphes français.es.

Cendrillon - Malandain Ballet Biarritz

Cendrillon – Malandain Ballet Biarritz

Des causes multiples

Mais d’où vient que la création néo-classique est si rare en France, alors qu’elle est dynamique en Angleterre, aux États-Unis, en Russie et en Allemagne notamment ? Les causes sont multiples, mêlant l’artistique à l’idéologique et au politique. La prolifération chorégraphique des années 1970 (avec Roland Petit, Maurice Béjart…) s’est brutalement essoufflée dans les années 1980. La faute entre autres à des politiques publiques valorisant, notamment sous Jack Lang, la danse contemporaine non pas seulement pour elle-même (ce qui était essentiel), mais aux dépens de la danse classique et néo-classique. Celle-ci était dans le même temps vilipendée par la presse comme étant ringarde, élitiste, creuse – reproches aussi mal fondés que destructeurs. Les danseur.se.s et chorégraphes ont aussi joué un rôle dans cette mise à l’écart de la danse (néo-)classique.

Dans un article publié par le Journal de l’Association pour la danse contemporaine en 2006, la chercheuse Florence Poudru met des mots sur ce qu’était alors devenue la danse (néo-)classique en France : une “maladie honteuse“.  Thierry Malandain de son côté parle d'”ostracisme“. Au sein de l’Opéra de Paris, quelques danseur.se.s – Kader Belarbi, José Martinez, Nicolas le Riche, Marie-Agnès Gillot, seulement des Étoiles – ont pu chorégraphier des pièces, mais sans commune mesure avec ce qui a lieu par exemple aux États-Unis ou en Allemagne. Justin Peck, par exemple, a été nommé chorégraphe résident au New York City Ballet avant ses 28 ans, alors qu’il n’était pas Principal de la compagnie. Il a les moyens de monter au moins un ballet par an pour cette troupe.

Aujourd’hui, la presse française est devenue beaucoup plus favorable à la création (néo-)classique, mais cette-dernière peine à se relever de décennies très difficiles, qui ont laissé de nombreuses traces, en termes de subventions et d’image publique. Selon Thierry Malandain, le niveau des danseur.se.s classiques lui-même a beaucoup baissé. La tâche a donc été rendue très difficile aux chorégraphes (néo-)classiques qui voudraient émerger.

Coppélia de Charles Jude (Ballet de l'Opéra de Bordeaux)

Coppélia de Charles Jude (Ballet de l’Opéra de Bordeaux)

Un pôle sud-ouest dynamique

Ces difficultés  ont conduit Kader Belarbi, Charles Jude et Thierry Malandain à se rapprocher. Les échanges sont nombreux et féconds au sein du Pôle de coopération chorégraphique qu’ils ont fondé, de la circulation des ballets à l’organisation de ce premier concours dédié aux chorégraphes (néo-)classiques. Pour Thierry Malandain, l’idée du concours est de “dire que la danse classique est un vocabulaire, qu’il n’est pas condamnable, et que l’on peut dire des choses d’aujourd’hui avec ce vocabulaire“, et surtout de soutenir les lauréat.e.s du concours. Six candidat.e.s ont été sélectionné.e.s… dont un seul danse en France. On pourrait reprocher à ce concours d’opposer trop frontalement la danse (néo-)classique aux autres types de danse, et notamment à la danse contemporaine : est-il si facile d’identifier aujourd’hui une création comme (néo-)classique ? Ce reproche s’estompe néanmoins si on considère que le critère retenu est celui de l’émergence d’un style singulier et porteur de sens à partir du vocabulaire classique, qui est lui assez clairement identifiable – ou du moins, pour les organisateurs du concours, qui devrait l’être.

Kader Belarbi, Charles Jude et Thierry Malandain sont dynamiques au sein des compagnies qu’ils dirigent. L’objectif de Kader Belarbi et de Charles Jude (dont il ne faut pas oublier qu’ils sont d’anciens danseurs de l’Opéra de Paris, signe du quasi monopole que celui-ci exerce sur la danse (néo-)classique en France), depuis qu’ils dirigent les Ballets de Toulouse et Bordeaux, est d’en enrichir le répertoire. Dans la veine de Rudolf Noureev, ils remontent de grands ballets classiques (La belle au bois dormantGiselleCoppélia), et créent leurs propres ballets, souvent narratifs. Thierry Malandain de son côté est responsable non seulement de sa compagnie, mais aussi du festival Le temps d’aimer à Biarritz, également apte à soutenir la création.

Plusieurs enjeux unissent ces chorégraphes : mieux faire connaître l’histoire de la danse (néo-)classique, si souvent oubliée, occultée, déformée – par exemple en organisant à Bordeaux en 2014 un hommage à Serge Lifar -, et montrer que le vocabulaire classique est toujours actuel.

La Reine morte de Kader Belarbi - Maria Gutiérrez (Inès) et Kazbek Akhmedyarov (Pedro)

La Reine morte de Kader Belarbi – Maria Gutiérrez (Inès) et Kazbek Akhmedyarov (Pedro)

Qu’en pensent les candidat.e.s du concours chorégraphique ?

Parmi les candidat.e.s du Concours de jeunes chorégraphes, Xenia Wiest (chorégraphe russe et danseuse au Staats Ballett Berlin) et Ricardo Amarante (chorégraphe espagnol) et danseur au Ballet Royal de Flandre, ont partagé leurs expériences.

Xenia Wiest évoque avec émotion la qualité de l’enseignement qu’elle a pu recevoir lors de ses stages effectués en France, par de grand.e.s professeur.e.s comme Christiane Vaussard, René Bon, Cyril Atanassoff ou Dominique Khalfouni. Mais elle souligne l’écart existant entre la France et l’Allemagne du point de vue de la création chorégraphique. “En Allemagne, nous avons de nombreuses compagnies, dont beaucoup ont un répertoire sur pointes”, explique-t-elle. “Dans la plupart des compagnies, il existe une ‘soirée jeunes chorégraphes’ pour donner leurs chances à la nouvelle génération et peut-être trouver de nouveaux talents. Il faut se mettre en quête des talents !“.

Ricardo Amarante insiste quant à lui sur les difficultés intrinsèques à la création en danse (néo-)classique, qui ne sont pas spécifiques à la France. “La danse contemporaine est beaucoup plus accessible, moins chère et moins élitiste. […] Il est vraiment difficile aujourd’hui de prendre des risques sans savoir si vous aurez les financements nécessaires et un retour du public.” En Belgique aussi, “la seule compagnie classique glisse rapidement vers un répertoire plus axé sur le contemporain“, notamment pour des raisons financières : un ballet requiert de nombreux.ses danseur.se.s à la très bonne technique classique, éventuellement des décors et costumes assez onéreux… Tout en soulignant qu'”un bon directeur de compagnie devrait croire en sa vision propre et investir dans les chorégraphes néoclassiques“, Ricardo Amarante reconnaît que le risque de créer une pièce démodée est beaucoup plus important qu’en danse contemporaine. Créer un ballet demande du temps, et de l’argent.

Pour lui comme pour Xenia Wiest, ce concours est une chance, un “tremplin extraordinaire pour nourrir et inspirer les directeurs de compagnie, les chorégraphes, cette forme d’art elle-même“. Rendez-vous le 24 avril à la Gare du Midi de Biarritz pour voir leurs propositions.

 

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