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La nouvelle constellation du Ballet du Bolchoï

Svetlana Zakharova, David Hallberg, Evgenia Obraztsova, Semen Tchoudine, Vladislav Lantratov ou encore Ekaterina Kryssanova font briller le Ballet du Bolchoï de mille feux. Mais dans l’ombre de ces grands noms de la danse émerge timidement une nouvelle constellation d’artistes moscovites. Ils et elles ne sont pas encore honoré(e)s du titre d’étoile mais connaissent des débuts prometteurs et participent du renouvellement de la ligne artistique du Bolchoï. Lumière sur la Petite Ourse du Ballet du Bolchoï.

La voûte céleste du Bolchoï : les muses d'Apollon

La voûte céleste du Bolchoï : les muses d’Apollon

 

Olga Smirnova : l’Étoile officieuse

A peine diplômée de l’académie de ballet russe Vaganova (ndlr : prestigieuse école de danse classique fondée par Agrippina Vaganova et vivier privilégié du ballet du Mariinsky), Olga Smirnova est embauchée au Bolchoï où elle devient instantanément soliste, en 2011. Présentée comme un jeune prodige par la presse russe et internationale qui lui dédie des colonnes dithyrambiques, la jeune péterbsourgeoise interprète déjà les grands rôles du répertoire classique et néoclassique.

En 2013, à la stupéfaction générale, on lui confie la première d’Eugène Onéguine en lieu et place de Svetlana Zakharova, laquelle diva s’en retrouve vexée au point de refuser d’incarner Tatiana Larine (un rôle honorable en Russie, où Pouchkine est un écrivain hautement respecté). A bien des égards, Olga Smirnova apparaît comme l’héritière de la grande Étoile. Similitudes physiques, débuts foudroyants, engouement international précoce, aisance dans le répertoire dramatique russe sont autant de points qui rassemblent les deux vaganoviennes. Mais la benjamine se distingue par une expression faciale plus marquée, un port de bras moins lyrique et des collaborations artistiques un brin plus audacieuses. En effet, Olga Smirnova a participé à la création de La Mégère apprivoisée, de Jean-Christophe Maillot, en juillet 2014. Elle a rapidement endossé les rôles néo-classiques des ballets littéraires que l’on réserve plutôt aux danseuses mûres, comprendre ayant la bonne trentaine.

A ce jour, Olga Smirnova est soliste principale du Bolchoï, le dernier grade avant celui d’étoile. Nomination imminente à l’horizon. D’autant plus qu’elle a déjà été récompensée par de nombreux prix internationaux et qu’elle a été applaudie aux quatre coins du monde. A suivre donc. Et de très près.

Olga-Smirnova et Igor Tsvirko - Marco Spada

Olga-Smirnova et Igor Tsvirko – Marco Spada

Denis Rodkin, le corps céleste

Muscles saillants, regard enfantin. A 24 ans, le jeune talent maison de l’académie chorégraphique d’État de Moscou connaît une ascension fulgurante. Son style athlétique, dans la pure veine du Bolchoï, l’a prédisposé à incarner des personnages de caractère tels que Rothbart, Basilio, José, l’amant de Carmen.

Mais ces derniers temps, on a découvert Denis Rodkin dans les rôles principaux  des ballets du 19ème siècle. En 2014 sa carrière prend ainsi un tournant majeur. Nommé soliste principal après la tournée du Bolchoï aux Etats-Unis à laquelle il participe avec brio, il assure la première de la nouvelle saison aux côtés de Svetlana Zakharova dans le Lac des cygnes ainsi que la très attendue première de la reprise de Légende d’amour. A la croisée entre Ivan Vassiliev et Vladislav LantratovDenis Rodkine a enfin gagné l’estime de Youri Grigorovitch, le chorégraphe d’État officieux du Bolchoï. Et l’absence de David Hallberg, en convalescence longue durée suite à une blessure, représente une belle fenêtre d’opportunité pour l’artiste moscovite. Gageons que sa trajectoire le mènera au firmament.

Denis Rodkin - Légende d'amour

Denis Rodkin – Légende d’amour

 

Anastasia Stashkevitch, (à) la belle Étoile

Anastasia Stashkevitch n’est plus la plus jeune pousse du Bolchoï. Née à Saint-Pétersbourg mais formée à Moscou, elle a en effet rejoint la troupe en 2003. Elle est blonde aux yeux bleus et détonne un peu à côté de ses camarades brunes Natalia Ossipova, Anna Nikoulina et Anna Tikhomirova. La danseuse a connu une progression classique jusqu’au fameux grade de soliste principale, habituant le public à des rôles convenus. Une ombre dans La Bayadère… Cupidon dans Don Quichotte… Florine dans La Belle au bois dormant… Une mariée dans Marco Spada. Joli mais mièvre.

Soudain, en 2014, Anastasia Stashkevitch file à la vitesse de la lumière. Une Emeraude dans Joyaux, Zina dans Le Clair ruisseau, Coralie dans Les Illusions perdues, Bianca dans La Mégère apprivoisée : la ballerine déploie son potentiel dans le néo-classique pointu. A l’occasion de la tournée d’automne du Bolchoï au Japon, elle interprétera Kitri (personnage principal de Don Quichotte), un registre de caractère dans lequel elle n’était pas forcément attendue. A son retour à Moscou, elle interprétera Giselle dans le ballet éponyme. Il en faudra plus pour acquérir le titre de prima ballerina mais l’accélération de la carrière de cette gracieuse et raffinée danseuse pourrait bien la placer sur orbite.

Anastasia Stashkevitch, From the book of harmony

Anastasia Stashkevitch – From the book of harmony

 

Igor Tsvirko, la météorite

Promu premier soliste à l’aube de la saison 2014-2015 du Bolchoï, Igor Tsvirko a fait une entrée remarquée en bouffon survitaminé dans Légende d’amour. Jeune, fougueux, lui aussi formé à la moscovite (diplômé en 2007), il satisfait à tous les critères du danseur masculin estampillé Bolchoï. Fauve vif et bondissant dont l’on vante par ailleurs les qualités de comédien, il a épousé un vaste répertoire en l’espace de quelques années. On retient notamment sa sculpturale idole dorée (La Bayadère), son Basilio (Don Quichotte), son Philippe (Flammes de Paris), sa Fée Carabosse (La Belle au bois dormant) et plus récemment son Hortensio dans la très acclamée version de La Mégère apprivoisée, taillée sur mesure par Jean-Christophe Maillot.

2013 marque une année charnière pour Igor Tsvirko qui reçoit une distinction au concours international de Moscou et qui incarne le Conte Pepinelli aux côtés d’Olga Smirnova dans Marco Spada, de Pierre Lacotte. A l’évidence, Igor Tsvirko est un danseur haut en couleurs, fort d’un aplomb irradiant la scène et d’une technique flamboyante. Mais il cherche encore son registre, celui qu’il s’appropriera et dans lequel il s’épanouira durablement en tant qu’artiste.

Voir son idole dorée (La Bayadère) : 

 

Ksenia Zhiganshina, l’Étoile de la toile – 2.0

Un certain goût de la mise en scène esthétique et une aisance notable dans la communication digitale. Ksenia Zhiganshina – parfois Jiganshina –, 20 ans, diplômée de l’académie Vaganova en 2014, ne manque certes pas de talent. Primée dans de nombreux concours prestigieux, gratifiée de l’honneur de danser lors de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Sotchi, elle a interprété Cupidon (Don Quichotte) et Masha (Casse-Noisette) sur la scène du Mariinsky alors qu’elle n’était encore qu’élève. Youri Fateev, directeur artistique du théâtre, s’enflamme. Il veut l’engager directement au rang de soliste à l’issue de sa scolarité. Mais après la cérémonie des diplômes, séisme chez les balletomanes russes. La jeune coqueluche des réseaux sociaux n’obtient qu’un contrat pour le corps de ballet.

Le Bolchoï aux aguets la récupère aisément en lui offrant un statut de demi-soliste. L’ambiguïté règne. Officiellement dans le corps de ballet du Bolchoï, elle serait en réalité coryphée. En effet, en quelques mois de présence au sein du théâtre rouge et or,  elle a dansé plusieurs variations telles que la danse napolitaine du Lac des cygnes, une des deux sylphides dans La Sylphide ou encore une furie dans Les Flammes de Paris. D’aucuns perçoivent en elle la grâce juvénile d’Evgenia Obraztsova, alliée à la technique d’acier de Natalia Ossipova. En somme, un subtil mélange entre le raffinement du Mariinsky et la grandiloquence du Bolchoï. Selon la rumeur qui court à Moscou, Ksenia Zhiganshina sera l’une des paysannes et l’une des wilis de Giselle et incarnera même le personnage principal d’un ballet-féérie avant la fin de l’année. L’avenir très proche fera éclore, espérons-le, l’artiste qui sommeille dans cette jolie bulle médiatique.

La voir dans Casse-Noisette :

 

Elvina Ibraimova, l’Étoile Rousse

Frimousse solaire, chevelure rousse et danse irréprochable. Médaille d’or du concours international de Moscou en 2013, Elvina Ibraimova décroche par la même occasion le sésame pour le corps de ballet du Bolchoï. Ukrainienne et formée à l’académie chorégraphique d’État de Moscou (promotion 2013), elle remporte presque autant de prix que son homologue de l’académie Vaganova, Ksenia Zhiganshina.

Malgré son jeune âge et sa relative discrétion médiatique, elle bénéficie déjà d’une petite expérience sur la scène du Bolchoï. Après des débuts timides lors de sa première saison, elle est présente en 2014 dans Giselle, La Belle au bois dormant, Le Corsaire, Raymonda, Légende d’amour et… La Mégère apprivoisée. Il est à l’évidence trop tôt pour tirer des plans sur la comète mais les distinctions qu’elles a reçues, de même que les collaborations même modestes qu’elles a connues avec Pierre Lacotte, Youri Grigorovitch et Jean-Christophe Maillot, sont de bonne augure pour la verte interprète. Il n’appartient qu’à elle de défendre son territoire face à l’invasion de ses talentueuses comparses de Saint-Pétersbourg.

La voir sur scène : 

Qui sont les Étoiles du Bolchoï ?

Au sortir de l’URSS, le Bolchoï — symbole de l’excellence artistique soviétique — paraissait fragile. Tant au sens propre que figuré son rouge traditionnellement vif avait pâli et ses murs s’étaient fissurés, ses effectifs vidés, son répertoire s’était figé. A présent rénové, renfloué, étoffé de brillants danseurs venus de “toutes les Russies” et au-delà, le théâtre du Bolchoï semble avoir retrouvé son lustre d’antan face à son homologue pétersbourgeois tout de vert vêtu, le théâtre du Mariinsky. Ses danseuses et danseurs Étoiles de renommée internationale  sont le meilleur étendard de ce théâtre qui a su tirer profit de l’avènement de Moscou comme capitale historique, politique, économique et culturelle de Russie.

Evgenia Obraztsova et David Hallberg - Illusions perdues

Evgenia Obraztsova et David Hallberg – Illusions perdues

Constat assez surprenant pour être souligné, les stars du Bolchoï, adulées, médiatisées et distribuées, viennent très souvent d’autres berceaux. Svetlana Zakharova, native d’Ukraine, a été formée à Kiev puis à Saint-Pétersbourg, à l’académie Vaganova,  avant d’être promue danseuse étoile du Mariinsky, à seulement 18 ans. A force de persuasion, le Bolchoï a pu en faire sa tsarine de la danse en 2003. L’Américain David Hallberg, ironie de l’Histoire, a délaissé l’Ouest – l’American Ballet Theatre – pour l’Est en 2011.  Il excelle depuis dans tous les rôles qui lui sont confiés. Contrariée par les débouchés limités de son foyer natal, le Mariinsky, la fraîche et gracile Evgenia Obraztsova a été débauchée par Sergueï Filine, directeur artistique du Bolchoï, et compte parmi les étoiles les plus appréciées de la troupe. Pour citer un dernier exemple qui illustre l’attractivité du Bolchoï, le très populaire Semen Tchoudine a fait ses premiers pas de danse en Sibérie, à Novossibirsk. Il a ensuite interprété de grands rôles dans de nombreuses compagnies, de Séoul à Zurich entre autres villes, avant de poser ses ailes à Moscou. Il sera même  artiste invité de l’American Ballet Theatre à partir de 2015.

Face à cette immigration, encouragée par Sergueï Filine, les talents de l’académie chorégraphique d’État de Moscou — autrefois pouponnière de la troupe — se sentent parfois un peu à l’étroit. La sémillante Maria Alexandrova et la chevronnée Maria Allash n’ont pas la carrière d’une Zakharova. Natalia Ossipova et Ivan Vassiliev, couple phare de la nouvelle génération moscovite, ont claqué la porte du Bolchoï en 2011, ne s’y sentant pas pleinement valorisés.

La nouvelle constellation du Bolchoï  fera-t-elle la part belle aux artistes locaux ? Ici, la perspective est genrée. Du côté masculin, les astres sont favorables car les danseurs de l’académie de Moscou donnent corps à la danse virile et sportive des hommes du Bolchoï. Vladislav Lantratov, étoile, Denis Rodkine et Igor Tsvirko, solistes, tous issus du sérail, ne craignent pas la concurrence. Côté féminin par contre, l’on constate que les filles de l’académie Vaganova, créatures de l’air par excellence, sont l’objet de toutes les convoitises. Il faut dire que le style spectaculaire et héroïque du Bolchoï gagne à être enrichi  de la délicatesse désuète du ballet impérial de Saint-Pétersbourg. Les silhouettes longilignes, les visages de porcelaine et les arabesques éthérées des pétersbourgeoises correspondent aux stéréotypes de la danseuse classique.

Ivan Vassiliev – Spartacus

Aussi les danseuses moscovites sont-elles parfois noyées dans la masse. En 2014, la soliste trentenaire Anastasia Goryacheva a amorcé une discrète percée dans le répertoire romantique du Bolchoï,  pré carré des vaganoviennes. Brune aux yeux bleus avec un visage typiquement slave, elle porte à merveille les robes vaporeuses et les tutus longs de ses héroïnes d’un autre temps. Mais sa carrière ne décolle pas. Anna Nikulina, autre soliste moscovite de formation, est tout aussi asphyxiée. Distribuée dans d’innombrables rôles d’étoiles depuis plusieurs années, cette bonne élève du Bolchoï âgée de 29 ans stagne au dernier échelon. Idem pour la talentueuse Anna Tikhomirova, présentée par la communication du Bolchoï comme la compagne mignonnette d’Artem Ovcharenko (étoile). Cantonnée dans des rôles semi-principaux (Manon dans la Dame aux Camélias, Olga dans Eugène Onéguine, Gamzatti dans La Bayadère) qu’elle interprète d’ailleurs à merveille, elle a pu s’exprimer autrement dans La Mégère apprivoisée en incarnant une maîtresse de maison altière. Et c’est à peu près tout.

Des motifs économiques, politiques et artistiques viennent s’entrechoquer dans cette problématique trop nébuleuse pour être résolue. Toutefois, s’il fallait esquisser un semblant de conclusion, l’on pourrait résumer le tout  ainsi : une aspirante-étoile russe a plutôt intérêt à faire ses études de danse à l’académie Vaganova de Saint-Pétersbourg puis sa carrière au théâtre du Bolchoï de Moscou.

 

Commentaires (3)

  • Sun

    Très chouette article! Il me semble que vous oubliez Artemy Belyakov, sorti de l’académie de Moscou il y a 3 ans, déjà soliste et très régulièrement distribué dans des rôle de demi-soliste ou soliste : http://www.bolshoi.ru/persons/ballet/1469/

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  • Dhaisne

    j’adore Anna Nikulina elle est sublime dans le duo du dernier acte dans SPARTACUS

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