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Cinq créations mondiales au New York City Ballet

Quelle compagnie pourrait proposer pas moins de cinq créations mondiales en une seule soirée ? C’est au New York City Ballet et nulle part ailleurs. Le programme s’intitule Chorégraphes du 21ème siècle comme pour rappeler que tous ces artistes s’inscrivent dans la modernité, tout en interrogeant l’art du ballet néo-classique dont le NYCB est le temple incontesté.

Jeux de Kim Brandstrup - Sterling Hyltin et Amar Ramasar

Jeux de Kim Brandstrup – Sterling Hyltin et Amar Ramasar

Quatre de ces cinq chorégraphes ont moins de 30 ans et ont en commun d’avoir développé leur savoir-faire dans le monde anglo-saxon : Justin Peck (28 ans) et Troy Schumacher (28 ans) au NYCB où ils dansent toujours, Myles Thatcher ( 24 ans) au San Francisco Ballet et Robert Binet (23 ans) venu du Ballet National du Canada. Tous les quatre ont eu des itinéraires bien différents, mais à voir leurs créations sur scène, tous questionnent les présupposés de l’art du ballet, notamment en s’exonérant de la symétrie hommes/femmes et en jouant constamment avec la question du genre. Jamais on n’aura vu autant de pas de deux femme/ femme ou homme/homme, avec un bonheur inégal mais sans jamais verser dans la vulgarité.

Polaris de Myles Thatcher sur une musique de William Walton ouvre le programme. Cette pièce pour trois danseuses et cinq danseurs déploie une série de duos autour de Tiler Peck,  qui passe d’un danseur ou d’une danseuse à l’autre pour composer un tableau dont la solitude semble la matrice. Ses partenaires ne sont en fait que de merveilleux outils pour développer sa danse, fluide comme toujours. Tyler Peck, impeccable, joue un personnage détaché et éthéré. L’ensemble, magnifié par les costumes du créateur Zuhair Murad est fort plaisant tout en  laissant comme un goût de trop peu : 13 minutes, c’est fort court. Mais Myles Thatcher, repéré par Alexeï Ratmansky qui est aujourd’hui son mentor, est un chorégraphe à suivre dans la galaxie nord-américaine.

Polaris

Polaris de Myles Thatcher

Le canadien Robert Binet a choisi une musique française, extraite de Miroirs de Maurice Ravel, pour sa pièce The Blue of Distance. Le ballet s’affranchit aussi de la symétrie pour mettre sur scène quatre danseurs et trois danseuses, ou plus justement trois couples et un danseur, Harrison Ball du corps de ballet. Durant les 14 minutes, il s’immisce dans les pas de deux, changeant constamment de partenaires pour finalement s’exposer en solo avec une danse tout en finesse et d’une extrême musicalité, ce talent que partage la plupart des artistes du NYCB.

Troy Schumacher n’est pas un inconnu pour le public du New York City Ballet où il danse depuis 10 ans, et Common Ground est la 2ème pièce qu’il chorégraphie pour la compagnie. Son directeur, Peter Martins a même commandité une partition originale confiée au compositeur américain Ellis Ludwig-Leone.

Common Ground de Troy Schumacher

Common Ground de Troy Schumacher

Après les tempos relativement lents des pièces précédentes, Troy Schumacher construit sa chorégraphie à un rythme échevelé comptant sur l’énergie des trois danseuses et quatre danseurs pour développer une série de pas de deux et de solos truffés de sauts, de jetés et d’arabesques comme pour prouver qu’il maitrise à merveille ce vocabulaire classique. Le résultat est flamboyant : Ashley Laracey et Amar Ramasar offrent dans leur pas de deux une danse électrique comme au bord de la chute alors que Teresa Reichlen et Anthony Huxley animent chacun à un bout de la scène des solos amples et expressifs. L’ensemble est pimenté par des costumes hauts en couleur réalisés par les britanniques Marta Marques et Paulo Almeida. C’est en effet une tradition de la saison d’automne du NYCB : des créateurs de mode sont invités à réaliser les costumes pour les premières de la compagnie. Le risque serait grand de teinter la danse d’un tampon “fashion week” qui éclipserait la chorégraphie.

Ce danger est d’ailleurs à peine évité dans la dernière pièce de cette première partie. New Blood, sur la musique pour piano et cordes de Steve Reich, est le dernier opus du chorégraphe en résidence du NYCB Justin Peck. Il n’est déjà plus une star montante mais un chorégraphe confirmé, adoubé par le maître William Forsythe qui voit en lui l’héritier de George Balanchine.

New Blood- Britanny Pollack et Peter Walker.

New Blood de Justin Peck – Britanny Pollack et Peter Walker.

Du fondateur du NYCB, Justin Peck a hérité d’un extraordinaire talent pour composer sur scène des ensembles à la fois complexes et d’une grande fluidité. New Blood, construit pour six danseuses et sept danseurs, tous et toutes excellent-e-s, flirte aussi avec l’asymétrie. Les duos explorent toute la palette des pas classiques dans un enchainement inventif et virtuose. Mais la musicalité reste l’atout majeur de Justin Peck : il sait choisir une partition et en faire entendre sur scène toutes les phrases et les nuances. Tout cela va très vite dans la manière du NYCB : les danseuses et les danseurs ont un plaisir évident à montrer leur technique acérée avec un brin de crânerie et de saine émulation.

C’est joyeux et récréatif, mais les costumes intrigants d’Humberto Leon, directeur artistique de la maison Kenzo, ont tendance à détourner l’attention du spectateur : les justaucorps échancrés et faussement déchirés dans des couleurs chair, grise et pastel sont en soi superbes, mais impriment une trop forte personnalité. Un costume doit servir une chorégraphie et ne pas l’éclipser, et surtout cacher les danseuses et les danseurs que le public a bien du mal à reconnaître. La chorégraphie de Justin Peck n’a nullement besoin de cela et le propos gagnerait en clarté avec des costumes plus sobres.

New Blood- Georgina Pazcoguin et Meagan Mann

New Blood de Justin Peck – Georgina Pazcoguin et Meagan Mann

Ces quatre pièces ont été judicieusement regroupées dans une première partie : elles dialoguent involontairement entre elles et peuvent se voir comme une longue phrase chorégraphique avec une indéniable unité de style.

Il en va bien  autrement  avec la pièce du danois Kim Brandstrup (58 ans) qui a fait l’essentiel de sa carrière en Grande-Bretagne où il a chorégraphié entre autres pour le Royal Ballet. Jeux, sur la musique de Claude Debussy, déploie une toute autre ambition. Kim Brandstrup s’empare de la partition créée pour Nijinski en 1913 et reprend dans sa note d’intention le thème du ménage à trois développé dans le ballet original où les protagonistes découvrent à la faveur d’une partie de tennis les ambiguïtés des sens.

Jeux de Kim Brandstrup n’est pas en soi un ballet narratif, mais le chorégraphe induit une trame autour du couple et de ses infidélités avec Sara Mearns pour personnage central. Elle y déploie son art dramatique et incarne à merveille la femme bafouée, trompée et finalement séduite par un autre, Adrian Danchig-Warig. La scénographie et les costumes imposent une atmosphère sombre et inquiétante. Marc Happel, le chef costumier du NYCB a dessiné des robes sobres et élégantes pour les danseuses et des complets veston/chemise/cravate pour les danseurs. L’idée est de nous extraire du monde du ballet et de nous emmener vers celui du théâtre dansé. Il y parvient sans toutefois exploiter toutes les nuances de la partition de Claude Debussy. Au fond, le propos semble se résumer à une classique infidélité du couple. D’une certaine manière, l’œuvre originale de Nijinski créée il y a plus de 100 ans, avait un propos plus radical sur le couple et la question du genre.

Jeux- Sara Mearns

Jeux de Kim Brandstrup – Sara Mearns

Mais cette soirée montre l’insolente santé du New York City Ballet : les danseurs et danseuses, Principals, solistes ou artistes du corps de ballet sont distribués dans différentes pièces et passent sans encombres et à la vitesse de l’éclair de l’univers d’un chorégraphe à celui d’un autre, ce qui n’empêchera pas de les retrouver le lendemain interpréter les pièces du répertoire. C’est en soi époustouflant. C’est ce qui fait que le NYCB est unique et tient son rang parmi les plus grandes compagnies mondiales. Un regret toutefois: l’univers des chorégraphes choisis par Peter Martins est exclusivement masculin. Il serait temps de dénicher de nouveaux talents féminins !

The Blue of Distance-Preston Chamblee et Rebecca Krohn

The Blue of Distance de Robert Binet -Preston Chamblee et Rebecca Krohn

 

Soirée 21st Century Choreographers par le New York City Ballet au David H. Koch Theater. Polaris, chorégraphie de Myles Thatcher avecT yler Peck, Graig Hall, Emilie Gerrity, Ashly Isaacs, Daniel Applebaum, Ghaleb Kayali, Andrew Scordato et Taylor Stanley ; The Blue of Distance de Robert Binet avec Sterling Hyltin, Rebecca Krohn, Sara Mearns, Tyler Angle, Harrison Ball, Antonio Carmena et Preston Chamblee ; Common Ground de Troy Schumacher avec Ashley Laracey, Alexa Maxwell, Teresa Reichlen, Joseph Gordon, Anthony Huxley, Russel Janzen et Amar Ramasar ; New Blood de Justin Peck avec Peter Walker, Brittany Pollack, Taylor Stancey, David Prottas, Kristen Segin, Claire Kretzschmar, Lauren king, Daniel Applebaum, Andrew Veyette, Meagan Mann, Georgina Pazcoguin, Ashley Bouder et Adrian Danchig-Waring ; Jeux de Kim Brandstrup avec Sterling Hyltin, Sara Mearns, Adrian Danchig-Waring et Amar Ramasar. Jeudi 8 octobre 2015.

 

Commentaires (5)

  • Laetitia

    Merci pour cette belle chronique ! C’est génial d’avoir des aperçus de ce qui se passe à New York !

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  • Merci de vos encouragements. Le New York City Ballet est en fait dans un période faste. Vous pourrez vous en rendre compte cet été au Chatelet. Parfait timing pour cette tournée

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  • pirouette24

    Merci pour cet article, c’est super d’avoir des revues d’autres compagnies que celles en France; je trouve osé le pari du NYCB avec ces jeunes chorégraphes mais très excitant ! Peut être découvriront ils le prochain Forsythe 😉 de cette compagnie je connais surtout Sara Mearns et Ashley Bouder,j’aimerai pouvoir découvrir leurs autres solistes.

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  • La troupe est très en forme et si vous êtes à Paris en juillet, vous aurez l’occasion de le découvrir. Sara Mearns et Ashley Bouder sont de superbes danseuses mais toutes sont en fait passionnantes: Teresa Reichlen par exemple, le physique le plus “classique” qui soit ou encore Tiler Peck ou Sterling Hyltin. Le niveau est impressionnant. Idem chez les les garçons: ne manquez pas le soliste Russel Janzen qui sera très probablement le prochain ” principal”: il en a déjà le niveau eut le charisme.

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  • pirouette24

    Merci Jean Fréderic pour votre réponse qui me donne encore plus envie de découvrir cette compagnie; cependant je dois avouer qu’il faut toujours à mon œil un temps d’adaptation quand je regarde des danseurs new-yorkais danser: les critères “classiques” me semblent être très différents d’en France et en Europe en général et me saute aux yeux certaines choses telles que leur mains très “écartées” ,leur physique moins longiligne…avant de me faire emporter par leur énergie et leur musicalité 😀 (mais par exemple j’ai détesté le cygne blanc de Sara Mearns alors que je l’ai adoré dans Sérénade…)

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