TOP

Les Étés de la danse – Retour en forme de l’Alvin Ailey American Dance Theater

L’Alvin Ailey American Dance Theater est confronté en ce début du XXIe siècle à un problème récurrent des compagnies créées dans les années 1970-1980 : le renouvellement de son répertoire. La troupe a été fondée par Alvin Ailey, a surtout dansé ses pièces pendant un long moment. Et comment s’orienter lorsque son créateur disparaît, vers quelle nouvelle chorégraphie aller ? Habitué des Étés de la Danse, l’Alvin Ailey American Dance Theater avait présenté, lors de sa dernière visite en 2012, beaucoup de ballets récents, très lisses, dont le but principal semblait d’être appréciés par le plus grand nombre et sans véritable identité. Pour son retour en 2015, en tout cas pour sa première, la troupe a choisi un programme composé de quatre pièces fortes, dont trois faisant référence aux profondes racines afro-américaines de la troupe. Un choix judicieux qui ne mettait que mieux en valeur ses formidables interprètes.

Four-Corners

Four Corners de Ronald K.Brown

Car la culture afro-américaine est ce qui a fondé l’Alvin Ailey American Dance Theater. Alvin Ailey a revendiqué ses racines dans ses ballets, a créé sa troupe pour faire danser des danseurs et danseuses noir-e-s, a assumé cette appartenance dans sa démarche artistique. Encore aujourd’hui, tous ses interprètes sont afro-américain-e-s (à deux ou trois exceptions). Lift d’Aszure Barton et Four Corners de Ronald K.Brown, deux pièces proposées pour l’ouverture 2015 des Étés de la Danse, renouvèlent cette esprit avec justesse. Créées en 2013, ces deux pièces s’ancrent dans l’origine afro-américaine de la troupe, tout en s’inspirant des interprètes d’aujourd’hui.

Lift d’Aszure Barton met ainsi merveilleusement en valeur la technique multiforme des interprètes d’Alvin Ailey. Les jambes sont danse classique, le haut du corps est hip hop. Le tout est mélangé à des danses africaines venues des longs siècles passées, pour une danse unique et formidablement vivante. Les danseurs et danseuses sont au coeur de la pièce, Aszure Barton leur a ciselé des ensembles et duos selon ceux et celles qu’elle avait en face d’elle.

Lift d'Aszure Barton

Lift d’Aszure Barton

Four Corners de Ronald K.Brown se veut comme une longue prière, qui trouve petit à petit sa clarté. La danse est plus convenue, avec une chorégraphe néo-classique certes dynamique mais pas aussi surprenante que la première pièce. Le ballet permet néanmoins de faire briller ses interprètes, notamment masculins, montrant l’étendue de leur technique toujours portée par un charisme et un feu sacré qui ne faiblit pas.

Revelations, le tube d’Alvin Ailey, ne pouvait que terminer ce programme. Ballet-signature du chorégraphe, il est inspiré de negro spirituals et des souvenirs d’enfance du chorégraphe au Texas. Le final, entre longues robes à volants du sud et show à l’américaine, provoque toujours l’enthousiasme du public. Ce sont néanmoins les premières scènes, plus sobres, qui saisissent et captivent. Le rideau s’ouvre ainsi sur un groupe d’interprètes, lançant une longue prière (païenne ou non, le langage y est assez universel pour ça). Ils forment comme un long oiseau, joignant leurs mains dans un appel ardent, Chacun-e sur scène porté-e par une flamme intérieure incandescente. Le très beau duo Fix me, Jesus ou le long solo I Wanna be ready sont aussi empreints de cette spiritualité,  jamais affectée ou surjouée, donnant toute sa profondeur aux souvenirs du chorégraphe.

Revelations d'Alvin Ailey

Revelations d’Alvin Ailey

Au milieu de ce programme s’est glissé After the Rain de Christopher Wheeldon. Passage quasiment obligé d’un gala international, il s’agit souvent d’un duo sirupeux et esthétisant passablement ennuyeux. Les deux interprètes du soir en ont fait tout autre chose. Peut-être parce qu’ils se sont présentés en scène comme deux êtres humains plus que comme deux danseurs. Linda Celeste Sims est ainsi à peine maquillée, cheveux lâchés, sans pointe, un simple justaucorps rose montrant un corps aux imperfections des canons de la danse. Le duo ne cherchait pas les lignes parfaites, mais la complicité, l’entente, le partage. La chorégraphie a retrouvé sa simplicité pour devenir un moment suspendu et très beau.

Un spectacle de l’Alvin Ailey American Dance Theater, c’est aussi toute une ambiance. Le public parisien adore visiblement la troupe (qui le lui rend bien) en le montrant assez audiblement. Cris, applaudissement et grand “Ouaiiiiii” ont ponctué la soirée. Première représentation, première standing-ovation à la fin de Revelations. La troupe en profite pour un petit bis, reprenant le final en y mêlant des improvisations. Le public est resté debout, tapant des mains, ambiance Zénith de Paris, pour finir dans une acclamation joyeuse et tonitruante. De mémoire, je n’avais pas vu une telle ambiance dans une salle de danse depuis le Don Quichotte du Bolchoï au Palais Garnier avec Natalia Ossipova et Ivan Vassiliev. Un bon présage pour la tournée parisienne de l’Alvin Ailey American Dance Theater, qui continue jusqu’au 1er août.

After-the-Rain_Linda-Celeste-Sims_Glenn-Allen-Sims

After the Rain de Christopher Wheeldon – Linda Celeste Sims et Glenn Allen Sims

 

L’Alvin Ailey American Dance Theater au Théâtre du Châtelet, dans le cadre des Étés de la Danse. 

Lift d’Aszure Barton, avec Jamar Roberts, Daniel Harder, Renaldo Maurice, Matthew Rushing, Antonio Douthit-Boyd, Kirven Douthit-Boyd, Yannick Lebrun, Marcus Jarrell Willis, Vernard J. Gilmore, Jeroboam Bozeman, Samuel Lee Roberts, Glenn Allen Sims, Akua Noni Parker, Rachael McLaren, Belen Pereyra, Demetia Hopkins-Greene, Hope Boykin, Jacqueline Green et Ghrai DeVore.

After the Rain de Christopher Wheeldon, avec Linda Celeste Sims et Glenn Allen Sims. 

Four Corners de Ronald K.Brown, avec Rachael McLaren, Demetia Hopkins-Greene, Jamar Roberts, Antonio Douthit-Boyd, Akua Noni Parker, Sarah Daley, Ghrai DeVore, Fana Tesfagiorgis, Yannick Lebrun, Vernard J. Gilmore et Jeroboam Bozeman.

Revelations d’Alvin Ailey, avec Marcus Jarrell Willis, Hope Boykin et Demetia Hopkins-Greene (Didn’t My Lord Deliver Daniel), Linda Celeste Sims et Glenn Allen Sims (Fix Me, Jesus), Michael Francis McBride, Megan Jakel, Michael Jackson, Jr. et Marcus Jarrell Willis (Processional/Honor, Honor), Rachael McLaren, Mathew Rushing, Jacqueline Green (Wade in the Water), Antonio Douthit-Boyd (I Wanna Be Ready), Jamar Roberts, Yannick Lebrun et Kirven Douthit-Boyd (Sinner Man).

Mardi 7 juillet 2015.

 

Poster un commentaire