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Brûler d’envie de David Gauchard et Martin Palisse – 36 promotion du Centre National des Arts du Cirque

Pour le spectacle de fin d’études de sa 36e promotion, le Centre National des Arts du Cirque a fait appel à David Gauchard et Martin Palisse, qui signent un spectacle radical, exigeant pour ses interprètes comme pour le public. Sans rompre avec les attentes de virtuosité que l’on peut avoir à l’égard du cirque, Brûler d’envies engage pleinement ses six circassiens et circassiennes dans un rapport politique à nos sociétés contemporaines. Ce qui en fait une pièce sombre, parfois difficile d’accès, mais également d’une réelle profondeur et qui résonne longtemps après la représentation.

 

Brûler d’envies de David Gauchard et Martin Palisse – 36 promotion du CNAC

 

C’est la tradition de chaque début d’année : la promotion sortante du Centre National des Arts du Cirque, qui entrera dans le monde professionnel dans quelques mois, présente à La Villette son spectacle de fin de formation. Le metteur en scène David Gauchard et le jongleur Martin Palisse ont été choisis pour guider la 36e promotion et leur créer Brûler d’enviesAlors que la voix qui installe le public nous invite à la « perte de nos repères« , le spectacle débute par vingt minutes d’oppressante obscurité. Dans un noir absolu que redouble une lourde fumée, seuls apparaissent les éclats métallique des agrès, bientôt éclairés par les clignotements de lumières rouges (torches ou feux d’urgence ?) portées par les interprètes. Silhouettes invisibles, ils et elles se massent et se déplacent comme une troupe clandestine, braquant sans ménagement leurs torches sur le public.

Sur la musique pulsée de Pangar, des slogans angoissants scandent « Pouvoir à toutes les droites« , plantant d’emblée la dimension politique du spectacle, et donnant une portée très contemporaine à ce qui aurait à première vue pu ressembler à une atmosphère post-apocalyptique. Lorsqu’un faisceau de lumière pâle balaye enfin la piste, c’est pour révéler des interprètes en cagoules et bandages, habitant·es d’un futur dystopique ou militant·es organisé·es en réseau de résistance au sein de sociétés ravagées par les guerres et par la haine.

 

Brûler d’envies de David Gauchard et Martin Palisse – 36 promotion du CNAC

 

La roue Cyr de Mano Vos, qu’il porte à l’épaule, différant encore le moment de la performance acrobatique, se fait signe de ralliement ou arme de défense plutôt que réel agrès. Il faut attendre l’impressionnant numéro d’équilibre sur cannes de Jaouad Boukhliq pour que débutent les démonstrations individuelles, entrecoupées de retrouvailles collectives. Les élèves du CNAC sont de diverses nationalités – marocaine, irlandaise, suisse…-, et c’est sur un texte en arabe, où l’on discerne le mot de « Salam », la paix, que Jaouad Boukhliq déploie son impressionnante souplesse et sa lévitation poétique. Porté par le groupe, il fait renaître l’espoir là où l’angoisse occupait tout, en même temps que surgissent dans les espaces de ses gestes toutes les peurs du présent. C’est ensuite sur une litanie déclamant en anglais les droits des êtres humains que Heather Colahan-Losh déroule sa danse verticale à la corde lisse, où à la chute empêchée succède l’ascension obstinée. Par ses figures d’acrobatie au sol, qui prennent des airs de danse hip-hop, Marine Robquin exprime à son tour une rage énergique et puissante.

Mais Brûler d’envies est d’abord une ode au collectif et à ce que peuvent les solidarités face au chaos et à l’angoisse. Monté·es sur des murs d’enceintes éclairés de rouge, les interprètes se jettent tour à tour dans le vide, toujours rattrapé·es par un groupe mouvant et attentif. Quand ils s’enduisent de talc, se grattant comme au sang ou se hâtant d’être prêt·es, l’atmosphère devient fébrile et la pulsation du collectif vibrante. La lumière d’Alix Veillon et Jean Ceunebroucke, blafarde ou cinglante, toute en jeux de rouge ou de bleu vifs, souligne avec acuité les déplacements en même temps qu’elle laisse à chacun et chacune le noir nécessaire pour préparer son numéro ou reprendre son souffle.

 

Brûler d’envies de David Gauchard et Martin Palisse – 36 promotion du CNAC

 

Certains passages sont particulièrement frappants et finissent d’emporter. Ainsi des prouesses acrobatiques de Mano Vos à la roue Cyr, soutenues par les sourdes envolées de la musique de Pangar, ou des sublimes ascensions seul et à deux du mât chinois par Antonin Cucinotta et Uma Pastor. Se guidant l’un l’autre vers le sommet, ils font voltiger la piste dans des élans d’amitié et de passion qui donnent soudain des échos plus désirants au titre du spectacle.

Brûler d’envies est ainsi une pièce lucide et éprouvante, où l’angoisse ne se lève par moments que pour mieux retomber. On peut se demander dans quelle mesure elle est adaptée à un jeune public, nécessairement attendu sur ce type d’événements. Mais elle n’en oublie pas d’être généreuse, tant par ses numéros à la virtuosité inouïe que par la densité de sens qu’elle offre à ses interprètes. Réunis dans une fin comme inachevée, ou plutôt ouverte en point d’interrogation vers l’avenir, ces circassiens et circassiennes incarnent une génération en corps à corps avec un monde grevé d’incertitudes, et qui pourtant fait face, et allume quelques lumières vacillantes.

À l’issue de cette représentation, on pense aussi à Titouan Maire, étudiant en acrobatie de cette 36e promotion, et décédé suite à une chute accidentelle en mai 2024.

 

Brûler d’envies de David Gauchard et Martin Palisse – 36 promotion du CNAC

 

Brûler d’envies de David Gauchard et Martin Palisse par la 36e promotion du Centre National des Arts du Cirque. Avec Jaouad Boukhliq, Heather Colahan-Losh, Antonin Cucinotta, Uma Pastor, Marine Robquin et Mano Vos. Musique de Pangar, conception lumière Alix Veillon et Jean Ceunebroucke, conception et réalisation costumes Leonor Gellibert et Darius Grenier. Samedi 25 janvier 2025 à l’espace Chapiteaux de La Villette. À voir jusqu’au 16 février

 

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