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Soirée Chouinard/Horecna – Ballets de Monte-Carlo

Après une reprise de La Belle de Jean-Christophe Maillot en décembre, les Ballets de Monte-Carlo se glissent dans deux créations en avril : Cy Twombly Somehow de Marie Chouinard et But behind the bridge de Natalia Horecna. Deux pièces aux univers radicalement différents, faisant appel à plusieurs facettes des artistes protéiformes de la compagnie. La première interpelle, d’abord par un certain choc visuel, aussi par la fascination que semble avoir la chorégraphe pour ces corps de danseur.se.s classiques. La seconde part d’une actualité prégnante – le drame des migrant.e.s – pour une oeuvre qui se perd un peu dans sa narration. Le tout donne une soirée où les interprètes sont au coeur du travail de création.

Cy Twombly Somehow de Marie Chouinard – Ballet de Monte-Carlo

Comme son nom l’indique, Marie Chouinard s’inspire du peintre Twombly Somehow pour sa pièce Cy Twombly Somehow. Le rideau s’ouvre d’ailleurs sur une grande toile blanche. En fond, un groupe d’êtres androgynes, corps nus marqués par de grands coups de pinceau et perruque rouge. Comme le peintre se sert de la peinture pour marquer son imagination sur la toile blanche, Marie Chouinard se sert des danseur.se.s pour créer son univers. Le groupe se fait d’abord homogène. La chorégraphe semble avoir une sorte de fascination (compréhensible) pour les corps marqués par le travail académique et leur laxité toujours impressionnante. Dégagés, arabesques, grands pliés, et bien sûr les pointes pour les filles, forment une base de danse portée par une énergie percutante. Mais le choc ne serait-il pas surtout visuel ? Les tenues des danseur.se.s et les perruques rouge des interprètes tranchent avec la toile blanche du décor, comme les gestes incisifs sont autant de coups de pinceau. 

Cy Twombly Somehow frappe d’entrée. Mais le souffle a tendance à retomber, comme si la chorégraphe était trop fascinée par le corps de ses interprètes pour sortir d’une simple forme. Sauf que la danse change, se modifie. Le groupe devient de plus en plus hétérogène, des personnalités s’en échappent, l’académisme des pas se casse. Mimoza Koike se lance dans un long solo sensuel et acéré, profondément humain, où la souplesse des hanches sert un personnage hors du commun. Les sauts sont plus ancrés au sol, les pointes se mélangent à une dynamique plus techniquement contemporaine. Les coups de pinceau prendraient-ils leur indépendance face à leur créateur ? Voilà comme si le.la peintre laissait la liberté à ses tâches de peinture. Les chaussons s’enlèvent, les cris et sifflements des interprètes se mêlent à la musique alors que le groupe sursaute, avant de trouver un certain apaisement mêlé d’épuisement. Voilà au final 30 minutes de danse bien menée, créant comme une dramaturgie sur une pièce abstraite, et une tension naissante là où on ne l’attendait pas.

Cy Twombly Somehow de Marie Chouinard – Ballet de Monte-Carlo

C’est un peu ce qui manque à But behind the bridge de Natalia Horecna. Même si le propos de la chorégraphe est laissé volontairement flou dans le programme, la pièce se pose comme plus ou moins narrative, avec des personnages identifiés (que ce soit dans la fiche de distribution ou dans les costumes de scène bien différenciés). Marqué par le drame des migrant.e.s, But behind the bridge évoque l’absence, les départs, les séparations, la douleur, l’inconnu. À la manière de Mats Ek, le début de la pièce s’inspire de gestes du quotidien pour une danse profondément humaine – une référence d’autant plus frappante que la musique, une reprise de Purple Haze de Jimi Hendrix par le Kronos Quartet, peut faire penser au travail du Fleshquartet cher au chorégraphe suédois.

Mais la ligne directrice semble se perdre en route, il manque comme des concours aux personnages. Natalia Horecna veut donner beaucoup, et semble se perdre dans sa multitude de sentiments. À moins que cela ne soit parfois un peu trop appuyé, comme ses références chorégraphiques. La fin de la pièce part dans une profonde mélancolie, portée par la lancinante complainte Jesus’ Blood Never Failed Me Yet, qu’il est peut-être difficile d’utiliser après le magistral – et profondément mélancoliquement perturbant Quintett de William Forsythe. Reste néanmoins une troupe d’interprètes extrêmement investi.e.s, qui laissent ainsi de très beaux moments de danse quand le fil narratif laisse place volontairement à une danse plus abstraite, notamment des duos toujours très bien menés. 

But behind the bridge de Natalia Horecna – Ballet de Monte-Carlo

 

Soirée Chouinard/Horecna par les Ballets de Monte-Carlo au Grimaldi Forum. Cy Twombly Somehow de Marie Chouinard, avec Liisa Hämäläinen, Mimoza Koike, Maude Sabourin, Anne-Laure Seillan, Stephan Bourgond, Edgar Castillo, Daniele Delvecchio, Asier Edseo, Alexis Oliveira, George Oliveira, Alvaro Prieto, Lennart Radtke et Benjamin Stone ; But behind the bridge de Natalia Horecn, avec Francesco Mariottini (the Father), Anna Blackwell (the Mother), Michaël Grünecker (the Child), Julien Guerin (the Destiny Creature), Isaac Lee-Baker, Lucien Postlewaite et Koen Havenith (the Three Men of Destiny, Creatures), Anissa Bruley, Gaëlle Riou et Kaori Tajima (Three Ladies), Alessandra Tognoloni (The Choreographer) et April Ball et Christian Tworzyanski (the Spirit). Vendredi 29 avril 2017. 

À ne pas manquer le 1er juillet : la première édition de la F(ê)aites de la Danse ! à Monaco par les Ballets de Monte-Carlo et de nombreux invités. 

 

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