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Roméo et Juliette – Angelin Preljocaj

Angelin Preljocaj, le plus célèbre des chorégraphes français contemporains, reprend sa version de Roméo et Juliette qu’il avait créée en 1990 pour le Ballet de l’Opéra de Lyon, avant de l’intégrer au répertoire de sa compagnie en 1996. S’il décale quelque peu le propos, il reste fidèle à la trame de l’œuvre et à son esprit, notamment en s’appuyant sur la partition originale de Sergueï Prokofiev dans une version numérisée par Goran Vejvoda. Mais Angelin Prejlocaj s’affranchit de l’histoire des amants de Vérone et de la rivalité entre les Capulet et les Montaigu pour transposer ce drame dans un futur non daté, post-catastrophe où une classe dominante fait régner la terreur et impose sa loi.

Roméo et Juliette d’Angelin Preljoicaj

Pour appuyer son propos, Angelin Preljocaj a fait appel au dessinateur Enki Bilal qui a conçu un décor unique et futuriste : un mur incurvé comme une sorte de mirador symbolisant un univers carcéral, très sombre et où vivent en contrebas de pauvres hères en haillons. Enki Bilal signe également les costumes en collaborations avec Fred SathalC’est ce décor inquiétant qui impose d’emblée la vision d’Angelin Preljocaj : Roméo et Juliette ne sont plus les adolescents issus de familles rivales mais des amants appartenant à deux classes sociales. L’idée est de montrer aussi l’universalité du mythe de ce ballet et de son livret basé sur le drame de Shakespeare : il y a partout des Roméo et Juliette, nous dit Angelin Prejlocaj, dès lors que les amants appartiennent à des groupes rivaux ou antagonistes.

Du ballet original, Angelin Preljocaj conserve la trame générale et les principaux personnages mais la cohérence dramatique n’est pas vraiment son propos. Il condense ainsi la partition pour n’en conserver que les parties qui font avancer l’action. Ce parti-pris l’aide grandement à relever le défi qu’il se lance, à savoir de raconter l’histoire uniquement par la chorégraphie et en bannissant tout ce qui pourrait ressembler à de la pantomime.

Roméo et Juliette d’Angelin Preljoicaj

Le premier tableau avec l’entrée de la caste dominante représentée par des miliciens moulés dans des combinaisons en cuir est du pur Angelin Preljocaj : il réinvente dans son style qui n’est pas sans évoquer celui qu’il développera plus tard pour le Ballet de l’Opéra de Paris dans Le Parc – une danse affutée avec un ensemble de danseur.se.s qui évoluent comme au pas cadencé. On retrouvera dans tout le ballet ces pas comme un leitmotiv et comme la signature du clan dominant. Le groupe des sans-abri, auquel appartient Roméo, est pour sa part sur un registre plus léger, plus aérien, avec pirouettes et tours dans un style qui serait comme une tentative de danse néo-classique radicale. Cette opposition contribue à articuler le propos. Plus étonnantes sont les deux nourrices qui entourent Juliette et qui offrent comme un divertissement comique bienvenu dans le ballet, Angelin Preljocaj ayant gommé tous les aspects de comédie qui sont dans le livret original.

Mais ce sont les solos et les pas de deux qui constituent les moments forts du spectacle. La première apparition de Juliette, courte vêtue, conserve quelque chose du ballet originel avec ce personnage à peine sorti de l’enfance. Ce premier solo gorgé d’arabesques est comme une citation de la version classique de l’oeuvre. Mais Angelin Preljocaj s’embarrasse assez peu de psychologie, encore moins de préliminaires : Roméo et Juliette se trouvent instantanément dans un corps-à-corps amoureux, érotique et parfois violent. On retrouve là le style du chorégraphe : les corps se cherchent, se sentent, se touchent, s’affrontent. Cette sensualité dans la danse évoque encore une fois le si fameux pas de deux du Parc lorsque le danseur fait tourner sa partenaire qui l’enserre par le cou.

Il est sans doute préférable de ne pas avoir vu une version plus classique de Roméo et Juliette pour totalement apprécier celle d’Angelin Preljocaj. Le.la balletomane averti.e a en permanence la tentation de comparer et évaluer ce qu’il.elle voit et connaît de ce ballet iconique. Et très vite, il manque quelque chose. Certes, Angelin Preljocaj assemble parfaitement la chorégraphie pour ses 24 danseurs. Mais au bout du compte, l’impression subsiste que les ensembles, les mouvements de foule manquent d’ampleur. On est un peu entre deux genres : pas vraiment une œuvre contemporaine pure et pas tout à fait un grand ballet narratif.

Roméo et Juliette d’Angelin Preljoicaj

Mais l’excellence de la compagnie d’Angelin Preljocaj et l’inventivité permanente du chorégraphe  pallient ces réserves. Si parfois, on décroche de l’action, les danseur-ses-s attirent instantanément notre attention. Virginie Caussin (Juliette) et Redy Shtylla (Roméo) sont de bout en bout captivants : ils sont la colonne vertébrale de l’œuvre avec en point d’orgue un ultime pas de deux. Pas de tombeau dans la version d’Angelin Preljocaj, c’est sur deux chaises côte à côte que Roméo et Juliette tentent successivement de réanimer leurs corps. Cette danse de mort qui conclut le ballet est paradoxalement toute en chair. Les corps sont presque nus, ils se touchent et se dévorent encore une fois. Il y a à ce moment précis une émotion palpable qui envahit la scène et la salle. Et c’est très beau.

 

Roméo et Juliette d’Angelin Preljocaj par le Ballet Preljocaj au Théâtre de Chaillot. Avec Virginie Caussin (Juliette) et Redy Shtylla (Roméo). Vendredi 16 décembre 2106. À voir jusqu’au 24 décembre.

 

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