Didon et Enée de Blanca Li
Blanca Li, toute nouvelle présidente de la Villette, a investi l’Espace Chapiteaux pour présenter sa toute nouvelle création Didon et Énée d’Henry Purcell. Sur l’enregistrement des Arts Florissants dirigés par William Christie, la chorégraphe espagnole construit une succession de tableaux traversant l’éventail des émotions exprimées dans le chef-d’œuvre du compositeur baroque. Histoire d’amour et de passions contrariées, la partition de Purcell regorge d’airs poignants superbement illustrés par les dix danseuses et danseurs choisis par Blanca Li. Elle propose ainsi un spectacle d’une beauté plastique remarquable convoyé par d’excellents interprètes. Didon et Énée est une belle réussite même si l’émotion peine parfois à surgir.
Blanca Li avait chorégraphié l’opéra de PurcellDidon et Énée à la demande de William Christie. Et comment ne pas tomber instantanément sous le charme envoûtant de ce chef-d’œuvre du répertoire baroque ? La chorégraphe a éprouvé quelques difficultés à s’en séparer. Ainsi est né le projet de prolonger cette aventure artistique en concevant cette fois un pur ballet. Comme elle l’explique dans une interview reproduite dans le programme, ce travail avec William Christie instaurait un double niveau de narration portée par la voix et par la danse. Convaincue qu’il y avait là un matériau propre à construire un ballet, Blanca Li a fait enregistrer une représentation par les Arts Florissants au Gran Teatre del Liceu de Barcelone et entamé ce travail avec dix danseuses et danseurs. À partir d’improvisations collectives, demandant aux interprètes de “traverser des émotions comme le désespoir, la tristesse”, elle s’est inspirée de “danses latines comme la salsa…”.
Il était inutile de charger la scénographie. Entre musique, chant et danse, nul besoin d’alourdir par un décor qui détournerait l’attention. Assistée de Nina Coulais, Blanca Li a imaginé un espace noir épuré sur un sol brillant qui reflète et réfracte les corps des interprètes et leurs mouvements. Il n’y a pas davantage de narration mais des tableaux successifs où les danseuses et les danseurs sont tous les personnages. L’ouverture est somptueuse avec un ensemble splendide où les artistes incarnent à l’unisson un instrument à cordes – violoncelle ou basse – en écho à la musique de Purcell. Le rideau est juste entrouvert avant que l’on découvre la totalité de l’espace. On regrette l’excès de réverbération dans la sonorisation de la musique et des voix dans cet espace qui ne s’y prête guère.
Blanca Li aime diversifier les esthétiques et composer un style qui sied à chacun de ses spectacles. Si le mouvement est ici essentiellement contemporain, il se croise avec d’autres techniques empruntées à l’académisme et aux danses urbaines dans les solos et les duos qu’elle imagine. Les ensembles sont les points d’ancrage du spectacle et c’est de ces images collectives qu’il tire sa force. On est plus réservé sur d’autres aspects, en particulier l’usage de l’eau sur scène. “La mythologie antique est remplie d’histoires de mer”, explique Blanca Li. “Je voulais ramener l’idée du voyage, de l’expédition maritime et la sensation de l’infini”. On comprend l’intention mais ces glissades sur l’eau qui a envahi le plateau, ces mouvements collectifs au sol mimant le voyage en bateau à rames, ont un goût de déjà-vu. La séquence est trop longue, altère le rythme du récit et dilue le registre des émotions. À ce moment précis, seule la musique et la voix des solistes transmettent le destin contrarié de Didon et Énée. Les émotions reviennent en cascade lors du final avec le suicide de la Reine de Carthage, moment bouleversant.
Mais en dépit de ces réserves, on est porté par le savoir-faire de Blanca Li, sa générosité flamboyante qui transparaît dans ce spectacle ancré dans une vision collective de l’art et de la culture. C’est d’ailleurs le sens qu’elle souhaite donner à sa présidence. “Le spectacle vivant propose des moments de partage, de communion, qui peuvent nous changer à tout jamais. La création nous donne accès au point de vue, à la pensée de l’autre”, souligne Blanca Li qui souhaite attirer à la Villette un nouveau public à travers des événements festifs et populaires. C’est la qualité première de ce Didon et Énée, spectacle exigeant et grand public qui donne à entendre un chef-d’œuvre du répertoire et à voir une danse contemporaine accessible à tous. C’est déjà beaucoup.
Didon et Enée de Blanca Li , avec Alizée Duvernois, Gaël Rougegrez, Julien Marie-Anne, Meggie Isabet, Victor Virnot, Coline Fayolle, Maeva Lassere, Martina Consoli, Gaëtan Vermeulen et Quentin Picot. Musique enregistrée : Didon et Enée et Celestial Music Did The Gods Inspire de Henry Purcell. Les Arts Florissants, direction musicale William Christie. Jeudi 17 octobre 2024 à l’Espace Chapiteaux de La Villette. À voir jusqu’au 31 octobre, en tournée de décembre à mars en France et en Belgique.