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Une année au LAAC – Transmission de La Bayadère et du Jeune homme et la Mort

Après avoir suivi des moments de création, place pour cet épisode de notre série Une année au LAAC à une étape si importante dans la danse classique : la transmission. Clairemarie Osta a appris aux filles la première variation de Nikiya extraite de La Baydère, tandis que Nicolas Le Riche s’est penché avec les garçons sur Le Jeune homme et la Mort de Roland Petit.

 

La Bayadère et Nikiya pour les danseuses 

Dans La Bayadère, tout le monde connaît la grande variation de Gamzatti – un classique des concours – ou la longue mort de Nikiya. Clairemarie Osta a voulu transmettre à ses élèves (les pros et les plus jeunes apprenties) une autre variation : la toute première de Nikiya, autour du feu sacré. La difficulté n’est pas forcément dans la technique, mais dans le sentiment, et ce long travail des bras et des mains si évocateur. “Cette variation est une incantation, une prière“, explique Emma, une élève pro. “Le seul moyen pour le personnage de survivre est de prier. C’est un moment très pur“. Lors de cette séance de travail de mars, les filles du LAAC n’ont plus travaillé cette variation depuis deux mois. Mais cette reprise est un peu spéciale : le piano accompagnateur a été remplacé par la flûte, avec deux élèves du flûtiste de l’Opéra de Paris Frédéric Chatoux. Et la différence se fait tout de suite sentir pour Emma : “la flute apporte  un souffle en plus, une respiration qui fait que le mouvement est encore plus intense, plus vivant. Elle apporte vraiment quelque chose de nouveau. Et techniquement, la musique aide aussi énormément“.

Les élèves passent par groupes, alternant les lignes, avant de se lancer en solo, toujours accompagnées par l’une des deux flûtistes. Clairemarie Osta insiste continuellement sur les intentions. “Tiens tout le temps la tête. Quand tu lâches la tête, tu lâches tout“, lance-t-elle à une élève. “Garance, au début, tu bouges pour bouger. Mais il me manque une vérité du geste“. Et d’encourager lors d’un deuxième passage : “là, j’y crois beaucoup plus“. L’Étoile se concentre beaucoup sur l’origine du mouvement dans ses corrections. Elle insiste sur la vibration dans le corps, explique Emma. “Le mouvement ne doit pas être un mouvement. Il doit vraiment venir du centre, de nous“. Cette profondeur est d’ailleurs ce qui est, pour elle, le plus compliqué à gérer dans cette variation de Nikiya. “Rester pur et sincère est ce qui reste le plus difficile. L’émotion est la plus compliquée à gérer dans cette variation, plus que la technique“, raconte-elle. “Il faut porter ce poids et se mettre dans le rôle sans en faire trop et en restant soi-même“.

Âgée de 21 ans, Emma est passée par le Conservatoire de Saint-Germain-en-Laye, Rick Odums ou le Centre Goubé. Une fois le bac en poche, elle n’a pas forcément su vers quelle école se diriger et s’est inscrite en histoire de l’art tout en prenant des cours open sur Paris. “Mais c’était compliqué d’avoir un vrai suivi dans ces conditions“, se souvient-elle. “Je voulais devenir danseuse, mais les choses étaient floues. Je n’ai fait que des petites écoles et je ne connaissais pas du tout le milieu. Je ne savais pas trop vers quoi me diriger“. Il y a un an et demi, Emma entend parler du LAAC qui va ouvrir ses portes. Elle tente l’audition sans trop y croire. Et la réussit. Depuis septembre 2015, elle travaille ainsi tous les jours dans ce studio Coupole du Théâtre des Champs-Élysées.Au LAAC, j’ai réappris à danser, analyse Emma. “Je me suis rendu compte que je faisais les choses de façon plus ou moins superficielle. J’ai appris à comprendre l’origine du mouvement. J’ai eu plein de déclics petit à petit“. La fin de l’année est consacrée à passer des auditions, plutôt pour des compagnies classiques européennes. “Je sais que le marché de la danse contemporaine serait plus facile pour moi. Mais j’ai besoin de me lancer le challenge de tenter des compagnies classiques pour voir comment ça se passe, même si je ne dis pas non à d’autres opportunités“. Même si l’idée de quitter le LAAC l’année prochaine la tiraille un peu. “Clairemarie Osta et Nicolas Le Riche nous apportent tellement au quotidien. Mais pourquoi les quitter ? On est tellement bien avec eux !“, lance-t-elle en riant. “Mais à un moment, la réalité revient. Il faut trouver du travail, il ne faut pas choisir la facilité. C’est normal d’aller voir ailleurs“. 

 

Le Jeune homme et la Mort pour les danseurs

Le sens de chaque geste est aussi au coeur d’une séance de travail intense autour du Jeune homme et la Mort de Roland Petit, menée par Nicolas Le Riche qui fut l’un des grands interprètes du rôle. Face au danseur, ils sont deux : Jesse et Robin. Dans le studio, en plus en réviser la chorégraphie, ils testent les chaises et les tables, accessoires indispensables de la pièce et qui doivent être solides. Robin se lance finalement le premier. Nicolas Le Riche fait d’abord démarrer la répétition dans le silence, pour “faire appel à sa musique intérieure“. L’apprenti-danseur prend place sur le banc. Le tic-tac de l’horloge du studio résonne étrangement dans ce silence, bruit d’autant plus frappant que c’est justement au tic-tac d’une montre qu’est suspendu le personnage. Nicolas Le Riche claque des mains pour jouer un bruit sur le palier, Robin se redresse sur son banc. “Tu es très en haut. Puis toute ta pensée redescend, ton corps aussi. Tu t’es encore trompé… Puis tu t’ennuies“. Le danseur invite l’élève à se créer sa propre histoire dans sa tête. “Le personnage s’ennuie… Alors ennuies-toi vraiment ! Ça doit être tout un chemin dans ta tête. Je te mets des mots pour te raconter l’histoire, à toi ensuite de te mettre les tiens“. 

Robin enchaîne. Nicolas Le Riche l’interrompt souvent, alternant réflexions sur l’interprétation et conseils purement techniques. “Ce jeté n’est pas un saut. Il est glissé et ce sont les jambes qui s’ouvrent. Comme un chat. Il n’est pas en force mais tout en velouté et virtuosité des jambes“. Si les gestes sont très précis et codifiés dans ce ballet, c’est aussi à chaque danseur de s’approprier une certaine liberté. Ainsi, lors d’un passage très rapide avec des avec des brisés-volés, Nicolas Le Riche indique des comptes, tout en précisant que “ce sont mes comptes, des comptes imaginaires. À vous de trouver les vôtres“. 

L’aspect très pragmatique de la manipulation des objets – des chaises, une table – se pose assez vite. Et les choses sont extrêmement précises, notamment sur la façon de poser les mains sur la table. “C’est d’abord ce coin, puis ce coin, puis ici, puis là. Et maintenant, rajoute du sens“. La sensation de la difficulté de travailler avec des accessoires se fait sentir dans le studio, tout comme une certaine mise en danger. Le rôle est en effet presque acrobatique quand il s’agit de danser avec la table, de faire ses tours secondes par-dessus, d’y monter en chandelle. Mais là encore, chaque intention doit être juste malgré la difficulté, pour que le personnage existe à la manière de chaque danseur.  “Ce ballet, c’est beaucoup de travail personnel“, conclut Nicolas Le Riche. “Je vous fais des propositions de départ, mais il faut que vous le fassiez vivre“.

 

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