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Rhapsodie et Les Deux Pigeons de Frederick Ashton au Royal Opera House

La retransmission d’un ballet au cinéma n’a d’intérêt que lorsqu’elle véhicule un soupçon d’altérité. Défi relevé par le Royal Opera House qui a réuni tous les ingrédients du ballet anglais pour son dernier direct au cinéma : l’humour potache des kermesses scolaires, la vivacité de la technique ashtonienne, la diversité culturelle des artistes et le propos mièvrement romantique. La soirée full Frederick Ahston s’est avérée absolutely charming sans aller jusqu’au “pure genius” scandé par Darcey Bussell et ses consœurs pendant les interludes.

Lauren Cuthbertson et Vadim Muntagirov dans Les Deux pigeons

Lauren Cuthbertson et Vadim Muntagirov dans Les Deux pigeons

L’enchantement de la soirée est venu de l’interprétation malicieuse des Deux pigeons (1961) par la troupe qui décline une réjouissante palette de personnalités artistiques. À commencer par de vraies perles, intelligemment employées, comme Lauren Cuthbertson, definitely lovely, qui excelle dans le rôle de “la jeune fille” écervelée aux airs de colombe tragicomique. Elle a le teint de porcelaine et les pommettes rosées des anglaises, les mimiques sagement grotesques des coquettes encanaillées. Mais malgré son charme discret et un brin fermier de “fille mal gardée”, l’attractive et astonishing Fumi Kaneko lui vole la vedette dans les atours de l’envoûtante gitane.

Présence magnétique, postures félines et épaulements sensuels ont donné tout son sens à l’argument de la fable : l’herbe n’est pas plus verte ailleurs mais on comprend que certains soient diablement tentés par l’escapade. Comme “le jeune homme”, pigeon à double titre, qui avait ce soir-là le visage de Vadim Muntagirov. Il combine un aplomb viril et l’âme poétique du peintre bohème – mais volage – qu’il incarne. Quand il rentre penaud au bercail après une envolée fugace chez des gitanes tapageuses, Les Deux pigeons prend un ton plus poignant, à la manière du final d’une comédie romantique dont les Britanniques ont le secret.

Fumi Kaneko - Les Deux pigeons

Fumi Kaneko – Les Deux pigeons

La chorégraphie de Frederick Ashton regorge de witty trouvailles, comme ces clins d’œil à la gestuelle des volatiles : ébrouement de pigeon, mort de cygne, port de tête de tourterelle. L’humour poli du chorégraphe émaille le ballet avec une coquetterie très anglaise. Comme pour rendre hommage aux racines françaises du ballet, la scénographie ne lésine pas sur les références à l’Hexagone. Cependant, les petites danseuses à la Degas dans l’atelier vétuste du peintre ou encore la verrière à travers laquelle on devine les hauteurs de Montmartre n’altèrent pas la britishness du ballet. Cerise sur le muffin, la présence de deux pigeons très investis dans leur rôle achèvent d’attendrir les moins convaincu-e-s.

Cette représentation des Deux Pigeons doit aussi certainement beaucoup à la réunion de tempéraments différents, glanés aux quatre coins du monde. À l’image de Londres, la troupe est fièrement multiculturelle. Parce qu’elle est judicieusement exploitée, cette diversité fait la richesse du Royal Ballet de Londres.

Lauren Cuthbertson et Vadim Muntagirov dans Les Deux pigeons

Lauren Cuthbertson et Vadim Muntagirov dans Les Deux pigeons

Avant de déferler sur la scène du Palais Garnier, les programmes mixtes ou “mixed bill” étaient des mets typiquement anglo-saxons. Il fallait de préférence traverser la Manche ou l’Atlantique pour profiter de ces soirées éclectiques et dynamiques, qui enchaînent plus les hors-d‘œuvres qu’ils ne multiplient les chefs-d’œuvres. Juxtaposer des pièces courtes sans continuité narrative a peut-être surpris en son temps. De nos jours, ce genre de soirée se montre trop souvent inégal. Les premières œuvres semblent glissées là comme un échantillon pour étoffer une offre commerciale. Avec Rhapsodie/Les Deux pigeons, le programme Frederick Ashton du Royal Ballet a le mérite de délivrer des saveurs britanniques homemade dont la rareté fait la valeur. Et à défaut d’une construction narrative continue, le programme a le mérite de la cohérence artistique (que certains directeurs en prennent de la graine !). Des interprètes choisis avec beaucoup de goût, une démonstration chic du style anglais et une pleine louche d’esprit ont rappelé que l’original est toujours préférable à la copie. Seulement, Rhapsodie en guise d’avant-propos était-il vraiment nécessaire ?

Natalia Ossipova et Steven McRae dans Rhapsodie

Natalia Ossipova et Steven McRae dans Rhapsodie

Cette pièce abstraite créée en 1980 sur la rhapsodie de Rachmaninov sur un Thème de Paganini est peut-être un peu trop anecdotique. Virtuosité dans la fosse, virtuosité sur scène. Rhapsodie sonne un peu comme du Balanchine après Balanchine. Un temple de type néoclassique plante le décor, épuré, romantique. Les tuniques vaporeuses pastel des demoiselles alertent qu’il y a de l’Apollon Musagète dans l’air. À moins que la dextérité percutante de la chorégraphie ne soit inspirée de Thème et Variations. Les danseurs et danseuses semblaient en effet nous dire “la danse, c’est la musique rendue visible“.

Cette démonstration de technique pure a davantage compté sur le couple Natalia Ossipova/Steven McRae, de renom mondial, que sur ses qualités intrinsèques. Natalia Ossipova ne manie pas vraiment les anglicismes de la compagnie. Elle reste elle-même, alliance extraordinaire d’un visage d’astre solaire et d’un corps de météorite supersonique. Il fallait bien l’aisance technique de Steven McRae pour l’égaler côté héros. Seul bémol à sa performance : les gros plans répétitifs, en rendant compte des efforts déployés, ne rendaient pas justice aux prouesses de ce danseur explosif.

 

Soirée Frederick Ashton par le Royal Ballet de Londres au Royal Opera House. Rhapsodie de Frederick Ashton avec Natalia Ossipova, et Steven McRae ; Les Deux Pigeons de Frederick Ashton avec Fumi Kaneko, Lauren Cuthbertson et Vadim Muntagirov. Retransmission en direct au cinéma du mardi 26 janvier 2016.

 

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