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Naharin’s Virus — Batsheva Dance Company

Il n’y a pas que Casse-Noisette pour les Fêtes ! À Paris, le public peut aussi se régaler de danse contemporaine avec l’excellente Batsheva Dance Company. Pour son cinquantième anniversaire, la troupe présente en effet en cette fin d’année deux pièces au Théâtre National de Chaillot : Naharin’s Virus puis Decadance Paris.

Naharin's Virus - Batsheva Dance Company

Naharin’s Virus – Batsheva Dance Company

Créée en 1964 à Tel-Aviv par la papesse de la danse moderne Martha Graham, et son mécène la baronne Batsheva de Rothschild, la Batsheva Dance Company est dirigée depuis 1990 par Ohad Naharin. Le chorégraphe y développe son vocabulaire à partir d’une technique qu’il a lui-même inventée : la Gaga Dance (non, rien à voir avec la chanteuse). Celle-ci, axée sur l’exploitation des sensations et la disponibilité du corps, a pour but l’efficience du mouvement et la connexion entre plaisir et effort. Chef de file de la danse contemporaine israélienne, les pièces d’Ohad Naharin sont présentées sur les plus grandes scènes, du Nederland Dance Theater au Grand Théâtre de Genève, du Ballet de Francfort à l’Opéra de Paris.

Pour créer Naharin’s Virus en 2001, Ohad Naharin et ses danseurs et danseuses prennent pour point de départ Outrage au public, pièce provocante et avant-gardiste de Peter Handke. Dans ce texte, le dramaturge autrichien déconstruit le théâtre : pas d’intrigue, pas de fil narratif. Seulement la réalité nue de l’instant présent et l’interpellation permanente du public qui est scruté, flatté, puis finalement insulté.

Naharin's Virus - Batsheva Dance Company

Naharin’s Virus – Batsheva Dance Company

Sur scène se trouve un grand tableau noir. Une danseuse munie d’une craie y trace, en se mouvant lentement, une ligne qui entoure sa tête puis certaines parties de son corps pour finalement former le mot VOUS. Dans le même temps un danseur en costume noir, posté sur le tableau, récite en français le texte de Peter Handke : “Ce qu’on va vous montrer n’est pas un spectacle. Vous risquez fort de rester sur votre faim. Ce que vous allez voir n’est pas une pièce. Ce soir on ne joue pas.” Puis plus tard : “Vous êtes assis en rangs d’oignons. Vous êtes un modèle du genre. Vous êtes placés dans un certain ordre. Vous regardez dans une certaine direction. Assis à distance égale l’un de l’autre. Vous êtes un auditoire.” Si le public de danse contemporaine est habitué à l’abstraction, à se passer de narration, cette façon d’être pris à partie, en revanche, surprend et déstabilise. Ce qui est intéressant en soi, mais aurait été frustrant si Ohad Naharin et sa compagnie s’étaient contentés d’illustrer en mouvements Outrage au Public.

Naharin's Virus - Batsheva Dance Company

Naharin’s Virus – Batsheva Dance Company

Heureusement il n’en est rien et la danse se déploie largement dans Naharin’s Virus, même si le texte vient régulièrement rappeler le public à l’ordre, l’obligeant à rester conscient de son état de spectateur. Cette danse, parfaitement exécutée par seize danseurs et danseuses d’une grande homogénéité, est aussi variée que les musiques qui l’accompagnent. Elle sait se faire ronde aussi bien que tranchante et précise ou répétitive. Les gestes sont parfois lents, intimes, alors qu’à d’autres moments ils explosent d’une énergie joyeuse. La partition, quant à elle, court du néoromantisme à la musique traditionnelle en faisant des détours par l’électronique.

Et cette danse comme cette musique viennent servir le propos pacificateur d’Ohad Naharin. Car Naharin’s Virus est aussi une pièce politique qui nous parle avec délicatesse de religion, d’égalité sexuelle et bien sûr du conflit israélo-palestinien. Le chorégraphe n’a-t-il pas demandé à Habib Alla Jamal qui se définit comme un Palestinien arabe de citoyenneté israélienne d’enregistrer sa musique traditionnelle pour ce spectacle ?

Finalement, se laisser contaminer par cet intelligent et riche spectacle est une expérience réjouissante qui est loin de laisser sur sa faim !

Naharin's Virus - Batsheva Dance Company

Naharin’s Virus – Batsheva Dance Company

 

Naharin’s Virus de la Batsheva Dance Company au Théâtre National de Chaillot. Chorégraphie d’Ohad Naharin en collaboration avec les danseurs. D’après la pièce de Peter Handke, Outrage au public. Musique originale et conseiller musical Karni Postel. Musiques de Samuel Barber, Carlos D’Alessio, P. Stokes, P. Parson. Musique traditionnelle d’Habib Alla Jamal. Chant de Shama Khader. Répétiteur Luc Jacobs. Assistant Gili Navot Friedman. Costumes de Zohar Shoef et Rakefet Levy. Lumières d’Avi Yona Bueno (Bambi). Son Frankie Lievaart. Enregistrements Frankie Lievaart et Haim Laroz. Traduction de Michael Roloff. Avec William Barry, Omri Drumlevich, Bret Easterling, Iyar Elezra, Rani Lebzelter, Eri Nakamura, Rachael Osborne, Shamel Pitts, Oscar Ramos, Nitzan Ressler, Ian Robinson, Or Meir Schraiber, Maayan Sheinfeld, Bobbi Smith, Zina (Natalya) Zinchenko, Adi Zlatin. Vendredi 19 décembre 2014.

 

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