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Joyaux de George Balanchine – Voyage imaginaire dans l’histoire du ballet classique

Le Ballet de l’Opéra de Paris ouvre sa saison 2017-2018 avec une reprise de Joyaux de George Balanchine, du 19 septembre au 12 octobre au Palais Garnier. Un choix qui ne doit rien au hasard, le ballet fêtant cette année ses 50 ans. Oeuvre complexe, presque un ovni dans le répertoire du chorégraphe, la pièce s’inspire des trois grandes écoles de danse. Comment Émeraudes, Rubis et Diamants – les trois parties de Joyaux – sont-elles construites ? Petit explicatif de ce ballet pas comme les autres, qui va bien plus loin qu’un simple hommage aux pierres précieuses. 

Joyaux de George Balanchine

Petite histoire de Joyaux

George Balanchine créa Joyaux le 13 avril 1967, dans un théâtre qu’il avait quasiment conçu sur-mesure avec l’architecte afin de créer un  espace dédié au ballet et pensé aussi bien pour le confort des artistes sur scène que pour celui du public : le State Theater au Lincoln Center, devenu depuis le David H.Koch Theater, la scène du New York City Ballet. Cette soirée était sponsorisée par Van Cleef & Arpels, grand joaillier (ce qui déplu d’ailleurs à de nombreux habitué.e.s). Pour cette soirée particulière, le chorégraphe ne voulait pas proposer un programme de reprises. Et George Balanchine, on le sait, n’était pas fanatique des grands ballets académiques même si son style en découlait.

L’oeuvre proposée pour cette soirée fut ainsi une création, celle de Joyaux, “full length ballet” comme disent les Anglo-Saxons. Et ce fut une première. Joyaux est un ballet de deux heures sans histoire, résolument non narratif. Et qui, dans le même temps, embrasse l’histoire du ballet classique tel qu’il se déclinait dans les trois pays traversés par George Balanchine : la Russie, la France et les États Unis. Le chorégraphe déclara avoir trouvé son inspiration sur la Cinquième avenue en observant les vitrines du diamantaire (et sponsor) Van Cleef and Arpels. Les joyaux sont d’ailleurs moins une métaphore de la ballerine que ce qui permet à George Balanchine de trouver l’unité des ce ballet en trois parties, grâce aussi au talent de sa plus fidèle collaboratrice, la costumière Karinska.

Joyaux, bien que contesté à sa création par les puristes qui estimaient que le maître se dévoyait en s’écartant de la ligne purement abstraite de ses ballets noirs et blancs, fut immédiatement un succès populaire. L’œuvre trouva très vite sa place dans le répertoire de toutes les grandes compagnies mondiales. Le ballet est d’ailleurs repris un peu partout dans le monde en 2017 à l’occasion de son 50e anniversaire.

 

Émeraudes, l’école française – Plus artistique que virtuose rappelant Giselle

Trois parties pour les trois écoles de danses avec lesquelles George Balanchine était familier : voilà donc l’épine dorsale de Joyaux. Mais il ne s’agit nullement de créer chaque pièce “à la manière de…”. C’est de bout en bout un ballet balanchinien. Et ce qui fonde l’identité de chacune des trois parties, c’est d’abord la musique.

Émeraudes, qui ouvre le ballet, est ainsi dansé sur la partition de Pelléas et Mélisande et de Shylock de Gabriel Faurémusique française par excellence dinfluence romantique et postromantique. C’est la couleur que George Balanchine veut donner à ce premier tableau auquel il associe la couleur verte, celle des émeraudes. Couleur qui évoque aussi le monde des forêts, de la chasse, et que l’on peut associer à l’univers esthétique de Giselle, ballet français emblématique, avec des danseuses en jupes de tulle. Du style français, George Balanchine a retenu le pas de bourrée rapide et les épaulements  avec la tête vers le public dans un ensemble résolument lyrique et plus artistique que virtuose. Émeraudes exige des interprètes de grand talent à l’instar de Violette Verdy qui le créa.

 

Rubis, l’école américaine – Du pur Balanchine aux accents de comédie musicale

Rubis est assurément la partie la plus typée et éminemment new-yorkaise. George Balanchine raconte-là le présent de la danse néo-classique américaine avec ses influences venues de Broadway. Il choisit une partition de son ami Igor Stravinsky aux accents jazzy, Capriccio pour piano et orchestre. Ni robes, de tulle, ni tutus mais un justaucorps rouge vif pour les danseuses. Déhanchés, déséquilibres, paumes de mains fléchies, courses sur scène : voilà du pur George Balanchine, agrémenté de clin d’œil à la comédie musicale et d’une pointe de vulgarité bienvenue. La danse va vite, et c’est drôle. 

Rubis est probablement la partie la plus souvent dansée indépendamment des deux autres. Le Ballet de l’Opéra de Paris a ainsi d’abord dansé Rubis seul – appelé alors Capriccio – dès les années 1970. Ce n’est qu’en 2000 que Joyaux dans son intégralité fit son entrée au répertoire. 


 

Diamants, l’école russe – Le ballet impérial et clin d’oeil au Lac des cygnes

Diamants qui clôture la trilogie est en totale rupture avec le reste du ballet. George Balanchine revient là à ses origines, celles de Saint-Pétersbourg et du grand ballet impérial. Le choix de son compositeur favori, Piotr Illich Tchaïkovski, s’imposait tant il est lié à l’histoire du ballet académique.

Cette dernière partie est chorégraphiée sur la troisième symphonie du compositeur amputée du premier mouvement. Diamants reste le fragment le plus élaboré du ballet. Son acte blanc avec tutu à la russe, son adage et pas de deux font écho au Lac des Cygnes, et plus généralement à la grande tradition du ballet impérial qui irrigua l’œuvre de Balanchine.

 

Un rêve réussi ? 

George Balanchine, dit-on, rêvait de voir danser Joyaux par les compagnies qui l’avait inspiré. Ce ne fut pas le cas de son vivant. Mais durant l’été 2017, le Lincoln festival a presque exaucé son vœu en présentant le Ballet de l’Opéra de Paris dans Émeraudes, le New York City Ballet dans Rubis et le Bolchoï de Moscou dans Diamants (alors que cette dernière partie s’inspire plus du Mariinsky). Il n’est pas sûr pourtant que ce fut une si bonne idée. Au fond, ce qui fait la force de Joyaux 50 ans après sa création – et ce qui a fait qu’il est entré dans la catégorie des chefs-d’œuvre – c’est de voir comment chaque compagnie, chaque soliste, avec leur propre style et leur histoire, s’en emparent. Comme chaque génération aussi s’approprie le ballet. Ils et elles seront d’ailleurs nombreux.ses à danser ce ballet pour la première fois lors des représentations au Ballet de l’Opéra de Paris, ce qui fait aussi que cette nouvelle série de Joyaux s’annonce passionnante.

 

Commentaires (6)

  • https://youtu.be/Tyz80yCpN9Y

    Il me semble dans ce bel article manque encore cet exemple…

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  • joël kasow

    vous avez tout faux sur l’ouverture du new york state theater et la création de joyaux.
    le théatre s’ouvrait en 63 ou 64 pendant le world’s fair. quand joyaux a été crée en 1967 – j’y étais – ils avait peur que ce n’était pas assez long pour une soirée donc ils ont aussi donné fils prodigue, et edward villella a dansé pas seulement rubis mais aussi le fils. le 3ème mouvement de diamants entrait un peu plus tard au répertoire car, si ma mémoire est bon, jacques d’amboise n’étais pas complètement en forme. la première saison on n’a pas souvent vu cette section du ballet.
    le finale d’éméraudes a été rajouté quelques années plus tard.

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    • saumont

      Merci Joël pour votre lecture minutieuse et vos rectifications bienvenues. Je m’étais laissé aller à un fantasme balltomaniaque et vous avez raison: le State Theater a ouvert ses portes au printemps 64, 3 ans avant la création de Joyaux. My bad! Mea Culpa.
      En revanche, je ne vois rien en allant fouiller dans les archives du NYCB, du Balanchine Trust et de la Balanchine Foundation qui corroborerait que les 3 parties de Joyaux n’aient pas été créées le même soir, le 13 avril 1967. Ces 3 institutions créditent cette date pour la 1ère du ballet. IL est vrai que l’oeuvre a subi des modifications à mesure des reprises et des nouvelles distributions car Balanchine concevait ses oeuvres comme des “work in progress”. De même par la suite, il lui est arrivé d’inclure Rubies dans un programme ALL STRAVINSKY ou Diamants dans un ALL TCHAIKOVSKI. Il est même arrivé que ne soit dansé que les pas de 2 de Diamants mais je crois que les 3 parties de Joyaux ont été dansées toutes ensemble lorsqu’elle furent présentées pour la première fois.Si vous avez d’autres informations ou d’autres souvenirs, n’hésitez pas à venir les partager ici avec nous. Jean-Frédéric

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      • joël kasow

        http://balanchine.org/balanchine/display_result.jsp?id=434&current=0&sid=rubies&searchMethod=exact
        voilà ce qu’on dit dans le catalogue sur le site de balanchine foundation. ils étaient bien crées le même jour. rubies était le premier qu’on a donné tout seul, mais par d’autres compagnies. comme vous dites, pour des festivals on donnait un des trois, mais ce n’était pas souvent à new york.
        une occasion mémorable c’était diamants dansé par allegra kent et jean-pierre bonnefous, qui formait une paire électrique sur scène, aussi dans agon et bugaku. la tension érotique atteignait un niveau presque insoutenable.

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        • Jean-Frédéric Saumont

          J’imagine oui! Pour ma part, j’aime beaucoup Sara Mearns du NYCB et Ouliana Lopatkina du Mariinsky dans DIAMANTS: elles ont 2 morphologies et des styles totalement différents et pourtant l’une et l’autre restituent une émotion très forte ce qui prouve le génie de ce ballet qui permet des interprétations très variées.

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