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Impressing the Czar de William Forsythe – Ballet de l’Opéra de Dresde

Actuellement dirigé par Aaron Sean Watkin, collaborateur de longue date de William Forsythe, le Ballet de l’Opéra de Dresde présentait au Palais Garnier Impressing the Czar. Créée en 1988, cette pièce est devenue l’emblème d’une des grandes entreprises artistiques de William Forsythe : déconstruire le ballet classique. La compagnie allemande interprète magnifiquement ce ballet aussi drôle qu’étourdissant.

Impressing the Czar de William Forsythe – Semperoper Ballett Dresden

Impressing the Czar procède d’une connaissance très approfondie de l’histoire et de l’esthétique du ballet classique. William Forsythe sait dans quelle filiation il s’inscrit, qui sont ses maîtres, comment fonctionne le langage classique, et il aime (ou plutôt a aimé, durant une longue partie de sa carrière) en décortiquer les dimensions esthétiques, politiques, voire métaphysiques. De ce savoir à la fois intellectuel et corporel, il a tiré un ballet d’une grande inventivité, qui ne cesse de surprendre par ses irrévérences, son langage chorégraphique inédit, et ce qu’il nous dévoile de notre attirance pour cette forme d’art si codifiée qu’est le ballet classique. De la structure du ballet à la distribution des rôles, en passant par les costumes, l’intrigue (ou plutôt ce qui en a l’air), ou encore la superposition de plusieurs styles chorégraphiques, chaque élément est minutieusement choisi pour faire écho à une histoire immensément riche et souvent méconnue.

Au fil des quatre parties (très disparates, toujours inattendues), le ballet-pantomime se mêle ainsi au ballet “à la Petipa”, Apollon rencontre Le Faune et Siegfried en la personne de Mr PNut (Julian Amir Lacey), George Balanchine se moque de lui-même, Le Sacre du Printemps se ressource sur MTV, les Ballets Russes sont vendus aux enchères… Tout cela bien sûr au gré de l’imagination de chaque spectateur.rice !

Impressing the Czar de William Forsythe – Semperoper Ballett Dresden

Dès la première partie, tous les éléments seraient présents pour un grand ballet narratif classique ou néoclassique. Mais quelque chose déraille. Dans les décors hautement farfelus de Michael Simon et William Forsythe, sur la musique obsédante de Leslie Stuck, Thom Willems… et Beethoven, le ballet se met à crisser. Et la cacophonie advient sans que la danse ni l’humour en pâtissent. Au tableau suivant, le décor fait place à un plateau nu, et au célèbre In the Middle, somewhat elevated, créé en 1987 à l’Opéra de Paris et intégré l’année suivante à Impressing the Czar. Les danseur.se.s y déploient le langage extrême de William Forsythe, aux traits acérés et à la vitesse redoutable. Tandis qu’à mi-hauteur, pendent paisiblement deux cerises dorées : celles qui donnent son nom à ce tableau.

Avec le troisième tableau, et son absurde vente aux enchères, Helen Pickett a la part belle dans le rôle très théâtral d’Agnes. Réuni dans son entier au quatrième tableau pour célébrer la renaissance de Mr Pnut, le corps de ballet déchaîne de folles rondes. Tou.te.s vêtu.e.s en écolières américaines, ils et elles exaltent une joie de danser entraînante, bien que constamment ironisée.

Impressing the Czar de William Forsythe – Semperoper Ballett Dresden

Une faiblesse d’Impressing the Czar est peut-être d’exiger du public qu’il ait lu le programme afin de saisir quelques références indispensables pour profiter pleinement du ballet. Une autre, son agressivité (visuelle, sonore…), parfois pénible à supporter. Mais il est fascinant d’assister à un travail réflexif si riche sur le ballet classique, qui n’oublie pas – à plus forte raison que William Forsythe voit comme première caractéristique du ballet d’être un art de l’artifice – d’être d’abord un moment éblouissant de spectacle et de danse.

 

Impressing the Czar de William Forsythe par le Semper Oper Ballett Dresden (Ballet de l’Opéra de Dresde) au Palais Garnier. Avec Helen Pickett (Agnes), Raquél Martinez (Rosa), Craig Davidso (Roger Wilco), Julian Amir Lacey (Mr PNut) et Christian Bauch et Casey Ouzounis (Les frères Grimm). Jeudi 5 janvier 2017.

 

Commentaires (2)

  • Lalo

    Merci pour cet article. J’ai assisté à la représentation de samedi dernier. Cette excellente compagnie montre une énergie presque surhumaine et un plaisir communicatif à danser.
    Vous déplorez l’agressivité du spectacle : je ne suis pas d’accord. Visuelle, elle me réjouit. Sonore ? Pour In the middle, on dirait plutôt que l’Opéra a peur de faire décoller les stucs ! Quand je l’ai vu au Châtelet au début des années 90, donné par le Ballet de Francfort, les décibels submergeaient le spectateur qui se retrouvait dans un état second. Un choc sonore et visuel extraordinaire !

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    • Laetitia

      Merci pour votre message ! Je n’avais pas ce point de comparaison, merci beaucoup de nous le faire partager. En ce qui concerne l’agressivité sonore, je pensais moins au niveau sonore, effectivement tout à fait “normal”, qu’au style de la musique de Thom Willems. Le terme de “faiblesse” que j’ai employé est d’autre part sans doute mal choisi. Son agressivité est un aspect d’Impressing the Czar qui me dérange, mais cela fait partie de sa force. Quant à ce qui me dérange, il s’agit sans doute moins de l’agressivité visuelle, au sens de la sur-sollicitation du regard du spectateur, que de l’agressivité que je ressens dans le rapport au corps des danseurs/ses. Mais Forsythe joue évidemment là-dessus, et cela fait de toute manière partie de la danse classique. Les danseur.se.s semblent prendre un plaisir immense à interpréter Impressing the Czar et nous le communiquent bien, mais la pièce joue aussi il me semble sur le fantasme du/de la “danseur/se-objet”. La première fois que j’ai vu In the Middle, j’étais à l’Opéra Garnier, très sur le côté, et j’avais donc pleine vue sur les coulisses. Après avoir exécuté leur variation, les danseurs/ses s’écroulaient au sol, exténué.e.s. J’imagine bien que cela n’est pas que le cas de ce ballet, mais c’était assez impressionnant. La spectatrice à côté de moi s’est exclamée à la fin du spectacle “c’est ce que le classique a de plus nauséabond !”, et si je ne partage pas son avis, je trouve qu’il touche à quelque chose de très juste dans l’esthétique de Forsythe.

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