TOP

Diane Saller raconte son Prix de Lausanne

Danses avec la plume était allée rencontrer Diane Saller, candidate au Prix de Lausanne 2014, avant le début de la compétition. Quelques jours après la fin de cette semaine si particulière, la jeune danseuse revient sur cette expérience et ce qui l’attend par la suite.

Prix-de-Lausanne_2014_Diane-Saller_2

Diane Saller – Prix de Lausanne 2014

Le Prix de Lausanne s’est terminé il y a quelques jours. Avec une semaine de recul, comment décrirais-tu cette expérience ? 

Cette semaine passe très vite… On est immergé avec des danseurs et danseuses excellent-e-s. Si j’ai été choisie, c’est que j’ai le niveau. Cela donne confiance pour continuer et se dire qu’une carrière peut être possible. Je pense que je ne me rends pas compte aujourd’hui de tout ce que le Prix de Lausanne m’a apporté, aussi bien pour la danse que pour les contacts, que ça ne va pas forcément se concrétiser tout de suite.  C’est quelque chose que je vais réaliser dans les mois ou les années à venir, je vais me rendre compte que ça m’a apporté beaucoup plus que je ne l’aurais imaginé.

 

Quelle a été ta première impression en arrivant au Prix de Lausanne ? 

Que la barre est très haute ! Nous avons eu un premier cours le dimanche, sans public. Tout le monde se regardait, il y avait une certaine pression. Toutes les filles levaient très haut la jambe avec des cous-de-pied magnifiques. Mais je m’attendais à ça. Au fur et à mesure du cours, je me suis dit qu’il fallait que je me batte, que j’avais ma place, qu’il fallait que je fasse du mieux que je pouvais. J’ai tendance à me sous-estimer, à me trouver moins bien que les autres. Dans les cours, je me disais que je valais aussi la peine, que je n’avais pas été choisie pour rien, qu’il fallait que je montre ce que je savais faire.

Le niveau est énorme, c’est Lausanne. Personne n’avait rien à faire là, chacun-e avait son point fort. Pendant les cours, il y avait toujours des filles qui se trompaient mais elles se rattrapaient tout de suite. Personne ne tombait. Ça nous poussait à aller de l’avant.

 

Dès le premier cours, quels ont été pour toi tes qualités qui pouvaient te démarquer ? 

Nous sommes placées à la barre selon nos numéros. Je trouvais que les autres filles à côté de moi n’étaient pas forcément très expressives à la barre. J’ai eu moi-même pas mal de corrections sur le fait que je ne m’exprimais pas assez. J’ai donc essayé de faire de mon mieux et d’exprimer des choses, de développer mon côté artistique dès la barre. Je m’échauffais bien aussi avant les cours, j’essayais de bien tirer mes pieds pendant les petites batteries et les dégagés, toutes les autres avaient des lignes magnifiques.

 

Tu parles beaucoup de la ligne de jambe des autres candidates. C’est un détail qui t’a marquée ? 

Toutes les candidates étaient vraiment de superbes danseuses. Les garçons étaient aussi très impressionnants.

Diane Saller - Prix de Lausanne 2014

Diane Saller – Prix de Lausanne 2014

Comment étaient les cours de danse classique, qui ont été donnés pour les danseuses par Stefanie Arndt ?

C’est une professeure américaine. J’ai adoré, même si c’est assez différent de ce que l’on fait en Europe. Ces cours m’ont beaucoup apporté. Je connaissais un peu ce style car j’ai fait une summer school à Washington l’année dernière. Ils ont leurs ports de bras à eux. On a fait beaucoup d’exercices de petite batterie, au moins trois par cours, avec des enchainements très particuliers. C’était un peu comme des séries complexifiées, avec des petits pas en plus. C’était donc plus dur à mémoriser. On mettait aussi les pointes dès la fin de la barre, ce à quoi je n’étais pas forcément habituée. C’est un peu plus dur de montrer son cou-de-pied avec des pointes dans les dégagés.

 

Quels conseils vous donnait-elle ? 

Elle faisait beaucoup de corrections sur le plan artistique. Elle disait qu’un mouvement devait toujours être continué, ce n’était jamais une pose, même en exercice. Elle avait un mot pour la barre, que l’on pourrait traduire par “relier” en français. Tout doit être relié. Ça m’a marquée. Je vais essayer de le faire maintenant tout le temps, c’est vraiment joli.

 

Elle t’a donné des conseils en particulier ? 

Pour mes arabesques, elle m’a justement dit qu’il fallait toujours relier et continuer le mouvement avec les bras. Elle m’a dit que mes bras étaient trop rétractés, je dois plus les ouvrir, faire des ports de bras plus amples. Elle m’a fait plus de corrections sur le haut du corps, les regards, l’expressivité. Il y avait aussi beaucoup de cambré dans ses adages. Il fallait donner des petites respirations, donner de l’ampleur au mouvement tout le temps.

 

Comment se sont passés les cours de danse contemporaine avec  Duncan Rownes ?

C’était vraiment un super professeur, mais le pauvre, on était toujours son dernier cours de la journée en fin d’après-midi (rires). Il était un peu déçu au début par notre groupe. Pour lui, il faut donner beaucoup de soi-même en contemporain et il trouvait que notre classe ne le faisait pas assez, que nous étions un peu trop retenues. Nous refaisions donc souvent les mêmes pas et enchaînements jusqu’à ce que l’on donne assez de nous et qu’on se lâche un peu. À tous les cours, il nous faisait venir autour de lui et nous disait : Écoutez, à votre niveau, tout le monde sait faire les pas. Maintenant, il faut donner de vous, être une danseuse complète. Nous sommes des artistes, il faut y aller et danser. Ça m’a apporté beaucoup. J’essayais d’appliquer ses corrections tout de suite, mais ce sont des choses qui ne viennent pas du jour au lendemain.

 

Que t’a donné comme conseils Monique Loudières pendant le coaching de ta variation classique, celle de la Reine des Dryades ?  

Elle a été très cash. “Mais tu entends la musique ?“, m’a-t-elle lancé d’emblée. On ne pouvait pas choisir notre musique, celle qui était imposée était très lente. Il fallait vraiment que je reste sur les temps et ça n’était pas évident. Je faisais les pas, mais tout était trop mécanique. Monique Loudières m’a conseillée de m’inventer une histoire, un monde à moi, et qu’il fallait que ça se voit. Je l’ai croisée juste avant la finale, elle avait été surprise par ma variation contemporaine pendant les sélections. Elle m’a dit que je devais trouver un état d’esprit pour mes variations classiques. Ce n’est pas vraiment un travail, mais c’est à trouver. C’est difficile, ça ne va pas venir d’un coup.

Prix-de-Lausanne_2014_Diane-Saller_5

Diane Saller – Prix de Lausanne 2014

La pente de la salle t’a-t-elle posé problème, notamment pour les fouettés à l’italienne ?

La pente pour les fouettés ne m’a pas vraiment gênée. Le problème était plutôt au début pour les fouettés arabesques, quand il faut rester en équilibre. J’ai trouvé que la pente était dure pour ces pas. Pour les fouettés à l’italienne, c’est vraiment la musique qui m’a posé des difficultés, elle était vraiment lente. Je sentais bien les premiers mais ça devenait plus dur au bout du 5e. Même Monique Loudières a été surprise par cette version musicale. À chaque coaching, je n’arrivais pas à tous les passer. Monique Loudières m’a dit que si je n’y arrivais pas, il fallait mieux finir par des piqués et des déboulés, mais finir proprement. J’ai suivi son conseil pour la demi-finale.

 

Était-il facile de communiquer avec les autres candidates qui ne parlent pas toutes français ? 

Les cours étaient en anglais, mais ça ne m’a pas gêné, j’ai pris l’habitude avec ma summer school l’été dernier. Nous avons aussi de la chance, les pas sont en français, c’est un langage assez universel. Pour les conseils plutôt anatomiques ou artistiques, notamment pour les cours de contemporains, toutes les traductrices arrivaient. Et ça pouvait être un peu gênant car il y avait trois ou quatre traductrices différentes, ça faisait un brouhaha, on avait parfois du mal à entendre le conseil. C’était un peu difficile de communiquer, tout le monde ne parlait pas forcément anglais.  C’était plutôt tous ces petits échanges, des petits sourires entre nous, ça veut tout dire. Il régnait en tout cas une bonne ambiance. Chacune était très concentrée mais il n’y avait pas un esprit trop compétitif.  Il n’y avait pas de concurrence, c’est très respectueux. Cela mettait donc moins la pression par rapport à d’autres concours.

 

Qu’est-ce qui était le plus stressant d’ailleurs, les cours devant le jury ou la demi-finale sur scène ?  

Le premier cours de danse classique devant le jury, dès le lundi, était vraiment stressant. Ce n’était pas un cours normal. Si on ratait quelque chose, il fallait continuer comme si de rien n’était. Pour la demi-finale, j’ai eu un coup d’adrénaline juste avant, mais une fois sur scène, tout s’est bien passé. Je me suis dit que Lausanne était mon rêve depuis des années, que maintenant j’y étais. Il fallait que je profite. Et j’en ai profité. J’ai eu des petits ratés mais je me suis vraiment concentrée sur le moment. À tel point qu’une fois sortie de scène, je ne savais plus très bien ce que j’avais fait.

Le Networking Forum (une classe pour les non-finalistes devant les directions des grandes écoles de danse), juste avant la finale, était aussi très stressant. Dès que je me suis placée à la barre, j’ai eu un coup de pression, on m’avait bien répété que c’est là où se jouait ma vie (rires). Ma hantise était d’avoir un trou de mémoire. J’écoutais bien, je regardais bien, je gravais les exercices dans ma tête. Je ne voulais pas me tromper. Au final, J’étais assez contente de moi, j’ai dû me tromper une fois ou deux. J’ai fait du mieux que j’ai pu à chaque fois. Cela faisait une semaine que l’on prenait des cours avec Stefanie Arndt, on commençait à connaître son style. Je crois que c’est le cours où j’ai le mieux dansé.

Diane Saller - Prix de Lausanne 2014

Diane Saller – Prix de Lausanne 2014

Qu’est-ce qui t’a manqué pour accéder à la finale ?

J’ai pu avoir un rendez-vous avec un membre du jury, Christopher Powney. Il m’a dit que le jury avait beaucoup aimé ma prestation. Mais qu’ils ont été étonnés parce qu’ils ne m’avaient pas vraiment remarquée pendant les cours. Il faut donc que je donne la même énergie en cours que sur scène, que je sois dans le même état d’esprit, que je montre dès la barre ma joie de danser. Les auditions pour les écoles  se font d’ailleurs sous forme de cours, on ne nous voit pas sur scène. Il faut que je marque tout de suite. C’est ce que m’a toujours dit ma professeure Jacqueline Coulouarn. J’avais pourtant essayé de faire mon maximum, mais visiblement ce n’était pas assez. C’est vrai que je ne cherche pas à me montrer, à être démonstrative, je ne m’en rends pas bien compte. Il faut que je m’y mette. Je vais appliquer ça dès le YAGP où nous avons quelques cours. Ce n’était pas une question de placement en tout cas.

 

Est-ce que cela t’a en tout cas rassurée sur ton niveau technique ?  

Les pas, en soi, ça allait, j’avais à peu près le niveau. Au niveau de la mémoire aussi. Tout le monde avait des trous de mémoire, même les meilleures. Au niveau technique, j’étais plus impressionnée par les cous-de-pied, les levers de jambe qui tiennent longtemps et montent haut. Il y avait aussi Tyler Donatelli qui faisait beaucoup de tour à gauche ! C’était elle la tourneuse de Lausanne ! (rires). Elle est allée jusqu’à cinq tours à gauche sur la même diagonale.

 

Quelles sont les propositions que tu as eues à l’issue du  Networking Forum ?

J’ai eu une bourse pour la Canada’s Royal Winnipeg Ballet School. Les résultats, c’était aussi un gros coup de stress ! Le coeur fait des bonds… Quand j’ai vu mon numéro affiché, j’étais très contente. Puis nous sommes allées au bureau pour voir mes propositions. Lorsque j’ai vu que je n’en n’avais qu’une seule, je ne cache pas que j’ai été assez déçue. J’espérais un peu plus. Finalement, j’ai relativisé, des filles magnifiques et très fortes n’ont rien eu. Même si ce n’était pas l’école dont je rêvais, cela veut dire tout de même que j’intéresse des gens, que j’ai du potentiel. C’est l’essentiel.

 

Vas-tu y aller l’année prochaine ?  

Je n’ai pas encore totalement pris ma décision. C’est vrai qu’au début, je voulais rester dans un pays européen. Mais le Canada est un pays très accueillant. Apparemment, cette école a un bon niveau et pas mal de moyens. Le directeur m’a expliqué comment ça se passait, la vie là-bas, le cursus. Il y a des cours de danse le matin et en début d’après-midi, puis une pause où les élèves encore au lycée vont en classe, et de nouveaux cours de danse le soir. Il y a aussi des répétitions. Les grands élèves sont un peu des “trainees” (ndlr : stagiaires), on peut faire des tournées tout en étant élève à l’école. La direction m’a proposé de faire un stage pour voir mon niveau et comment ça se présente. J’ai d’autres stages, d’autres auditions, donc j’attends de voir.

 

Qu’est-ce qui t’attend dans les mois à venir ? 

J’ai la finale du YAGP à New York en avril, où j”espère avoir aussi des propositions. La demi-finale m’a fait gagner un stage à l’école de l’ABT, qui pourrait déboucher sur une audition pour y passer une année entière. J’ai aussi gagné un stage à Munich au concours de Grasse, qui pourrait également amener vers une audition pour l’école. Je passe enfin l’audition pour la Royal Ballet School… et j’ai mon bac en juin. Le programme est chargé !

 

Quels conseils donnerais-tu à ceux et celles qui veulent se présenter au Prix de Lausanne ? 

Travailler beaucoup ! Et persévérer, ça paye tôt ou tard. La preuve, je n’ai pas été prise l’année dernière et j’ai été sélectionnée cette année. Il faut aussi rester soi, ne pas imiter les autres. Et quand on est face à quelqu’un de très fort, avoir envie d’aller plus loin plutôt que de se démotiver.

Prix-de-Lausanne_2014_Diane-Saller

 

 

Commentaires (2)

  • a.

    Très intéressant, cette jeune fille a l’air très mature! J’aurais bien voulu savoir pourquoi des filles, dont elle dit qu’elles sont très fortes (coup de pied, lever de jambe), n’ont eu aucune proposition. Fini l’ère du technique à gogo? les directeurs d’école cherchent-ils des artistes? En tout cas, Lausanne a l’air artistiquement passionnant…

    Répondre
  • Estelle

    Cette interview est très intéressante. Comme d’autre, je me demande combien de candidats ne sont pas sélectionner pour le networking ? Cela me parait surprenant alors que je les trouve tous d’un excellent niveau.
    En tout cas je reste une fan inconditionnelle du Prix de Lausanne.

    Répondre

Poster un commentaire