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La Fille mal gardée – Myriam Ould-Braham et Josua Hoffalt

La Fille mal gardée de Frederick Ashton est un peu pour le ballet ce qu’est un feel-good movie au cinéma : l’on connait l’histoire par coeur, ce n’est pas compliqué à comprendre, ça se termine toujours bien. Surtout cela donne le sourire aux lèvres, c’est un bonheur à regarder et cela claque comme des bulles de champagne un soir d’été.  Le charme n’a pas faibli pour cette reprise 2015 par le Ballet de l’Opéra de Paris. Le ballet est toujours aussi charmant et la troupe prend un évident plaisir à danser cette pastorale (ambiance pique-nique à la campagne, très accordé au temps). Cerise sur le gâteau, le couple de la première, Myriam Ould-Braham et Josua Hoffalt, était joli comme un coeur et tout ce qu’il y de plus adorable.

La Fille mal gardée - Josua Hoffalt et Myriam Ould-Braham

La Fille mal gardée – Josua Hoffalt et Myriam Ould-Braham

L’argument de La Fille mal gardée tient en quelques lignes : Lise veut épouser Colas, un jeune homme malin et désargenté. Mais sa mère veut la marier au fils pas très dégourdi d’un riche marchand. L’amour triomphe à la fin, forcément. Le tout dans un décor de partie de campagne fantasmée, de poules géantes, de danses traditionnelles et de numéros de claquettes (rien que ça). Naïf, La Fille mal gardée ? Jamais ! Le ballet est plein d’esprit, de fraîcheur, d’humour décalé (Frederick Ashton n’est pas british pour rien) et d’une chorégraphie riche de multiples influences. Les enfants y voient un joli conte, les adultes un ballet charmant qui respire la bonne humeur et fait rire irrésistiblement.

La Fille mal gardée tient une place spéciale dans l’histoire de la danse : c’est l’un des premiers ballets-pantomime (créé en 1789). Pour la première fois, la danse ne sert pas qu’à faire joli, elle raconte aussi une histoire. Mieux, elle raconte notre histoire, pas celles des dieux et des déesses, mais de jeunes gens amoureux. Frederick Ashton n’a gardé que peu de pantomime, si ce n’est la très jolie scène où Lise s’imagine mariée et maman (très facilement compréhensible du reste). Mais les personnages très marqués savent délicieusement raconter l’histoire. L’empathie du public ne peut être qu’immédiate face aux héros et héroïnes. C’est d’ailleurs le principe du feel-good movie : une histoire toute simple, où les personnages sont si attachants que l’on ne peut avoir que l’envie de s’y intéresser.

La Fille mal gardée - Aurélien Houette et Myriam Ould-Braham

La Fille mal gardée – Aurélien Houette et Myriam Ould-Braham

La frontière entre un ballet naïf et un ballet charmant est d’ailleurs très fine. Elle tient ici beaucoup à l’humour. Le rideau se lève sur une toile champêtre, qui pourrait être dessinée par un élève de CM2. Comment ne pas sombrer dans le gnangnan ? Par des poules géantes qui ouvrent le bal en se dandinant par exemple. Par la caricature de la Mère Simone, maman cupide mais qui au fond ne veut que le bien de sa fille. Par un poney qui tire la carriole et laisse soigneusement son crottin derrière lui (toute l’astuce est de le ramasser l’air de rien, le rôle d’un palefrenier qui arrive tout naturellement sur scène avec sa balayette  et son sceau. Un clin d’oeil, mais aussi une façon de brouiller les pistes entre la scène et le public). Le ballet prend aussi de l’esprit par ses interprètes, leur naturel, leur façon de coller à leur personnage sans jouer les petits enfants.

Myriam Ould-Braham joue avec un charme évident dans ce registre. Malicieuse, elle apporte toute une subtilité au rôle de la jeune fille en fleurs. Surtout, la danseuse paraît complètement libérée en scène. Alors que le stress pouvait souvent être visible chez elle avant son absence, la voici radieuse, sautant plus haut, silhouette plus féminine, dansant plus large. Et toujours cette finesse du travail du bas de jambe, ce haut du corps si mobile et poétique. La ballerine connaît ce rôle sous le boutsdoigts, et ne s’en lasse visiblement pas.

La Fille mal gardée - Myriam Ould-Braham

La Fille mal gardée – Myriam Ould-Braham

Josua Hoffalt est un partenaire idéal. Danseur brillant, il donne à Colas une bonhomie rafraîchissante, à la fois malin et amoureux, joueur et un poil dragueur. Les deux Étoiles forment un couple irrésistiblement charmant (“charmant”, le mot-clé de cette représentation décidément). Ils ont 30 ans dans leur biographie, ont à peine l’air d’en avoir 20 sur scène et comme le visage tout juste sorti de l’École de Danse. Ce qui n’empêche pas leur danse d’être virtuose et maîtrisée. Josua Hoffalt montre tout le brio du rôle de Colas avec des variations enlevées et rapides. Myriam Ould-Braham détricote la chorégraphie aux multiples influences. Le travail du bas de jambe rappelle l’école française. Certaines de ses poses finales font penser à La Sylphide, prémisse du romantisme. Des fouettés XIXe Lacdescygiens ou Donquichottiens se glissent dans ses variations. Un long équilibre attitude laisse un clin d’oeil à Aurore. Le tout lié par les rubans de satin, accessoire liant les deux amoureux rappelant que ce monde paysan est bien fantasmé (le ruban de satin était un accessoire de luxe en 1789).

Le plaisir de ce ballet vient aussi de ses caricatures. En premier lieu dans cette distribution, Simon Valastro, qui interprète génialement (et depuis l’entrée au répertoire du ballet en 2007) le rôle d’Alain. Il serait facile d’en faire l’idiot du village. Le danseur en fait un poète dans son monde, pas du tout fabriqué pour la vie en société, à la fois lunaire, drôle, et terriblement touchant. Car Alain comprend qu’il n’est pas fait pour connaître l’amour. Et son regard suppliant, demandant au public qui veut bien l’épouser, tire les larmes de n’importe quel coeur de pierre (et floute encore une fois la frontière scène-public). Aurélien Houette interprète une Mère Simone haute en couleurs, sans toutefois atteindre l’outrance et la douce folie de Stéphane Phavorin. La clog dance, numéro de claquettes avant l’heure, n’en reste pas moins irrésistible, même si pas encore bien calée musicalement. L’orchestre a aussi été volage, et les pupitres ont comme eu l’envie de partir sur des tempi différents à plusieurs attaques.

La Fille mal gardée - Simon Valastro

La Fille mal gardée – Simon Valastro

N’en reste pas moins une belle unité sur scène. C’est en fait ce qui frappe à chaque reprise de ce ballet, combien la troupe parisienne y semble à l’aise et détendue, soudée en scène. Bien sûr, ils dansent à la française, et les paysan-ne-s ont surtout l’allure d’aristocrates. Mais est-ce si éloigné de la version originale de La Fille mal gardée Et c’est aussi ce mélange qui donne toute la saveur à ce ballet : un esprit français, un humour anglais, une danse aux multiples influences. Cette version de Frederick Ashton connaît d’ailleurs un joli succès un peu partout dans le monde, comme si chacun-e y retrouvait dans ses scènes toutes simples un peu de sa culture et de son passé collectif.

La Fille mal gardée - Josua Hoffalt

La Fille mal gardée – Josua Hoffalt

 

La Fille mal gardée de Frederick Ashton, par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier. Avec Myriam Ould-Braham (Lise), Josua Hoffalt (Colas), Aurélien Houette (Mère Simone), Simon Valastro (Alain),  Alexis Saramite (Thomas) et Antonin Monié (Un danseur de flûte). Lundi 29 juin 2015.

 

Commentaires (2)

  • alena

    Eh bien! j’ai vu ce charmant couple le 6. Du moins l’ai-je vu une partie du premier acte, car Myriam OUld-Braham, suite à eu une réception malheureuse, s’est blessée, a continué de danser une longue partie du Ier, puis a subitement laissé sa place à Eléonore Guérineau qui a relevé la défi avec brio. Grande technique, portés relativement assurés pour deux danseurs qui n’auront jamais dansé ensemble avant! Chapeau!
    Et puis Alain, Simon Valastro, lui aussi blessé, a dû céder le IIème acte à Daniel Stokes. Si Daniel Stokes n’était peut-être pas au mieux de son mental pour cette reprise inattendue, il faut reconnaître un contraste énorme entre son personnage assez fade et celui si subtil, si comedia dell’arte de Valastro. Coup de cœur pour lui!

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