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Trois “Grande Fugue” par le Ballet de l’Opéra de Lyon

Le Ballet de l’Opéra de Lyon propose en cette fin d’année un programme autour de la Grande Fugue de Beethoven. Une même oeuvre musicale, mais trois visions des choses, trois pièces signées Lucinda Childs (une création), Anne Teresa de Keersmaeker et Maguy Marin. Soit trois des plus grandes chorégraphes de la fin du XXe siècle. Une équation qui donne une soirée passionnante, tant ces trois chorégraphes empruntent des pistes différentes de cette Grande Fugue, qui semble pouvoir être revisitée à l’infini. Les trois chorégraphes, profondément à l’écoute de la musique, avaient d’ailleurs choisi trois enregistrements différents (respectivement l’Orchestre de cordes des musiciens de l’Opéra de Lyon, le Quatuor Debussy et Il quartetto italiano). 

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Grande Fugue de Lucinda Childs

Honneur à la création, c’est Lucinda Childs qui ouvre la soirée. La chorégraphe y fait ce qu’elle sait faire : une exploration abstraite de la musique grâce à une phrase chorégraphique en répétition, avec de subtils changements à chaque fois. Phrase que les danseurs et danseuses utilisent pour se mouvoir dans l’espace de façon géométrique. Le langage utilisé surprend d’abord par son académisme : fouetté arabesque, pointée en dehors, sissonne… La chorégraphe s’est inspirée de la technique des interprètes du Ballet de l’Opéra de Lyon. La danse est pure, le geste est pur, tout comme le décor d’un beau gris bleuté, et une lumière qui joue avec une maison ciselée comme de la dentelle. 

La danse de Lucinda Childs marche par une sorte de fascination. Il ne faut pas y chercher quelque chose qui s’y passe, il ne faut pas attendre qu’il s’y passe quelque chose. Il faut se laisser porter par cette géométrie profonde de l’espace de la scène, par cette danse presque mathématique. Les danseurs et danseuses, qui n’en sont pas à leur première expérience avec Lucinda Childs, ont complètement absorbé cette façon de danser. Même si le choix des pas, renforcé par les académiques servant de costumes, appellerait parfois des lignes plus marquées par la danse classique (le Ballet de l’Opéra de Lyon est avant tout une excellente troupe contemporaine). L’envie vient de voir cette Grande Fugue par une troupe plus académique se fait sentir. Mais une troupe plus classique aurait-elle cette facilité à se fondre dans cette danse abstraite et à l’habiter entièrement ? Pas si sûr. La cohérence de l’ensemble, marqué par un très beau final, l’emporte toutefois. Même si la pièce berce joliment plus qu’elle n’enthousiasme. 

Die Grosse Fugue d'Anne Teresa de Keersmaeker

Die Grosse Fugue d’Anne Teresa de Keersmaeker

Le choc avec la version d’Anne Teresa de Keersmaeker n’en est que plus fort. Sur scène, huit danseurs et danseuses androgynes, tous habillé.e.s d’une chemise blanche et d’un costard noir. La danseuse commence une phrase musicale. Tout comme la musique en fugue, cette phrase se développe, en croise une deuxième, se mélange à une troisième tout en gardant sa ferme direction. Le geste s’envole, se tord, se vrille, se roule au sol avant de repartir, à l’image de la musique qui n’aime pas reprendre son souffle. Petit à petit, les costumes tombent, les corps apparaissent, sans toutefois tomber dans une sexualisation des rôles. Le groupe s’étreint aussi vite qu’il se disperse, part en vrille, se fait un clin d’oeil. La chorégraphie est d’une implacable intelligence, tout en étant portée par une sorte d’instinct irrésistible. Die Grosse Fugue est comme la vie : parfois violente (la danse est très physique), parfois drôle, parfois pleine de vie et de bonheur. 20 minutes tirées au cordeau qui laissent ébloui.e.

Grosse Fugue de Maguy Marin a une toute autre histoire, composée lors du décès d’un être cher. Cette pièce peut se voir comme une sorte de chemin de vie. Sur scène, quatre danseuses font la leur, au début sans vraiment se regarder, chacun dans son monde. Petit à petit, les liens entre elles se resserrent, avant qu’elles fassent front ensemble face aux épreuves. La pièce est admirablement construite, dans une écoute de la musique peut-être moins abstraite que les deux premières. Les quatre interprètes sont investies jusqu’au bout dans cette pièce qui semble lourde à porter. Tout y est intense. Tout y est très sombre aussi, très noir. Tout y est très déprimant, comme si la vie ne recelait aucun espoir, que tout n’était que lutte et bataille, sans possibilité d’un instant de tranquillité. Un état d’esprit très Maguy Marin, “La vie, c’est moche et c’est comme ça” qui peut virer à l’épuisement, voir à l’agacement. J’y ai de loin préféré l’élan de vie d’Anne Teresa de Keersmaeker, même si son chemin est aussi semé d’embûches. 

Grosse Fugue d'Anne Teresa de Keersmaeker

Grosse Fugue de Maguy Marin

 

Soirée Grande Fugue par le Ballet de l’Opéra de Lyon à l’Opéra de Lyon. Grande Fugue de Lucinda Childs, avec Jacqueline Bâby, Kristina Bentz, Edi Blloshmi, Julia Carnicer, Noëllie Conjeaud, Tyler Galster, Sarkis Grigorian, Ludovick Le Floc’h, Graziella Lorriaux, Chiara Paperini, Leoannis Pupa-Guillem et Raul Serrano Núñez ; Die Grosse Fugue d’Anne Teresa de Keersmaeker, avec Kristina Bentz, Noëllie Conjeaud, Samuel Colbey, Tyler Galster, Albert Nikolli, Leoannis Pupa-Guillem, Paul Vezin et Raul Serrano Núñez ; Grosse Fugue de Maguy Marin, avec Julia Carnicer, Coralie Levieux, Graziella Lorriaux et Amandine Roque de la Cruz. Jeudi 17 novembre 2016. À voir au Festival d’Automne du 6 au 17 décembre 2016, et en 2017 à Grenoble du 4 au 6 janvier, à Valence le 6 février, à Rouen les 9 et 10 février et à Lille du 25 au 27 avril

 

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