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Casse-Noisette par l’English National Ballet : un conte de Noël familial et poétique

Casse-Noisette est devenu un passage obligé de la période des Fêtes, un poncif, voire un pensum. Malgré la musique de Tchaïkovski si merveilleuse, l’histoire peut avoir du mal à marquer les esprits et disparaît derrière les costumes et les décors parfois surchargés. De quoi ressortir avec la nausée. Mais heureusement, pas de crise de foie pour moi ce soir-là. Car il y a juste ce qu’il faut de sucre dans ce Casse-Noisette de l’English National Ballet : ni trop, ni trop peu. Avec une mise en scène mesurée signée Wayne Eagling (l’ancien directeur de la compagnie) et inaugurée en 2010, le ballet assume pleinement son statut de divertissement et n’a pas a en rougir. Voilà un beau conte fantastique pour petits et grands, permettant de renouer avec son âme d’enfant, déballer les cadeaux, danser, jouer et rêver avec Clara. L’esprit de Noël retrouvé ? Peut-être bien. On aurait tort en tout cas de bouder son plaisir.

Casse-Noisette, Sereina Mowlem et Fabian Reimair

Casse-Noisette – Sereina Mowlem et Fabian Reimair

Le rideau se lève sur des décors magnifiques, représentant un Londres fin XIXe réaliste et empreint d’excitation à l’approche de la fête. Clara, dansée par la jeune Sereina Mowlem, se prépare dans sa chambre avec sa sœur, Louise (Ksenia Ovsyanick) et son frère, le malicieux Freddie (Basil James). Les scènes d’extérieur, comme les patineurs qui glissent sur la Tamise gelée, apportent une petite touche d’originalité bienvenue, le tout dans un froid rendu palpable.

Drosselmeyer (Fabian Reimar) est un ami de la famille jovial et facétieux, un magicien aux multiples tours pour le groupe d’enfants aux yeux ébahis qu’il installe devant un théâtre de marionnettes. Il procède ensuite à la distribution des cadeaux : poupées pour les filles, chevaux et épées pour les garçons qui chahutent parmi les sages demoiselles. Oui, ce Casse-Noisette reste traditionnel jusque dans le choix des cadeaux. L’enchaînement narratif de ces scènes canoniques se fait sans anicroche et avec un naturel surprenant. L’on est jamais lassé par l’artifice, grâce à un parfait équilibre entre danse et pantomime porté par une majorité d’enfants – qui sont pour beaucoup dans le succès de cette mise en scène. Et bien aidé par grand-père et une grand-mère un peu séniles et hilarants (Michael Coleman et Tamarin Stott).

Casse-Noisette - English National Ballet

Casse-Noisette – Fabian Reimar et les enfants

Enfin, l’Étoile masculine, Alejandro Vireilles, fait son entrée sous les traits du neveu de Drosselmeyer qui suscite l’émoi de Clara. Pendant le sommeil de la petite fille, le roi des souris (James Streeter) fait irruption dans la chambre, à la recherche du Casse-Noisette. C’est à ce moment-là que Clara se transforme en jeune femme, à la mine toutefois juvénile d’Alina Cojocaru. Le soldat rouge et blanc apparaît en chair et en os (Max Westwell) pour défendre Clara contre l’armée de souris aux costumes des plus réussis – une vision cauchemardesque aussi sombre que parodique.

Les deux danseurs, rejoints par le neveu de Drosselmeyer, semblent glisser comme sur de la glace, pour rester dans l’atmosphère hivernale, avant de s’envoler à bord d’une montgolfière – moyen de transport poétique par excellence. La danse des flocons, un des moment iconiques de Casse-Noisette, ne dépareille pas : le corps de ballet, très solide, se distingue par des lignes propres et un parfait respect du tempo. Avec la magie de la neige tombante, l’interprétation particulièrement grandiose de la musique de Tchaïkovski par l’orchestre, dirigé par Gavin Sutherland, est la cerise sur le gâteau.

Casse-Noisette - Valse des Flocons

Casse-Noisette – Valse des Flocons

Le deuxième acte est celui des divertissements, orchestrés par Drosselmeyer lui-même dans un théâtre cette fois grandeur nature. Russe, arabe, chinoise, les danses de caractères assument à fond leur côté cliché. Peut-être un peu trop mais elles ont au moins le mérite d’une esthétique moderne, pas datée le moins du monde. Yonah Acosta se démarque particulièrement dans la danse espagnole, se lançant dans une série de sauts impressionnants. La valse des fleurs – en fuchsia – est une dernière occasion de briller pour un corps de ballet toujours à l’unisson.

Clara et son prince terminent ces divertissement avec un adage final sublime, accompli avec une virtuosité incroyable. Ce qui fascine chez Alina Cojocaru, c’est la force, la solidité sous ce physique frêle et cette apparence fragile. Cette qualité renforce la crédibilité de l’histoire et la transfiguration de Clara en femme. Les tours sont effectués à une vitesse étourdissante, les bras sont lyriques, et elle distille de manière intense l’émotion d’une jeune fille émerveillée. La dimension initiatique du conte prend alors tout son sens. Alejandro Vireilles fait preuve d’un moelleux parfait dans ses sauts et incarne un prince de choix même si le partenariat aurait probablement eu besoin d’être un peu rodé sur le plan technique – porter la danseuse à bout de bras quand on a son tutu écrasé sur l’œil, c’est dangereux…! Une prise de rôle toutefois réussie.

Clara se réveille, et avec son frère, sort au dehors…avant d’apercevoir la montgolfière rouge qui monte dans le ciel, parachevant la confusion entre rêve et réalité. Magique, on vous dit.

Casse-Noisette, Alina Cojocaru

Casse-Noisette, Alina Cojocaru

 

Casse-Noisette de Wayne Eagling, par l’English National Ballet, au London Coliseum. Avec Sereina Mowlem (Clara enfant), Alina Cojocaru (Clara), Alejandro Vireilles (le Neveu de Drosselmeyer), Fabian Reimair (Drosselmeyer) et James Streeter (le Roi des souris). Jeudi 11 décembre 2014.

 

Commentaires (2)

  • Pascale

    Résolument, j’adore votre style !
    Vous lire, c’est avoir envie d’aller à Londres tout de suite pour découvrir cette version de Casse-Noisette!! A défaut ( ce qui est mon cas) d’acheter le DVD s’il existe avec cette distribution

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