TOP

Festival de Marseille – Un Sacre et un labyrinthe

Le Festival de Marseille s’est ouvert sur de la danse et une joyeuse ambiance, avec la survoltée (mais maîtrisée) relecture du Sacre du Printemps par Jose Vidal. Dans le même temps, Brett Bailey plonge le public au coeur d’un labyrinthe sinueux et percutant, parfois agaçant, mais qui remue les émotions. Deux ambiances radicalement différentes, mais deux spectacles qui questionnent la relation du.de la spectateur.rice et la limite du cadre de scène, qui dans les deux cas s’amuse à bouger plus ou moins subrepticement.

Rito de Primavera de Jose Vidal

C’est tout un rite pour, parfois, pour entrer dans une salle de spectacle. Avant de s’installer pour découvrir Rito de Primavera, la relecture du Sacre du Printemps de Jose Vidal, le public est prié d’enlever ses chaussures, puis de donner la main à ses voisin.ne.s avant de se laisser guider par ligne, dans le noir, sur son siège. Sur la scène en rond, les danseurs et danseuses sont nu.e.s, parfois aperçu.e.s dans la pénombre, chantant une longue litanie le temps que tout le monde trouve sa place. Ambiance un peu new-age, qui a vite fait de faire ricaner quelques mauvais esprits (ou un groupe de journalistes de joyeuse humeur). Jose Vidal fait attendre, mais quand Rito de Primavera démarre… ça démarre ! De la musique de Stravinsky, il ne reste que des bribes reconnaissables, mixées sur un tempo énergique prenant immédiatement possession des corps. Sur scène, un large groupe de danseurs et danseuses, cette fois-ci rhabillé.e.s, d’une énergie instinctive, emporte tout sur son passage.

Jose Vidal porte le tout avec une écriture totalement maîtrisée du groupe, de comment le mettre en place, de comment le déconstruire pour mieux le ressouder. Sa danse se fait parfois animale et primaire, rappelant (sans le vouloir ?) le Sacre de Pina Bausch. Elle se fait aussi parfois très moderne, donnant à la scène des accents de boîte de nuit où les interprètes y apparaissent dans toute l’énergie de leur jeunesse et singularité. Maîtrise du groupe donc, mais aussi maîtrise de l’énergie et du climax qui monte doucement mais sûrement… À tel point que, quand ça éclate, le public ne peut que se joindre à cette espèce de transe salvatrice et rejoindre la scène pour danser à son tour, libéré de tout complexe. Acteur.rice ou spectateur.rice ? la frontière se fait volontiers ténue, se casse délibérément avant de se recréer pour inviter le public à reprendre sa place. Maîtrise enfin dans la façon de terminer la courbe : l’énergie à son paroxysme redescend doucement, le geste se fait moins violent. Les danseurs et danseuses reprennent leur transe tranquille du début, s’atténuant peu à peu, comme redescendant sur terre.

Rito de Primavera de Jose Vidal

Une fin qui, comme le début, s’étire un peu trop, le défaut des pièces qui veulent à tout prix durer une heure pour montrer leur sérieux alors que tout est dit en 45 minutes. D’autant que les applaudissements ravivent la flamme de l’énergie, et le public repart dans son monde après avoir à nouveau partagé la scène le temps d’une dernière danse. Si cette place vient assez naturellement, sa participation au milieu de la pièce pose plus de questions. Mis de côté la forte sympathie du moment (il fait beau, il fait chaud, on a tous et toutes envie de danser), cette frontière floue entre scène et public apparaît de façon plus artificielle au milieu du spectacle. Jose Vidal a voulu jouer la force du climax, mais sa danse se suffisait finalement à elle-même. Et cette ligne brisée entre public et artistes, si elle rapproche les deux sur la forme (tout le monde danse ensemble sur une même scène) a un peu tendance à sortir les premiers de l’état d’esprit d’un spectacle, qu’il est difficile de retrouver par la suite. L’idée de mélanger tout le monde pour partir de la salle apparaît comme de fait plus naturel. 

Brett Bailey pose finalement la même question de la frontière entre scène et gradin dans son installation théâtrale Sanctuary. Là encore, il y a mise en condition : avant d’entrer dans ce labyrinthe, un acteur pose les règles du jeu, c’est lui qui décide quand rentrer. Le metteur en scène recrée le chemin d’un réfugié, que le public prend à son tour. Fils barbelés, lumières crues, panneaux froids : le public est acteur de la performance, il marche, il bouge, il ne se contente pas de regarder. Dans les méandres du labyrinthe sont recréées des saynètes presque immobiles de vie quotidienne et de souvenirs de migrants arrivant en Europe : l’attente dans les camps, la misère, l’éloignement, les réseaux de prostitution. Presque immobiles donc, car les acteurs et actrices de ces scènes regardent le public, l’interrogent du regard. Parfois lui parlent, comme une vieille dame européenne, les yeux rivés sur Marine Le Pen sur son écran de télévision, qui vous invite à vous assoir dans son salon. 

Sanctuary de Brett Bailey

Cette frontière entre scène et public n’est pas inexistante : elle est là, mais elle ne cesse de bouger. L’acteur regarde au loin : la distance est là. Il plante son regard dans le vôtre : vous voilà pris à partie. Cette façon de faire peut être prodigieusement agaçante. Brett Bailey appuie volontairement là où ça fait mal (la misère que nous savons mais que nous voulons pas regarder dans les yeux), mais de manière grossière. Comment ne pas être ému par ces destins, ces situations ? La facilité du procédé fait parfois lever les yeux au ciel. Mais cette sensation de mal à l’aise est plus complexe que ça. Agacement oui. Mais culpabilité aussi. Émotion primaire aussi de simple empathie humaine. À la fin du labyrinthe, Brett Bailey réinstaure la démarcation scène/public en affichant la biographie des acteurs et actrices, qui n’apparaissent donc que comme acteurs et actrices. Bien sûr ces saynètes n’étaient que des saynètes, et non la réalité. Le retour de cette ligne sonne comme un certain soulagement, permettant aussi de ressortir du labyrinthe – et du retour à la vraie vie – plus facilement. Même si l’agacement du début persiste.

Sanctuary de Brett Bailey

À noter, si le Festival de Marseille se déroule dans toute la ville, ces deux spectacles si différents avaient lieu tous les deux à la Friche la Belle de mai, une usine reconvertie en lieu artistique, avec une multitude de scènes, quelques forts sympathiques cafés et un rooftop avec vue sur tout Marseille se transformant en dancefloor pour le Festival. Un endroit où il fait bon se poser, flâner et rencontrer artistes comme public. 

 

Rito de Primavera de Jose Vida, Sanctuary de Brett Bailey, à la Friche la Belle de mai au Festival de Marseille. Festival qui continue jusqu’au 9 juillet

 

Poster un commentaire