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Siddharta, ou la vision de Bouddha d’Angelin Preljocaj, épisode 2

Ma deuxième représentation de Siddharta a réuni la distribution Stéphane Bullion/Alice Renavand, le couple choisi pour la répétition publique.

Cette fois ci, j’avais un peu révisé. Mon arrivée précipitée pour mon premier Siddharta avait fait que j’avais vu le ballet sans le découpage dans la tête. Et je dois avouer que j’avais été un peu perdue. Je n’aime pas cette idée de réviser un ballet, de l’étudier avant de le voir. S’il est réussi, il doit toucher n’importe qui, sans avoir besoin de lire une ligne du programme. Peut-être est-ce la preuve que ce ballet de Preljocaj tient plus de l’esthétisme que de l’émotion, mais le spectacle s’apprécie plus avec le découpage dans la tête.

Parcourons donc le ballet avec le livret.

Tableau I Depuis l’aube des temps, l’humanité est confrontée aux forces de Mâra, dieu de la mort, de l’illusion et de la tentation.

Des hommes en noirs, au casque de moto, s’agitent en tout sens. Un bordel savamment organisé. On ne comprend pas vraiment le sens de l’habillage, qui ressemble plus à un plaisir du chorégraphe contemporain de distiller des costumes bizarres que d’une vraie volonté artistique. La scénographie par contre est super : une boule géante, se balançant lentement au-dessus de la scène. Quand la lumière se fait, son ombre surplombe les danseurs en un gros nuage inquiétant. Le résultat est vraiment oppressant, et installe quelque chose d’indéniablement intéressant.  


Tableau II Siddharta retrouve sa femme Yasodhara.

Quelques accords de guitare électrique pour une entrée rock’n’roll de Siddharta. Stéphane Bullion fait son apparition en scène, plongé dans sa réflexion… Mais où est passé l’animalité féline de Jérémie Bélingard ? Yasodhara, tout de rouge vêtue. Là aussi, Christelle Granier me fait regretter la sensualité d’Alice Renavand. Mais le duo reste beau. Stéphane Bullion est déjà dans son monde, impression étrange qu’il a déjà fait son parcours intérieur alors que rien n’a commencé.


Tableau III Lors d’une fête à la cour, Siddharta se sent prisonnier. Il explique à son père, le roi, que son destin n’est pas de s’occuper de politique.

Des couples, en rouge, s’amusent sur des lingots d’or. Ambiance orgie dépravée. Siddharta semble très loin, au milieu ses réflexions, déjà parti. Le roi est impérial, règne sur les autres. Passage d’une vraie beauté esthétique.


Tableau IV Epidémie dans un village.

Cette scène m’avait beaucoup interpellée dès ma première représentation. L’épidémie est ici représentée par un viol collectif. Des femmes, sans aucune volonté physique ou psychologique, se font traîner par terre, porter, tordre dans tous les sens par les motards du début. C’est franchement glauque mais indéniablement réussi et assez fascinant.

Tableau V Précédée de ses messagères, la figure de l’Eveil apparaît. Elle est le rêve de Libération qui est né dans l’esprit de Siddharta.

Est-ce des sylphides, des Willis, des cygnes ? Si elle rappelle les grands actes blancs, l’arrivée des messagères est là aussi une réussite. Personnages immatérielles, fantomatiques, mais aussi joueuses et légèrement taquines, elles annoncent l’arrivée de l’Eveil. D’emblée, j’ai été séduite par l’interprétation d’Alice Renavand. Est-elle un être irréel, fantasmagorique, ou une femme envoûtante cherchant à attirer Siddharta ? En oscillant entre les deux, la danseuse sait donner le ton juste au personnage, qui est plus un concept qu’autre chose. Même si Stéphane Bullion semble un peu ailleurs, leur duo est très beau.


Tableau VI Siddharta annonce à Yasodhara qu’il quitte le royaume pour trouver la Voie de l’illimination.

Attention, âmes prudes s’abstenir. Quand Angelin Preljocaj parle de sexe, il n’y va pas par quatre chemin. Mais cela convient finalement bien à cette scène d’adieu, malgré les toussotements entendus chez mes voisins du parterre. Là encore, Stéphane Bullion et Christelle Granier, malgré leur implication évidente, me font regretter la sensualité de Jérémie Bélingard (soooooo hot) et Muriel Zusperreguy sur le lingot doré. Contrairement aux apparences, je tiens à préciser que non, Jérémie Bélingard n’est presque à peine pas du tout mon obsession du moment.


Tableau VII Il s’enfuit dans la forêt avec son cousin Ananda.

Place à une forêt de tube géant. Beau duo entre Siddharta et Ananda, avec un joli jeu d’échange de costume. Mais qui gagne en intensité avec d’autres danseurs. Aurélien Houlette est un parfait compagnon. Passé l’effet de surprise lors de ma première représentation, je m’y suis ici un peu ennuyée.


Tableau VIII La figure de l’Eveil ne se laisse pas approcher.

Sûrement le passage le plus réussi du ballet. Dans cette forêt de tubes, l’Eveil est accroché aux cintres. Elle cherche Siddharta, le provoque… Et s’enfuit toujours dans les airs au moment où il croit l’atteindre. Un jeu du chat et de la souris bien rendue par une très belle chorégraphie, et un costume de l’Eveil très vaporeux, qui la rend encore plus insaisissable. Vrai (et peut-être le seul) moment véritablement poétique de cette distribution. 


Tableau IX Siddharta et Ananda ont pris place dans une communauté d’ermites.

Des guerriers, munis de lances, prennent possession du plateau. Ennui.


Tableau X Une jeune villageoise, Sujata, joue un air de flûte douloureux qui conforte Siddharta de libérer l’humanité de la souffrance.

Même après avoir vu trois fois le spectacle et lu le programme de long en large, je ne vois toujours pas l’intérêt de ce personnage. Disons que dans le programme, c’est assez expliqué, mais sur scène, rien ne transparaît. Un personnage qui ne sert à rien, c’est triste. Beaucoup d’ennui à chaque fois.  


Tableau XI Quelques ermites suivent Siddharta dans sa quête.

Siddharta et Ananda, un peu oubliés, reprennent possession de la scène. Lumière verte tamisée en fond de scène.

Tableau XII Siddharta et Ananda cèdent à la tentation des plaisirs corporels avec deux villageoises.

Cette scène donne sûrement la plus grosse surprise du ballet. Un énorme châssis de camion, aussi long que la scène, descend doucement des cintres. Siddharta et Ananda y grimpent avec les deux tentatrices pour faire ce qu’ils y ont à faire. Enorme ennui à chaque fois. Car passé la surprise de cette énorme installation éblouissant qui descend du ciel, on a du mal à comprendre à quoi sert ce châssis. Et les deux duos sont étonnement froids. Où est passée la sensualité qui animait si bien le duo Siddharta-Yasodhara ? On est une fois de plus dans une pure esthétique, sans qu’aucun sentiment n’arrive à atteindre le spectateur. Quelqu’un sur un forum a dit que cela lui avait fait penser à une évocation du Kama Sutra. Visuellement, c’est assez juste. 


Tableau XIII Pleins de remords, les deux hommes s’infligent de douloureuses mortifications. La figure de l’Eveil apparaît mais Siddharta n’est pas encore prêt.

Très beau duo entre Siddharta et Ananda, sur une musique tout en percussions. Mais qui perd encore une fois de sa force avec ses interprètes. La deuxième partie offre une scénographie là encore étonnante. L’Eveil apparaît, avec au-dessus d’elle une énorme maison, pimpante et lumineuse. Signifie-elle la paix intérieure ? Même si visuellement elle interpelle, Je me demande encore quelle est sa signification. Et au vue des commentaires du net, je ne suis pas la seule. L’Eveil se livre à un solo, montre à Siddharta les possibilités qu’elle pourrait lui offrir. Alice Renavand y montre toute sa présence scénique et son sens artistique. Il manque pourtant un petit truc à ce passage pour être vraiment intéressant… L’émotion, encore et toujours ? Mais je ne pense pas que cela soit de la faute de l’interprète.


Tableau XIV Siddharta s’est ouvert au monde sensible et à la plénitude présent. Il joue avec une flûte une mélodie sublime et apaisée. Le moment de l’illumination est venu. Une fois les forces du ma repoussées par les messagères, Siddharta voir revenir la figure de l’Eveil et fusionne avec elle. 

La fin est définitivement une réussite. Les villageois reviennent, entourent Siddharta, l’interpellent. L’énergie qui s’en dégage est sublime, je suis emportée. Siddharta a enfin atteint le nirvana. Stéphane Bullion ne danse plus, il est assis en tailleur. Tout chez lui respire la plénitude intérieur, il irradie enfin la scène. Les messagères triomphent des méchants motards, vision un peu naïve mais visuellement réussie. Très beau duo Siddharta/L’Eveil. Si Stéphane Bullion manque de personnalité seul, son partenariat avec Alice Renavand est vraiment réussi, bravo !

Tableau XV Les villageois célèbrent Siddharta qui ne fait plus qu’un avec la figure de l’Eveil.

Tout le monde entoure le couple. Très belle scène de groupe, l’émotion est enfin là. C’est vraiment beau.

Tableau XVI Le roi reconnaît qu’il s’est trompé et demande à son fils de lui pardonner.
A quoi reconnait-on un grand danseur ? A sa capacité de transcender le moindre geste, même le plus simple des pas. Wilfried Romoli arrive sur scène, marche doucement. Il est dos au public et s’incline doucement et respectueusement vers son fils. Et tout est dit.

© Pho­tos 2, 3, 4, 6, 7, 8, 9, 10 : Anne Deniau /Opéra Natio­nal de Paris.Photos 1 et 5 : Rêves impromptus

Commentaires (1)

  • J’ai eu l’occa­­sion d’aller voir Sid­d­harta et je trouve que le tableau de l’éveil est effec­­ti­­ve­­ment très réussi ; aérien, léger et déli­­cat, il apporte un moment de plé­­ni­­tude au milieu d’une pièce par­­fois rude et alour­­die par la scé­­no­­gra­­phie. Les mes­­sa­­gè­­res font éga­­le­­ment de très bel­­les appa­­ri­­tions, fugi­­ti­­ves et quel­­que peu énig­­ma­­ti­­ques…

    Je suis d’accord, cer­­tains pas­­sa­­ges sem­­blent super­­­flus, en fait j’ai trouvé qu’il y avait une sura­­bon­­dance de tableaux, peut être dans un souci d’exhaus­­ti­­vité ou de trop grande fidé­­lité à la vie de Boud­dha ?

    Belle pièce tout de même, qui ne laisse pas indif­­fé­­rent à la sor­­tie 🙂


    > Oui, mal­gré ces défauts, c’est un bal­let qui inter­pelle.

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