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Soirée Bertaud/Valastro/Bouché/Paul – Ballet de l’Opéra de Paris

Grâce à l’Académie chorégraphique, initiée par Benjamin Millepied et non reconduite par Aurélie Dupont, quatre danseurs-chorégraphes, Sébastien Bertaud, Simon Valastro, Bruno Bouché et Nicolas Paul ont pu présenter une création de trente minutes au Palais Garnier lors de quatre représentations. À des degrés divers, ces danseurs ont déjà fait la démonstration de leur appétence pour la chorégraphie. Chacun a choisi de monter un ballet ambitieux avec pléthore de danseur.se.s sur scène et scénographie plus ou moins sophistiquée. Au final, des propositions très différentes, pour certaines en résonance avec les bouleversements du monde actuel. Mais la soirée tire en longueur et ne parvient pas à susciter une adhésion pleine et entière.

Renaissance de Sébastien Bertaud

Précédé d’une importante couverture médiatique, due notamment à la signature des costumes par Olivier Rousteing, directeur artistique de la maison Balmain, Renaissance de Sébastien Bertaud était très attendu. Le choix – inédit – du Concerto pour violon N°2, op.64 de Mendelssohn constitue une belle trouvaille. Contraint de faire face aux forfaits de Mathias Heyman et de Mickaël Lafon, Sébastien Bertaud a cependant dû réduire la voilure de 16 à 14 interprètes. C’est sans doute ce qui justifie ce léger flottement dans les mouvements d’ensemble.

Sur le sol blanc opalescent avec fond de plateau ouvert sur le Foyer de le danse illuminé, les danseurs et danseuses composent  une partition qui répond à l’intention de départ, un “ballet classique d’aujourd’hui“. Jambes étirées à l’extrême,  décalages de hanches et de bustes, pirouettes vertigineuses, la virtuosité néo-classique imprègne chaque mouvement. En filigrane, on perçoit les sources d’inspiration dont Sébastien Bertaud s’est nourri, William Forsythe en tête. Brillants de mille feux, les costumes s’inscrivent dans la pure tradition de collaboration entre haute couture et l’Opéra national de Paris. Les boléros et justaucorps rehaussés de pierres et de perles portent la signature de l’opulence et du glam-chic d’Olivier Rousteing.

Les couples formés par Dorothée Gilbert/Hugo Marchand, Amandine Albisson/Audric Bezard, Hannah O’Neill/Pablo Legasa respirent l’harmonie. Ce dernier est sans contexte la révélation de ce ballet, même s’il avait déjà été remarqué ici et là. Bouillonnant, mais très maîtrisé, le jeune Coryphée (à la mèche rebelle) remplace Mathias Heymann avec un brio qui n’a d’égal que ses qualités physiques

Renaissance de Sébastien Bertaud

Après un rapide passage au noir, The Little Match Girl Passion change radicalement l’ambiance. Simon Valastro choisit une relecture chrétienne du conte d’Andersen La Petite fille aux allumettes. Opéra dansé plus que véritable ballet, cette proposition laisse une sensation étrange. Certes la partition et l’engagement des quatre chanteur.se.s sont remarquables, mais le déroulé reste assez opaque entre narration appuyée et allégories. S’il se révèle un très bon directeur de danseur.se.s  – une qualité certaine pour un chorégraphe – Simon Valastro a aussi des parti-pris un peu hasardeux. Pourquoi, notamment, sous-employer Marie-Agnès Gillot dans un solo qui ne restera pas dans les annales ? Émouvante silhouette gracile en robe blanche, Eleonora Abbagnato parvient cependant à rendre crédible son rôle de petite fille.

En travaillant sur la musique de David Lang, Simon Valastro n’a pas non plus choisi la facilité. Le parallélisme entre le destin tragique d’une petite marchande d’allumettes et celle de la passion du Christ donne une pièce très noire, avec une trame solidement mélodramatique. Demeurent quelques moments de grâce. Le final avec la tempête de neige recouvrant le tombeau de l’enfant est notamment d’une beauté sidérante.

The little match girl Passion de Simon Valastro

On ne peut pas dire qu’Undoing World de Bruno Bouché soit totalement exempt de qualités. Bien au contraire ! Mais la chorégraphie de celui qui prendra en septembre ses fonctions de directeur du Ballet du Rhin irrite par certains choix scénographiques. Mais pourquoi donc alourdir son propos en choisissant de diffuser en bande-son des extraits d’enregistrement d’un cours du philosophe Gilles Deleuze sur “Spinoza : immortalité et éternité” ? C’est parfois redondant avec la proposition chorégraphique, soit totalement abscons et désarçonnant pour le public.

Quand il ne chante pas, Aurélien Houette est la cheville ouvrière de cette partition. Son duo avec Marion Barbeau offre de beaux moments de danse, mais on peine à les raccrocher au reste de la pièce. Et c’est finalement quand il chorégraphie les mouvements d’ensemble que Bruno Bouché est le plus efficace. Le passage où les danseur.se.s brandissent des couvertures de survie comme des étendards libère ainsi un souffle puissant.

Undoing World de Bruno Bouché

Sept mètres et demi au-dessus des montagnes de Nicolas Paul conclut la soirée avec une apparence de simplicité. Mais il ne faut pas s’y tromper. Des quatre pièces, c’est sans nul doute celle qui donne le sentiment d’être la plus aboutie. Inspiré de l’épisode biblique du déluge, ce ballet décline à l’envi un dispositif scénique original. Surgissant de la fosse d’orchestre, de dos, les treize danseur.se.s traversent la scène, s’y arrêtent, s’y déploient, s’y confrontent, puis repartent vers le fond pour ressurgir quelques minutes plus tard. Cette sorte de mouvement perpétuel donne une tonalité bien réglée, comme rassérénante.

Le choix des motets de Josquin des Près, compositeur allemand de la Renaissance comme bande-son, offre un décalage fructueux avec la fougue des interprètes. Même si les deux Étoiles Josua Hoffalt et Stéphane Bullion se sont glissés parmi le groupe, ils brillent avec une humilité singulière. Le groupe forme une entité homogène soudée par l’urgence de la situation. Semblables à L’Homme qui marche de Giacometti, ils avancent vers leur destin, à la fois solidaires et solitaires dans un monde qui disparaît. Comme leurs silhouettes projetées en arrière-plan lentement englouties par la montée des eaux.

Sept mètres et demi au-dessus des montagnes de Nicolas Paul

 

Soirée Bertaud/Valastro/Bouché/Paul par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier. Renaissance de Sébastien Bertaud, aec Amandine Albisson, Dorothée Gilbert, Hannah O’Neill, Hugo Marchand, Audric Bezard, Pablo Legasa, Éléonore Guérineau, Silvia Saint-Martin, Marion Gautier de Charnacé, Naïs Duboscq, Adèle Belem, Fabien Révillion, Thomas Docquir et Joseph Aumeer ; The Little Match Girl Passion de Simon Valastro, avec Eleonora Abbagnato, Marie-Agnès Gillot, Alessio Carbone, Adrien Bodet, Hugo Vigliotti et Andra Sarri, et un corps de ballet d’une douzaine de danseurs ; Undoing World de Bruno Bouché, avec Marion Barbeau, Aurélien Houette, Isaac Lopes-Gomes et 31 danseurs et danseuses du corps de ballet. Sept mètres et demi au-dessus des montagnes de Nicolas Paul, avec Valentine Colasante, Caroline Bance, Ida Viikinkoski, Roxane Stojanov, Lucie Fenwick, Caroline Osmont, Stéphane Bullion, Josua Hoffalt, Vincent Chaillet, Mathieu Contat Yvon Demol, Alexandre Gasse et Antonin Monié. Vendredi 16 juin 2017.

 

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