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La rumeur des naufrages – l’Opéra de Paris et le Palais de Tokyo signent une odyssée féconde

La rumeur des naufrages est un projet entre le Palais de Tokyo et l’Opéra de Paris, présenté le 18 juin dans les espaces publics du Palais Garnier. Rapprocher le sagement turbulent Palais de Tokyo du vaguement guindé Palais Garnier, unir le temple de l’art contemporain parisien au panthéon de l’académisme classique : l’initiative s’annonçait convenue. La manifestation avait d’ailleurs été préparée dans le plus grand secret, réservée à une poignée d’invité-e-s. Circulez, y a rien à voir ? Que nenni ! Les performances déambulatoires de La rumeur des naufrages présagent l’émergence d’une nouvelle vague créative, une relève chorégraphique à l’Opéra de Paris. Retour sur un attrape-rêves déployé sous les ors de Garnier, du grand foyer à la rotonde en passant par les galeries.

La rumeur des naufrages

La rumeur des naufrages

Passé une ouverture sibylline et trompeuse, le grand foyer déploie les premiers cordages enchevêtrants d’une soirée onirique. D’inspiration greco-latine, version défilé de mode, l’enivrant In this vessel we shall be kept (Sébastien Bertaud/Ayoung Kim) entremêle chant lyrique et danse contemporaine à la manière de l’Orphée et Eurydice de Pina Bausch. Partie prenante du spectacle, le choeur masculin et féminin tisse un filet musical plaintif convoquant les sirènes d’Ulysse. Baignés dans une lumière crépusculaire, les interprètes rayonnent d’une beauté plastique qu’il serait malhonnête d’occulter.

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Les danseurs adoptent des postures statuaires de divinités mythologiques ; les danseuses sont alanguies à leurs pieds, cheveux lâchés. Puis les corps s’agitent de mouvements parfois déliés, parfois guerriers, de portés sensuels. Ils se cherchent et s’évitent, se désarticulent et se figent. Sébastien Bertaud a su magnifier l’unicité de chaque artiste. Vêtus d’un simple collant chair, Hugo Marchand, Jeremy-Loup Quer et Germain Louvet imposent des carrures et des tempéraments différents. Chez les nymphes, Roxane Stojanov subjugue par son élégance racée et son air ténébreux. Charlotte Ranson, à la joliesse d’ordinaire si lumineuse, se pare d’une froideur vénéneuse alors que Héloïse Bourdon, romantique et énigmatique, séduit par la fluidité aquatique de sa danse. Autour d’eux, si beaux, et d’elles, si belles, un mur de fascination s’érige.

In this vessel we shall be kept (Sébastien Bertaud) - Roxane Stojanov et Charlotte Ranson

In this vessel we shall be kept (Sébastien Bertaud) – Roxane Stojanov et Charlotte Ranson

Certains interludes présentent un intérêt chorégraphique moins évident mais de belles images restent. Laetitia Casta en ondine fatale récite un poème et tournoie dans les flots façon Le Parc. La mystérieuse Eve Grinztajn, forte d’une présence écrasante, électrise le balcon du grand escalier dans sa robe rouge rubis. Pendant ce temps, dans la galerie, Aurélia Bellet, Amélie Joannides et Grégory Gaillard sont tenus en captivité par un cordage marin.

Si In this vessel we shall be kept traduit les sensations qu’Ulysse a dû subir, attaché au mât de son navire, Cast Off hypnotise tel une petite boîte à musique d’antan surplombée d’une ballerine tournante. L’oeuvre très réussie, signée Myriam Kamionka et Lou Lim, agglomère sur le fond tous les mythes de l’imaginaire collectif liés à la danse classique. Les tutus courts blancs et les tiares de princesses, les pointes bien sûr, Le Lac des cygnes (mâtiné de Coppélia), le caractère contraignant, douloureux, aliénant de l’apprentissage du ballet sont autant de stéréotypes qui fondent la représentation.

Cast off (Myriam Kamionka)

Cast off (Myriam Kamionka)

Sur la forme, Cast Off emprunte résolument aux codes de notre siècle. Musique électro, scénographie moderne (un modèle déguisé en danseuse est plâtré en direct au centre de la pièce), et vocabulaire chorégraphique néoclassique actualisent le propos avec autant de goût que d’intelligence. Camille de Bellefon, Marion de Charnacé, Caroline Osmont et Laure-Adélaïde Boucaud donnent vie à quatre petits cygnes coppéliens ensorcelants dont on suit la naissance, le conditionnement et la mort en tant que ballerines. Gisant sur le sol et secouées de spasmes, les jambes liées par un bandage qu’elles se sont elles-mêmes infligé, les danseuses offrent au public des images saisissantes.

Cast Off

Cast Off

L’éclectisme de ces rêveries marines et poétiques ouvre peut-être une nouvelle ère de créativité à l’Opéra de Paris, alliant esthétique et propos, fond et forme, chorégraphique et lyrique ; une complémentarité qui devenait prégnante ces derniers temps. Une certaine relève est assurément là… En espérant que les oeuvres les plus captivantes de la soirée ne fassent pas naufrage dans les profondeurs du répertoire profus de l’institution. In this vessel we shall be kept et Cast Off s’évanouiraient, comme des rêves, ce qui priverait un public plus large d’une grande beauté.

La rumeur des naufrages par l’Académie chorégraphique de l’Opéra de Paris et le laboratoire de création du Palais de Tokyo au Palais Garnier. In this vessel we shall be kept de Sébastien Bertaud/Ayoung Kim avec Héloïse Bourdon, Charlotte Ranson, Roxane Stojanov, Hugo Marchand, Germain Louvet et Jérémy-Loup Quer. Voix d’eau de Sébastien Bertaud, Laetitia Casta et Ange Leccia, avec Sébastien Bertaud et Laetitia Casta. UC-98 RGB de Nicolas Paulet Hoël Duret, avec Juliette Hilaire et Adrien CouvezScriptych d’Ollie Palmer et Simon Valastro, avec Eve Grinzstajn et Mathieu Contat. Cast Off de Myriam Kamionka et Lou Lim, avec Laure-Adelaïde Boucaud, Marion de Charnacé, Camille de Bellefon et Caroline Osmont. Cet obscur palais du désir de Bruno Bouché et Agathe Poupeney, avec Aurélia Bellet, Amélia Joannides et Grégory Gaillard.

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