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[Photos] Onéguine de John Cranko par le Ballet de l’Opéra de Paris (2025)

Après plusieurs années d’absence, le Ballet de l’Opéra de Paris a redonné en cette fin d’hiver le chef-d’oeuvre Onéguine de John Cranko en cette fin d’hiver. Suite à la chronique, et des Adieux de Mathieu Ganio, place à notre traditionnelle récap’ de fin de série avec le diaporama-photos des différentes distributions. Et un retour par écrit sur deux d’entre elles. 

 

Diaporama-photo des différentes distributions de Onéguine de John Cranko : 

(photos de Julien Behnamou, Maria-Helena Buckley et Agathe Poupeney)

Cette soirée fut un peu en demi-teinte, l’alchimie technique et artistique entre les solistes des couples principaux tardant à se construire. Nommée Étoile sur le rôle de Tatiana en 2014, Amandine Albisson n’habite pas tout à fait son personnage dans le premier acte. Elle conserve une réserve sérieuse qui la tient à distance d’Onéguine, rendant le pas de deux de la chambre difficile à interpréter. En Onéguine, Jérémy-Loup Quer est d’abord froid et arrogant, son regard s’allumant de lueurs sadiques lorsqu’il s’échappe par le miroir. Très propre dans les variations, la technique des deux danseurs et danseuses manque d’assurance dans les portés acrobatiques, et de l’élan lyrique que lui insuffle parfois ce superbe pas de deux. Pourtant, leur interprétation gagne en densité dans le deuxième acte, pour devenir beaucoup plus convaincante dans le dernier. Jérémy-Loup Quer excelle dans la perversité maussade, poussé davantage par un ennui mauvais que par des ombres qui le tortureraient. La maturité distante d’Amandine Albisson laisse transparaître le feu sourd d’une passion d’autant plus forte qu’elle couve à l’abri des regards. Si Tatiana et Onéguine dansent côte à côte plutôt qu’ensemble, c’est que leur attirance repose sur un pur fantasme. Gagné trop tard par le remords, Onéguine devient au troisième acte fou des fantômes qui le hantent, trouvant une résonance avec les regrets de Tatiana. Alors qu’Amandine Albisson peinait à convaincre en jeune fille, elle est une femme grave et digne, formant un couple harmonieux avec le prince Grémine – Thomas Docquir faisant un formidable partenaire -, mais n’ayant rien oublié des désirs de sa jeunesse. Le pas de deux final emporte, tout en sensualité tragique.

Mais cette soirée fut surtout l’occasion d’admirer la magnifique interprétation de Bianca Scudamore. Elle est une Olga merveilleuse de complexité, irradiant d’une joie qui n’a rien de naïf, vive d’esprit et avide de liberté. Le personnage de Lenski, dansé par Alexander Maryianowksi, semble par contraste un peu transparent – mais il gagne lui aussi en profondeur dans le deuxième acte, jusqu’à un solo final touchant, dans lequel on lit toute la tragédie d’un homme trop jeune, dépassé par les événements et par son orgueil. Si les pas de deux du premier tableau entre Alexander Maryianowski et Bianca Scudamore manquent un peu de précision, celle-ci déploie une technique impeccable, semblant effleurer le sol, jetant avec enthousiasme ses bras vers le ciel, emmenant avec elle le corps de ballet dans d’euphoriques diagonales de grands jetés. Son pas de deux avec Onéguine est d’une très grande subtilité, donnant à lire le désir de ne pas se laisser emprisonner par les conventions ni par la jalousie possessive et mortifère de Lenski. C’est enfin dans les moments de complicité avec Tatiana qu’elle est le plus émouvante, de leur sororité paisible aux pas de trois déchirants du deuxième acte, et jusqu’à son effondrement à la mort de Lenski, foudroyant de chagrin. On aura plaisir à revoir cette superbe danseuse dans d’autres grands rôles.

Laetitia Basselier – Représentation du mardi 25 février 2025. 

 

 

Lors de la dernière série de ce ballet, Sae Eun Park avait eu l’occasion de se confronter à Tatiana, son premier rôle dramatique. Pour cette prise de rôle, elle était associée avec Hugo Marchand, un partenariat un peu étrange, largement décrié à l’époque (dont parle le danseur lui-même dans son livre). Elle retrouve aujourd’hui ce personnage aux côtés de Germain Louvet, qui découvre le rôle-titre après avoir été son Lenski en 2018. Ensemble, les deux Étoiles proposent une interprétation très intéressante de cette histoire. Loin de la passion contrariée que l’on a pu voir de la part d’autres couples, c’est un amour à sens unique qu’iels proposent.

La Tatiana de Sae Eun Park voit en Onéguine son échappatoire à la vie de campagne qu’elle cherche à quitter. Fascinée par cet être torturé, elle s’imagine en héroïne des romans qu’elle dévore à longueur de journée. Dans le pas de deux de la chambre au premier acte, elle laisse parler sa fougue et s’envole dès que son partenaire la touche. Sous ses airs réservés, elle laisse jaillir ses passions enflammées par petites touches. Elle se surprend elle-même par son audace dans sa variation du deuxième acte. En face, l’Eugène Onéguine de Germain Louvet semble assez peu intéressé par la jeune fille. Véritable cliché du citadin forcé d’aller rendre visite à sa famille en province, il ne manque pas une occasion de montrer qu’il est au-dessus des basses activités qui se déroulent autour de lui (attention à ne pas trop abuser des roulements des yeux). Il conserve cette dynamique jusqu’au début du troisième acte, sa rêverie dans la salle de bal faisant ainsi écho à sa variation du premier. Il finit par éprouver des sentiments pour Tatiana quand il l’aperçoit rayonnante dans les bras de son mari. Les deux artistes mènent ainsi ce récit avec beaucoup de sensibilité et de finesse. Peut-être un peu trop de finesse ? J’ai pu les voir de très près et c’était passionnant de les suivre, mais aurais-je autant apprécié depuis l’amphithéâtre ? Je ne sais pas.

Pablo Legasa, qui aborde Lensky pour la première fois, et Naïs Dubosq, qui retrouve là son tout premier grand rôle, viennent compléter le quatuor. Plutôt que de proposer un contrepoint lumineux du couple vedette, iels racontent également un amour à sens unique. Lui, toujours aussi poétique, joue parfaitement l’amoureux transit, ce qui va parfaitement avec sa danse souple et généreuse. Pour elle, c’est plutôt un amour de convenance, un flirt amical pour tromper l’ennui. Quand il l’embrasse au premier acte, elle semble presque gênée de toute cette passion. Lors de sa danse aux bras d’Onéguine, ses yeux disent à son amant « Je ne suis pas ta femme, je fais ce que je veux« . La complainte de Lenski devient d’autant plus déchirante, il s’apprête à perdre la vie pour un amour qui n’a jamais vraiment existé.

Était-ce l’Onéguine le plus déchirant que j’aie pu voir ? Non. Mais c’était assurément une belle représentation avec un quatuor bien assorti et une belle proposition tenue jusqu’à la fin de la représentation. Germain Louvet et Pablo Legasa réussissent leur prise de rôles, mais leurs incarnations restent encore un peu jeunes par rapport à leurs partenaires féminines. L’expérience de Sae Eun Park et de Naïs Dubosq dans ces rôles se fait sentir. Il sera par contre très intéressant de voir l’évolution des deux danseurs lors d’une prochaine reprise.

Romain Lambert – Représentation du mercredi 26 février 2025

 
 
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Commentaires (1)

  • Pascale Maret

    Merci pour la belle série de photos (cependant dans les légendes, Roxane Stojanov se voit attribuer le rôle de Tatiana au lieu d’Olga)

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