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Performing Art de Noé Soulier

La 46ème édition du toujours réjouissant Festival d’Automne a ouvert ses portes le 13 septembre dernier. Première escale avec un objet scénique non identifié, le très conceptuel Performing Art de Noé Soulier, donné au Centre Pompidou.

Performing Art de Noé Soulier

Ces dernières années, la danse ne cesse de s’inviter dans les musées. Anne Teresa de Keersmaeker investit Beaubourg ou la Tate Modern avec Work/ Travail/ Arbeid, Boris Charmatz invente Musée de la Danse : three collective gestures pour le MoMA qu’il occupe trois week-ends durant, Rétrospective de Xavier Leroy, créé à la Fondation Antoni Tàpies de Barcelone, tourne de Rio de Janeiro à Singapour, de Beyrouth à Bogota. Et lorsque Tino Sehgal envahit pour deux mois l’entier espace du Palais de Tokyo, il le dépouille presqu’intégralement d’œuvres plastiques pour ne donner à voir que des corps en mouvements. En faisant ce constat, Noé Soulier a eu envie de prendre à rebours la tendance. Puisque la danse se transforme pour s’adapter aux conditions muséales, pourquoi, a contrario, ne pas faire entrer des œuvres plastiques dans l’espace scénique ? Qu’auraient à nous dire tableaux, photographies, sculptures, objets design, une fois installés dans la boîte noire d’un théâtre, soumis à ses contraintes d’espace mais surtout de temps ?

C’est comme cela qu’est né Performing Art, et que le chorégraphe s’est mué le temps d’une création en commissaire d’exposition, avec la complicité de Marcella Lista et du Centre Pompidou dans la collection duquel il y a puisé une vingtaine d’œuvres. Une pièce au concept enthousiasmant, donc, innovante, sûrement, mais que cela donne-t-il une fois plongé dans le noir de la grande salle dédiée au spectacle vivant de Beaubourg ? Sur scène, un simple mur blanc. Des régisseurs munis de gants – il n’y a pas un.e danseur.se dans cette création – transportent des caisses, en extraient des œuvres avec des gestes d’une infinie précaution, les installent. Puis, après un temps déterminé pendant lequel elles sont soumises au regard du public, les désinstallent. Ballet d’accrochage, décrochage. Noé Soulier n’est pas intervenu sur ces mouvements précis, utilitaires. Son rôle de chorégraphe a été d’organiser leur agencement, leur ordre d’apparition, leur concomitance ou non, leur variété. Signal électronique, un panneau lumineux de Jenny Holzer installé à la cime du mur nécessite un escabeau quand le Fauteuil Big E de Ron Arad se pose bien évidemment au sol.

L’expérience est intéressante, offre plusieurs regards sur certaines œuvres. Sans titre, une photographie d’Eric Poitevin n’est pas perçue de la manière trônant seule ou accompagnée de la Table basse Rocher de Garouste & Bonetti, et d’autres éléments reconstituant un salon. Lorsque l’Aspirateur DC 02 Clear de James Dyson apparait sur le plateau, l’esprit ready-made de Marcel Duchamp rôde. Et quand les régisseurs transforment à l’aide de quelques clous un interminable filet constitué d’étiquettes de vêtement en une robe exposée sur un mur – Netz d’Ayse Erkmen – je me dis que finalement ce n’est pas le.la regardeur.se qui fait l’œuvre – formule chère à ce même Marcel Duchamp – ni l’artiste, mais le régisseur.

Le public, un peu désarçonné sûrement mais joueur malgré tout, prend part au spectacle. Un jeune homme raide comme un i longe la scène en criant “C’est bon, merci, j’en ai assez vu !“, avant de traverser quelques minutes plus tard l’espace en sens inverse faute d’avoir pu trouver une sortie. Les quintes de toux de l’un se répandent dans la salle à la même vitesse et avec la même ampleur que les fous rires répétés d’un autre. Ce qui n’empêche nullement les bravos de s’épanouir pour saluer Performing Art à son issu. Pour ma part je ressens une légère frustration et repense à la réflexion d’un couple d’inconnus dépités, surpris de mon enthousiasme, croisé au sortir de la Carte Blanche du Palais de Tokyo à Tino Sehgal : “Mais enfin, où sont les œuvres, vous avez vu des œuvres ?“. Oserais-je avouer que ce soir j’ai un peu manqué de danse ?

 

Performing Art de Noé Soulier au Centre Pompidou dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Jeudi 14 septembre 2017.

 

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