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Soirée d’adieux de Mathieu Ganio : pluie de fleurs et cœurs avec les mains

Il aurait pu choisir tant de rôles pour quitter cette scène qu’il a habitée avec grâce pendant plus de deux décennies. Mais, comme il l’avait annoncé, c’est bien dans Onéguine que Mathieu Ganio a mis un terme à sa carrière au sein du Ballet de l’Opéra de Paris le 1er mars. Toute la compagnie, pas seulement sa partenaire Ludmila Pagliero d’une intensité exceptionnelle, a donné le meilleur comme ultime cadeau à l’une de ses Étoiles les plus aimées. Des adieux émouvants, simples, couverts d’une pluie de fleurs jetées des loges de côté comme des mercis. On se souviendra longtemps de ce jeune homme de 40 ans adressant un cœur palpitant avec les mains à son public et aux danseuses et danseurs présents sur le plateau de Garnier après vingt minutes d’ovation.

 

Adieux à la scène de Mathieu Ganio

 

La joie et la nostalgie qui planent sur le premier acte d’Onéguine de John Cranko font d’emblée écho au sentiment général de la soirée. Dans une vie de spectateur et spectatrice, voir danser pour la dernière fois un artiste que l’on a suivi durant toute sa carrière constitue un moment marquant. Envie de fixer l’instant, d’en garder une trace. Quand Mathieu Ganio entre sur le plateau alors que la première scène dans le jardin de Madame Larina est bien entamée, tout le monde retient son souffle. Des applaudissements, comme cela se fait parfois pour saluer l’arrivée d’une Etoile attendue ? Plutôt les réserver pour plus tard. Profiter de ce premier solo, de ces tours suspendus, mains tendues vers le ciel, comme des tentatives d’y trouver des réponses.

Le pas de deux de la rencontre avec Tatiana aide à saisir le personnage. Presque absent à lui-même par moments, comment pourrait-il percevoir l’émoi de la jeune fille ? Et si son cynisme et son indifférence n’étaient que la traduction de son désespoir ? De cette âme tourmentée, l’Étoile a saisi toutes les nuances. Durant les trois actes, il jalonne son interprétation de détails infimes qui donnent son relief à ce dandy désabusé : un signe d’agacement, un regard perdu dans le vague, une main qui effleure le vide, une joie un peu factice quand il flirte avec Olga dans le deuxième acte…

 

 

À côté de Mathieu Ganio, les autres Étoiles habitent leur rôle avec justesse. Ludmila Pagliero, au premier chef, est une partenaire idéale. De leur rencontre au premier acte jusqu’au déchirement final, chaque pas dansé ensemble respire une intelligence des intentions. L’entente est si belle à voir, notamment dans l’admirable pas de deux du rêve. Bien sûr que le danseur excelle à mettre en valeur sa partenaire, mais elle lui rend la pareille au centuple. Deux Étoiles maîtrisant chaque subtilité de leurs personnages. Léonore Baulac campe, elle, une Olga candide et insouciante que les circonstances vont faire grandir trop vite. Marc Moreau, en Lenski à l’honneur bafoué, émeut dans la variation qui précède le duel et offre un autre regard sur son travail. Son trio avec Olga et Tatiana en figures de lamentation qui tentent de le dissuader d’affronter Onéguine est bouleversant. De son côté, la compagnie vibre d’une belle énergie dans les mouvement d’ensemble. Magnifiques scènes de bal millimétrées et parfaitement synchronisées !

Quand, dans les dernières secondes, Tatiana enjoint Onéguine de partir, dans cette scène poignante où la raison dicte une action à laquelle le cœur se refuse, la tension dramatique est à son apogée. Mathieu Ganio s’éclipse, le visage défait, pour disparaître en fond de scène. Ludmila Pagliero reste seule, rongée par les remords. Le rideau tombe et nous restons comme sonnés. Le couple apparaît pour saluer et un tonnerre d’applaudissements jaillit de la salle. Tous deux semblent reprendre leurs esprits. Le reste de la compagnie les rejoint lors d’un nouveau lever de rideau.

 

Adieux à la scène de Mathieu Ganio, avec Ludmila Pagliero

 

Puis, comme le veut la tradition, Mathieu Ganio reste seul au milieu de la scène, alors que les confettis dorés commencent à voleter autour de lui. Des roses sont jetées des loges. Le public se lève. Une forêt de portables se dresse pour capturer ces moments précieux. Rarement on en a vu autant à l’orchestre. Les bravos éclatent de toutes parts. Le premier à entrer est José Martinez, Directeur de la Danse, qui le serre longuement dans ses bras. À jardin, ses partenaires apparaissent et l’enlacent longuement : celle de la soirée bien sûr, Ludmila Pagliero et Léonore Baulac, mais aussi Agnès Letestu, Alice Renavand, Claire-Marie Osta, Hannah O’Neill, Amandine Albisson, Isabelle Ciaravola, Laetitia Pujol. Dorothée Gilbert Eleonora Abbagnato. À cour, on aperçoit Benjamin Pech, Sae Eun Park et l’ancienne Directrice de la Danse de l’Opéra de Paris Brigitte Lefèvre. Côté famille, son mari Audric Bezard avec leur fils, sa mère Dominique Khalfouni et sa sœur Marine Ganio, Première danseuse. En fond de scène, son ami depuis l’École de Danse Cyril Mitilian, qui a dansé l’un des officiers, lui donne une chaleureuse accolade.

Une vingtaine de minutes plus tard, les applaudissement n’ont pas cessé. Le danseur profite de ces moments, sourire aux lèvres, faisant mine de glisser sur le tapis doré de confettis. J’avais lu quelques jours avant de me rendre à cette soirée Quand je danse, je danse, une chronique de la philosophe Laurence Devillairs sur l’art de vivre de Montaigne. Elle résume ce que je ressens de cette soirée et sans doute de la carrière de Mathieu Ganio : « S’appliquer à vivre, ne rien laisser inaperçu : quand on danse, il faut le faire jusqu’au bout, s’y engager tout entier, en étant à la fois attentif et attentionné. Prendre soin, non pas de soi, mais de ce que l’on vit. »

 

Adieux à la scène de Mathieu Ganio

 

Soirée d’adieux à la scène de Mathieu Ganio. Onéguine de John Cranko par le Ballet de l’Opéra de Paris. Avec Mathieu Ganio (Onéguine), Ludmila Pagliero (Tatiana), Marc Moreau (Lenski), Léonore Baulac (Olga) et Mathieu Contat (le Prince Grémine). Samedi 1er mars 2025 au Palais Garnier.

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Commentaires (5)

  • Carre Philippe

    Estvilnprevu que ce spectacle soit diffusé,voire disponible a la vente?

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  • florence CATTENATI

    cette soirée a-t-elle fait l’objet d’une captation?
    Nous sommes tellement frustrés de l’annulation de la soirée en live sur la plateforme opéra chez soi, pour des raisons qu’on ignore…
    Les adieux des étoiles sont des soirées exceptionnelles d’émotion et souvent inoubliables puisque les danseurs y donnent le meilleur d’eux même au côté d’un artiste qui tire sa révérence; je comprends mal pour quel motif elles ne font pas l’objet de diffusion au cinéma ou sur France TV.
    Bien cordialement
    florence

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  • Laborda Eliane.

    Merci pour ce merveilleux commentaire. Mathieu est un Prince de la danse. Il n’y aura qu’un Mathieu Ganio. J’ai le cœur gros de le voir quitter la scène et je ne l’oublierai pas.

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    • SAPPEY

      Chère Eliane,
      Je partage vos sentiments.
      Alain Sappey

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  • claire Romain

    Je me suis abonnée à la plateforme de l’opéra en particulier pour ce 1er mars : j’espérais pouvoir assister même à 8000 km aux adieux d’un danseur étoile exceptionnel. C’est une grande déception. Et pour une fois, je suis reconnaissante aux réseaux sociaux où des spectateurs ont su capturer des moments d’une telle émotion… Et je remercie la rédaction de Dansesaveclaplume pour sa recension, laquelle rend compte si bien du talent, de l’élégance et de la sincérité de Mathieu Ganio.

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