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[Retransmission cinéma] L’Âge d’or de Youri Grigorovitch – Ballet du Bolchoï

Le Bolchoï soviétique est de retour et il le clame haut et fort à la face du monde. Saisissant l’occasion du 90e anniversaire de Youri Grigorovitch (chorégraphe des grands ballets soviétiques du répertoire) en 2017, la direction artistique du Bolchoï a exhumé de ses archives L’Âge d’or (1982), après 10 ans de mise en sommeil. Légende d’amour a récemment connu la même renaissance. Depuis la première originale de L’Âge d’or (1928), en pleine époque stalinienne, l’argument a évolué et le contexte politique s’est assoupli. Mais une morale soviétique subsiste de nos jours, celle du bien qui triomphe du mal, des ouvriers vertueux contre la vicissitude de l’appât du gain, au service d’un fin optimiste. Contrairement aux scènes occidentales, dont les répertoires fusionnent en un magma néoclassique à la limite de l’insipide, le Ballet du Bolchoï aime raconter des histoires nationales et mieux encore porter en germe des messages. Même affadi par Youri Grigorovitch en 1982, L’Âge d’or ne déroge ainsi pas à la tradition. La richesse symbolique du ballet comme le génie chorégraphique des ensembles signent une rentrée tonitruante. Un vent d’octobre souffle sur la place Teatralnaïa…

L'Âge d'or - Ballet du Bolchoï

L’Âge d’or – Ballet du Bolchoï

Avec ses allures de music-hall encanaillé, lumière tamisée, costumes années folles et musique jazzy, L’Âge d’or dépeint l’univers d’un cabaret en pleine déliquescence. Les décors constructivistes de Simon Virsaladzé font la part belle aux lettres cyrilliques qui confèrent un charme pittoresque au ballet, vu de l’Occident avec sa machine à fantasme sur le bloc de l’Est. La surprise de la soirée est donc avant tout esthétique.

L’intrigue se résume à un triangle amoureux classique : deux hommes se disputent une femme. L’un représente le bien, l’autre le mal. Regard bleu ciel, silhouette frêle, technique maîtrisée, Nina Kaptsova incarne cette femme ambivalente, une nocturne qui aspire au diurne. Son visage gracieux lui donne un parfum d’antan mais sa danse franche, dénuée de maniérisme, rappelle qu’elle est bien de son temps. Si elle remplit son rôle en Rita, elle ne séduit pas totalement face à l’affriolante Ekaterina Kryssanova, étoile montante de la troupe abonnée aux rôles de peste, qui lui vole la vedette.

Nina Kaptsova - Ruslan Skvortsov (L'Âge d'or)

L’Âge d’or – Nina Kaptsova et Ruslan Skvortsov

Ruslan Skvortsov, en innocent prolétaire tout de blanc vêtu et amoureux transi, ne semble pas à son aise dans ce joyeux capharnaüm. Est-ce le vocabulaire chorégraphique qui lui est étranger ? Ou est-ce le personnage qui ne lui correspond guère ? Quoi qu’il en soit, l’alchimie avec sa promise, Rita, en souffre légèrement et leur romance n’émeut pas démesurément, malgré les beaux pas de deux que le chorégraphe leur a dédié.

Une fois de plus, c’est Mikhail Loboukhine, au génie théâtral maintes fois démontré, qui porte à bout de bras l’héritage du ballet soviétique de Youri Grigorovitch. Sa virtuosité ne vire jamais à la démonstration de force. Son expressivité crève l’écran. Il sait être marquant sans être grotesque, tourmenté sans être caricatural. Il incarne à ce jour le visage le plus sophistiqué du style contemporain du Bolchoï, qui allie fibre tragédienne et danse virile sans égal dans le monde.

Le corps de ballet, comme toujours, montre un investissement technique et artistique qui force l’admiration. Cygnes éthérés, Wilis nuageuses, gladiateurs opprimés, hôtesses aguicheuses : les danseurs et danseuses de la compagnie savent adopter sans réserve un registre puis l’autre en lui donnant force et vie. Le génie de Youri Grigorovitch réside d’ailleurs dans la mise en scène percutante de larges ensembles, masses anonymes qui rendent hommage au peuple. Le corps de ballet constitue ainsi le coeur de l’ouvrage. Les solistes masculins, quant à eux, assument la veine virtuose et athlétique qui fait la fierté du Bolchoï à travers le monde.

Ekaterina Kryssanova - Mikhail Loboukhine (L'Âge d'or)

L’Âge d’or – Ekaterina Kryssanova et Mikhail Loboukhine

Après les retransmissions de Légende d’amour, Spartacus et Ivan Le Terrible, trois autres ballets soviétiques signés Youri Grigorovitch, L’Âge d’or apparait comme une oeuvre moins emblématique du génie du chorégraphe. Les curiosités esthétiques et l’intérêt historico-politique de L’Âge d’or valent toutefois le détour. Censuré en son temps pour avoir véhiculé des modes occidentales dites décadentes, le ballet est aujourd’hui applaudi à l’Ouest si vilipendé par Staline en son temps, grâce aux retransmission en direct au cinéma de Pathé Live. À défaut d’avoir pu voir cela de son vivant, Dmitri Chostakovitch (dont la musique est un chaos selon La Pravda en 1936) était un peu parmi nous par le biais de sa femme, Irina, invitée de Katerina Novikova à l’entracte.

 

L’Âge d’or de Youri Grigorovitch par le Ballet du Bolchoï au Théâtre du Bolchoï. Avec Nina Kaptsova (Rita), Ruslan Skvortsov (Boris), Mikhail Lobukhin (Yashka) et Ekaterina Krysanova (Lyushka). Retransmission en direct au cinéma le dimanche 16 octobre 2016. 

 

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