TOP

Roméo et Juliette – Ballet de l’Opéra de Bordeaux

Chronique écrite par Impressions danse.

Tout comme les petits rats doivent désapprendre la danse à leur entrée à l’École de Danse, il faut parfois désapprendre un ballet pour mieux en apprécier une nouvelle production. Le Roméo et Juliette chorégraphié par Charles Jude, Tybalt de légende, s’inspire directement de la version Noureev entrée au répertoire de l’Opéra de Paris en 1984. On n’en saura pas plus sur les intentions du chorégraphe, le programme du spectacle (qui comporte par ailleurs une passionnante analyse de la partition de Prokofiev) étant pour le moins lacunaire au sujet de cette création de 2009 pour le Ballet de l’Opéra de Bordeaux.

romeo-et-Juliette-Bordeaux_2

Roméo et Juliette, plus qu’une histoire d’amour impossible, c’est la confrontation entre deux mondes : la trivialité de la foule élisabéthaine, visible dans les scènes de marché, et l’amour sublime que se portent les deux jeunes premiers issus de la noblesse. En souhaitant “exacerber la passion amoureuse“, Charles Jude fait la part belle à ce deuxième univers : les décors très épurés de Philippe Miesch et les costumes géométriques de Pierre-Jean Larroque renvoient une image lisse et intemporelle bien loin de la société dépeinte par Shakespeare. Les tableaux sont réduits à quelques lignes de perspective ornées d’ombres chinoises lors du bal et d’une lune démesurée pendant le pas-de-deux du balcon. On troquerait volontiers les trois artistes de cirque qui occupent l’arrière-scène au 2e acte contre quelques marchands de poisson pour animer un peu cette scène immaculée.

La perfection du corps de ballet, qui a encore chipé quelques talents à celui de l’Opéra de Paris cette saison, renforce cette sensation de propreté. Les ensembles sont à l’unisson, ceux des hommes particulièrement impressionnants (un bel hommage au maître), les corps allongés par des bras perpétuellement tendus vers le ciel sans qu’on comprenne vraiment pourquoi. Les alignements impeccables des Capulets et Montaigus sont heureusement troublés par les affrontements à mains nues puis au fleuret à l’acte I, qui durent assez longtemps pour bien camper le propos. Dommage que la scène soit coupée sitôt la paix conclue entre les deux familles, sans attendre le rebondissement et la confrontation finale. La ronde où se mêlent filles et garçons des deux clans à l’acte II n’est pas sans rappeler la soirée dansante de West Side Story.

Romeo-et-Juliette

L’ouverture du bal est grandiose avec ses envolées de robes pourpres (on remarque tout particulièrement les longues lignes de Claire Teisseyre), pourtant on s’y ennuie rapidement, par manque de rythme ou d’intensité dans les actions dramatiques. Ashley Whittle capte toute l’attention : son Mercutio truculent parvient à lui seul à faire vivre toutes les scènes où il est présent. Sa grotesque imitation des affres de l’amour lui permet également de démontrer sa virtuosité, dans des sauts puissants et des pirouettes effrénées. Laure Lavisse apporte sa gaieté et son sourire mutin au personnage souvent creux de Rosaline, Kase Craig donne en revanche peu de relief au narcissique Pâris, qu’il incarne sans la moindre attention à l’égard de sa fiancée. Davit Gevorgyan, souple et hautain Tybalt, évoque irrésistiblement Charles Jude lorsqu’il entre en scène : son jeu trouve toutefois peu de répondant chez celui de Lady Capulet, un instant dédaigneuse, le suivant éplorée, ni celui du peu autoritaire Lord Capulet.

Dans le rôle des amants maudits de Shakespeare, Roman Mikhalev et Vanessa Feuillate maîtrisent l’art de l’évitement. Juliette danse le ballet entier sans un regard pour Roméo, lequel a toujours le visage tourné vers elle sans parvenir à établir un contact. Le très attendu baiser de main “paume contre paume” est à peine esquissé au moment de la rencontre et les deux jeunes gens meurent sans qu’on soit certains qu’ils se soient jamais trouvés. Le professeur d’adage évoquait samedi lors des Démonstrations de l’École de Danse l’importance de l’intention et du regard, qui peuvent faire toute la différence lors d’un pas-de-deux. C’est cette intention et ce regard qui m’ont cruellement fait défaut tout au long de la représentation ce dimanche.

romoe-et-juliette_Bordeaux_3

 

Roméo et Juliette de Charles Jude, par le Ballet de l’Opéra de Bordeaux, au Grand-Théâtre de Bordeaux. Avec Roman Mikhalev (Roméo), Vanessa Feuillatte (Juliette), Ashley Whittle (Mercutio), Davit Gevorgyan (Tybalt), Laure Lavisse (Rosaline) et Kase Craig (Pâris). Dimanche 22 décembre 2013.

Commentaires (4)

  • Elle

    Je suis allée le 23 à Bordeaux et ce furent pour moi deux heures de bonheur. La version est certes très épurée et plus particulièrement au niveau des décors mais c’est à mon sens pour mieux mettre en valeur les personnages et la danse.Pas une once d’ennui dans cette distribution avec Yumi Aizawa, ravissante et poignante Juliette. Le Mercutio, campé par Neven Ritmanic, drôle et brillant envahit la scène et l’histoire comme l’a souhaité C Jude en lui donnant une consistance qu’il n’a pas dans la version de l’Opéra de Paris. Ses variations incroyablement difficiles sont enlevées sourire aux lèves ! Un mot aussi sur les PDD imaginés par C jude , à mon sens, particulièrement beaux avec des portés originaux et très beaux. Je garde bien volontiers les acrobates même si à l’occasion, ils captent trop l’attention au détriment des danseurs. Il y a tant à voir dans cette version ! et tant à écouter, l’orchestre dirigé par Nathan Fifield comble de plaisir le musicien le plus averti.

    Répondre
    • Bonjour Elle,
      J’ai oublié de parler de l’orchestre mais en effet c’était un bonheur dès les premières notes ! Concernant les acrobates, j’ai eu l’impression aussi qu’ils détournaient l’attention, et surtout qu’ils cassaient le rythme du spectacle, évoluant dans un monde à part.
      Le choix d’une version épurée met en effet en valeur la danse, mais là c’est un avis personnel, Roméo & Juliette est une œuvre trop riche à mon sens pour la réduire à l’histoire d’une passion amoureuse. J’aurais peut-être eu un ressenti différent sur les pas-de-deux avec une autre distribution, les deux danseurs que j’ai vu étaient chacun excellents mais j’ai trouvé qu’ils manquaient d’osmose.
      Enfin Mercutio a aussi une belle présence dans la version Noureev, mais je ne m’en étais jamais rendu compte avant de la voir avec une autre troupe que l’Opéra de Paris.

      Répondre
  • Ownya

    Bonjour, J’ai pour ma part pu assisté à la représentation du 29 décembre. Je suis régulièrement la programmation du Grand Théâtre d’ailleurs et suis rarement déçus.
    Je fus complètement emporté par cette production bien construite élégante et forte.
    Les danseurs y était pour beaucoup , le couple d’étoile a capté et donné sens et émotion au ballet du début à la fin.
    Je suis vraiment admirative du travail d’ Oksana Kucheruk tout au long de la soirée, un peu moins de celui d ‘ Igor Yebra , mais toute fois très bon partenaire me semble t’il !
    L’orchestre était absolument parfait et réussis à nous plonger dans une ambiance tantôt lourde et parfois enjoué , un régale pour les oreilles connaisseuses!
    Une mention particulière à Neven Ritmatic dans le rôle de Mercutio, qui donna au ballet une énergie folle!
    Dès ses premières entrées , l’ors des batailles , on constate et reste subjugué par son saut puissant qui reste léger ! Puis le personnage alors nous accompagne tout le long du ballet, dans l’euphorie et la vivacité, en maniant habilement une désinvolture évidente ! Techniquement solide et puissant ce fut mon coup de coeur de la soirée. Une chorégraphie signé Charles Jude exécuté par de beaux interprètes qui font plaisir à un public conquis qui sait le rendre au danseur ( comme les forts et longs applaudissements en témoigne !

    Répondre
  • Aventure

    J’ai vu ce ballet pendant les vacances avec cette même distribution, ce n’était pas la première fois que je le voyais, mais c’est toujours aussi beau ! Le corps de ballet est impeccable, les combats rendent super bien, le décor épuré et la scénographie fonctionnent à merveille.
    J’ai aimé le couple principal, j’ai trouvé les deux danseurs plutôt en phase personnellement… Vanessa Feuillate m’a beaucoup plu, même si techniquement, je ne me lasse pas de la superbe Oksana Kucheruk. Roman Mikhalev n’a pas forcément le physique du jeune premier (contrairement à son collègue Igor Yebra que j’ai vu la dernière fois, Roméo plus vrai que nature !), mais je l’ai trouvé très précis, très fin, un vrai régal.

    J’ai été séduite par le génial Ashley Whittle que j’ai hâte de revoir, quelle présence ! Et dans le rôle ingrat de Benvolio j’ai adoré Guillaume Debut, j’ai trouvé qu’il avait réussi à donner du relief et du caractère au personnage, il a su le rendre touchant. J’adore ce danseur !

    Mention spéciale au chef des Capulet dans le corps de ballet, Marc-Emmanuel Zanoli (à quand les rôles d’étoiles ? Cela fait longtemps qu’on l’attend), et aux deux amies de Rosaline Marina Guizien et Diane Le Floc’h, j’apprécie toujours ces danseuses. Par contre, Tybalt, bon, je trouve le rôle presque encore plus inintéressant que celui de Pâris, je me demande pourquoi il vient saluer seul…

    Répondre

Poster un commentaire