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Montpellier Danse se lève pour Hans van Manen

Il faut avoir vu la salle entière de l’Opéra Berlioz de Montpellier, pleine à craquer, se lever de l’orchestre au fond des dernières galeries pour applaudir un chorégraphe… que le public ne connaît pas. Ou à peine. À 85 ans, l’immense Hans van Manen vient de prendre sa revanche sur un pays qui l’a quasiment ignoré (si ce n’est une invitation au festival Le Temps d’aimer dirigé par Thierry Malandain il y a cinq ans) avec deux soirées triomphales portées par la troupe du Het Nationale Ballet. Et l’on se doit de rendre grâce à Jean-Paul Montanari d’avoir organisé la venue à Montpellier Danse de cette compagnie grand luxe défendant un répertoire d’exception.

Hammer Klavier de Hans van Manen – Het Nationale Ballet

En deux programmes consécutifs, voilà comme une petite anthologie du travail de Hans van Manen, qui a à son actif 140 ballets dansés dans le monde entier par 70 compagnies. Ces chiffres parlent en soi et en même temps interrogent : pourquoi ce chorégraphe qui débuta sa carrière de danseur chez Roland Petit dans les années 1950 et installé aux Pays-Bas n’a-t-il jamais franchi nos frontières ? Mystère ! Sa carrière est en tout cas intimement liée aux deux grandes compagnies néerlandaises : le Nederlands Dans Theater et le Het Nationale Ballet, dont il est encore aujourd’hui chorégraphe associé et qui défend son répertoire comme le New York City Ballet celui de George Balanchine. Et il y a sinon une filiation, du moins des influences entre Hans van Manen et le maître américain de la danse néo-classique.

Même si cette appellation est un peu fourre-tout, on voit d’emblée des similitudes d’approche : le projet d’utiliser le vocabulaire de la danse académique pour construire des ballets non narratifs, une exigence quant au choix des partitions et des compositeurs, une scénographie toujours légère qui n’écrase jamais l’œuvre mais est là pour la servir. Et cela donne chez Hans van Manen comme chez George Balanchine des œuvres compactes de 30 à 40 minutes. Même si les comparaisons s’arrêtent là. Hans van Manen, formé par des professeurs français, a su aussi s’émanciper de la grammaire académique pour s’ouvrir à d’autres univers, celui de Martha Graham entre autre. Et il a constamment intégré dans son travail d’autres techniques et d’autres univers.

Avec cinq œuvres présentées couvrant une période allant de 1965 à 2005, c’est un voyage à travers l’univers singulier de Hans van Manen qui est proposé en clôture de Montpellier Danse. On y voit les différentes facettes de son style avec l’usage des pointes – mais pas systématiquement – et un fil rouge qui traverse toute son œuvre : le couple toujours au centre de tout. Il y a une vraie force sensuelle et érotique revendiquée chez Hans van Manen.

Sarcasmen de Hans van Manen – Het Nationale Ballet

Metaforen avait fait scandale en 1965 parce que le chorégraphe néerlandais y montrait un pas de deux entre deux hommes qui se portent alternativement. Même dans un pays aussi libéral que les Pays-Bas, ce fut un choc. Mais ce serait s’arrêter à un détail car cette pièce pour 12 danseur-se-s sur la musique du compositeur et organiste française Daniel-Jean-Yves Lesur vaut plus que cela. On y voit ce que sont les lignes de forces du style de Hans van Manen : un talent singulier pour faire entrer et sortir  de scène les danseur-se-s sans que jamais cela soit artificiel. Et un lyrisme débridé fondé sur une musicalité hors pair.

C’est dire si son travail est exigeant pour ses interprètes. La première soirée débutait avec ce qui est parfois considéré comme son chef-d’œuvre, Adagio Hammerklavier créé en 1973 sur le troisième mouvement de la sonate 29 de Beethoven superbement jouée en direct par la pianiste Olga Khoziainonva. Trois couples sont sur scènes : les femmes sur pointes en robes bleu clair et les hommes en collants, torses nus et ornés d’un collier ras de cou. Sur un tempo ultra-lent, Hans van Manen interroge sempiternellement la relation homme/femme, l’attraction des corps et le désir. “C’est une ode à la décélération“, s’amuse le chorégraphe qui explore comment conjuguer la lenteur et le mouvement. Les Pas de deux sont superbes sans jamais tomber dans la mièvrerie.

Il poursuit dans cette même veine en 1981 mais le  propos est  bien différent avec  Sarcasmen dont le titre donne la clef : cette pièce est une pochade chorégraphique pour un couple qui tente de nous faire croire à leur indifférence mutuelle avec un habile mélange de technique académique et de gestes triviaux, la danseuse va même jusqu’à mettre la main sur le sexe du danseur. Provocation certes  mais sans aucune vulgarité. Il y a de la classe dans ce jeu d’attraction  qui est en fait un trio car le pianiste Robert Greuter qui joue sur scène les cinq Sarcasmes de Sergei Prokofiev prend part au jeu. C’est drôle et brillant à la fois.

Bridge Variations de Hans van Manen – Het Nationale Ballet

Two Gold Variations (1999) est sans doute la pièce la plus complexe : 14 danseur-se-s qui se déchainent sur la musique au rythme infernal de la partition du compositeur d’avant-garde néerlandais Jacob ter Veldhuis. Cette fois, c’est la danse sans pointes et à très grande vitesse où alternent ensembles, duos et solos. Elle permet de prendre la mesure de l’excellence du Het Nationale Ballet, compagnie de 75 danseur-se-s qui brille par sa virtuosité et sa jeunesse, nourrie par les 25 nationalités qui la composent. Leur technique est superlative et leur fougue convient comme un gant à l’univers de Hans van Manen.

Enfin, c’est avec Frank Bridge Variations qui se concluaient les deux soirées. Créée en 2005, cette pièce est bâtie sur la partition du même nom de Benjamin Britten. Des 11 variations écrites par le compositeur britannique, Hans van Manen en a conservé 9. Là encore, le chorégraphe alterne compositions virtuoses et propos parodiques avec en point d’orgue ce déchainement de passions entre les corps. Cette œuvre puissante est dédiée aux chorégraphes Sol Léon et Paul Lightfoot qui dirigent aujourd’hui le NDT, poste qu’occupa avant eux Hans van Manen  il y fut danseur aussi), puis Jiří Kylián.

Quel final grandiose pour le festival Montpellier Danse ! Et pour réparer ce rendez-vous manqué entre un chorégraphe européen majeur et la France qu’il aime tant, Hans van Manen a été fait à l’issue de la première représentation Commandeur des Arts et des Lettres. Curieux cela dit d’avoir sollicité Brigitte Lefèvre pour prononcer son éloge et lui remettre la cravate alors que sous sa direction à la tête du Ballet de l’Opéra de Paris, il ne fut jamais invité. Hans van Manen fit juste un très brève incursion au Palais Garnier en novembre 186 pour huiy représentations de Grande Fugue, pièce qui ne fut jamais reprise. Mais il n’est pas trop tard ! D’ailleurs, Hans van Manen fera un retour timide sur la scène de l’Opéra de Paris pour l’ouverture de la saison en septembre avec une représentation unique de Trois Gnossiennes sur la musique d’Erik Satie lors du gala. C’est bien, mais c’est trop peu !

 

Soirées Hans van Manen par le Het Nationale Ballet à l’Opéra Berlioz de Montpellier, dans le cadre de Montpellier Danse. Metaforen (1965), Adagio Hammerklavier (1973), Two Gold Variations (1999), Sarcasmen (1981), Frank Bridge Variations (2005). Mardi 4 et mercredi 5 juillet 2017.

 

Commentaires (1)

  • Chrsitine

    Rien que quelques photos donnent envie de le découvrir. Il y a de toute évidence une recherche plastique aboutie dans sez chorégraphies.

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