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Rencontre avec Jean-Guillaume Bart, pour sa nouvelle Coppélia au Ballet du Capitole

C‘est l’une des nouvelles productions les plus attendues de la saison : Coppélia signée Jean-Guillaume Bart pour le Ballet du Capitole, à voir du 18 au 25 avril, qui marque la première programmation de la directrice de la compagnie Beate Vollack. Rencontre avec le chorégraphe, porteur de multiples influences – et pas que de l’école française – amoureux de la danse qui raconte des histoires. La musique, la pantomime, l’art de la théâtralité… Jean-Guillaume Bart nous raconte comment a pris forme sa Coppélia.

 

Jean-Guillaume Bart

 

Alors que vous montez Coppélia, quels étaient vos souvenirs, élèves puis danseur professionnel, de ce ballet ? Vous l’avez dansé dans la version de Pierre Lacotte et de Patrice Bart, qui sont très différentes.

J’ai abordé ce ballet une fois dans la compagnie, dans la version de Pierre Lacotte qui serait la plus proche de l’originale d’Arthur Saint-Léon. Je faisais le pas de bottes avec José Martinez. Nous venions d’être engagés et on avait tendance à s’ennuyer copieusement (sourire). Alors on regardait et on apprenait tous les pas, y compris ceux des filles. Puis j’ai dansé celle de Patrice Bart, les rôles de Franz et de Coppélius, un être meurtri.

 

On vous perçoit souvent comme le représentant de l’école française de danse. Est-ce que pour cela que le Ballet du Capitole est venu vous chercher pour monter cette Coppélia ?

La compagnie voulait une version traditionnelle. Pour ma part, je viens de l’école française et je sais que je suis très assimilé à cela aujourd’hui. Mais je ne me revendique pas forcément que de l’école française. J’ai eu plein d’autres influences parce que je suis curieux, j’ai travaillé avec d’autres personnes, dans d’autres pays. Je pense notamment à tout le mouvement John Cranko/Kenneth MacMillan/John Neumeier, qui a révolutionné la manière de raconter des ballets. Je m’inscris plus dans ce mélange que dans une vraie tradition dans le prolongement de Pierre Lacotte. J’ai aussi été très marqué, pour Coppélia, par la version de Marius Petipa par l’Australian Ballet dans les années 1990 avec Lisa Pavane. il n’y avait pas Youtube à l’époque, on essayait vraiment de se documenter comme on le pouvait et je l’avais trouvée en vidéo. J’avais été vraiment emballé par cette version que je trouvais beaucoup plus vivante et plus moderne. Cela a été une piste très forte pour travailler sur ma version de Coppélia.

 

« Je ne me revendique pas uniquement que de l’école française. J’ai eu plein d’autres influences »

 

Comment se retrouvent toutes ces inspirations dans votre version ?

Je suis un peu une éponge. Il y a énormément de citations dans mon ballet, de la version de Pierre Lacotte, de la version de Marius Petipa. Il y avait aussi le film Une Étoile pour l’exemple de Dominique Delouche sur Yvette Chauviré, avec cet extrait où elle fait répéter à Élisabeth Maurin la scène où elle prend vie. J’ai trouvé cela tellement merveilleux, par la manière dont elle le racontait, que j’ai vraiment fait une citation. Je me suis aussi servi de la vision de Coppélius par Patrice Bart, qui voyait en Swanilda la possibilité de recréer ce fantasme d’un être aimé disparu.

 

Qu’est-ce qu’il y aura tout de même de très école française dans votre Coppélia ?

Tout le thème varié, la grande danse de Swanilda et ses amies dans le premier acte. J’avais adoré la version de l’Opéra de Paris parce qu’il s’agit vraiment de petits pas rapides comme les faisait Christiane Vaussard : ça déménage, ça attaque le sol. On est proche des danses de caractère finalement, mais sur pointes. J’ai ajouté une danse pour les garçons, comme une sorte de battle avec les filles. Souvent les ados sont en bande non-mixte, j’ai vraiment souhaité avoir ce rapport-là. Il y a aussi de gros clins d’œil à Bournonville, à la grande technique internationale.

 

Coppélia de Jean-Guillaume Bart – Ramiro Gómez Samón et Natalia de Froberville en répétition

 

Comment les danseuses du Capitole se sont faites à cette technique, alors qu’elles viennent de multiples écoles ?

D’abord, la compagnie propose des cours plutôt à la française, ces pas rapides n’y sont pas mis de côté. J’ai vite vu qu’il y avait des danseuses plus aguerries, certaines étaient passées par Nanterre. Mais j’ai laissé du temps et donné des explications, notamment le fameux relâché du genou. Et l’idée de tout attaquer par les pieds, avec une manière de déporter le poids du corps au-dessus des hanches, ce qui permet davantage la vélocité du bas de jambes. J’ai senti énormément d’excitation de la part des danseuses. Cette compagnie de 35 artistes est familiale, à la fois homogène et hétérogène. Comme les danseurs et danseuses viennent de partout, ils ont des énergies et des manières de faire différentes. C’est très bien pour Coppélia, qui est une histoire réaliste et non un ballet romantique qui demande une forme d’uniformisation des corps et de la technique. Ici, chaque personnalité doit insuffler une énergie au groupe et ça va parfaitement avec Coppélia. C’est ce que j’aime.

 

En parlant des danses de caractère un peu plus haut, qui sont très importantes dans Coppélia, comment les avez-vous imaginées ? Vous avez travaillé seul, contrairement à La Source où vous aviez collaboré pour ces passages avec Nadejda Loujine.

Je me suis un peu posé la question, j’ai regardé pas mal de sources et les choses sont venues naturellement. J’étais aussi beaucoup plus aguerri à ce type de travail inspiré par les danses slaves, hongroises, polonaises ou russes, de par mon éducation de danseur classique, contrairement aux danses géorgiennes de La Source qui sont quand même très atypiques et que je ne connaissais vraiment pas. Avec la musique de Delibes, j’avais des repères.

Je me suis franchement éloigné de la version d’Arthur Saint-Léon que je trouve aujourd’hui assez pauvre. Quand je compare avec la version de Marius Petipa, les danses de caractère sont beaucoup plus intéressantes. J’utilise certaines choses, surtout dans la Czardas où je n’aurais pas pu faire mieux. J’ai essayé de faire quelque chose de beaucoup moins théorique : ce sont des danses de villages et beaucoup d’influences se mélangent. J’ai aussi été énormément inspiré, pour tout mon Coppélia en général, par la version de 1957 du Royal Ballet, avec un petit effectif, filmée avec Robert Helpmann et Nadia Nerina. Elle doit être la seule danseuse classique alors que les autres sont des danseurs de caractère. C’est absolument extraordinaire. Il y a une vie incroyable que l’on ne retrouve plus du tout aujourd’hui sur scène, où tout est devenu très plaqué et très propre, où la saveur est la même tout du long. On ne sent plus la terre et c’est ce que j’essaie d’insuffler. La Mazurka n’a rien d’élégant, et c’est parfois compliqué pour les danseurs et danseuses quand je leur dis : « Il faut que tu danses sale”. J’aime bien typer chaque chose. Le thème varié est au contraire très propre, avec des choses qui sont très techniques et que je revendique. Et la valse de Swanilda du début est une sorte de pantomime dansée. 

 

Est-ce comme cela que l’on peut raconter une histoire dans la danse classique ?

Quand j’avais 6-7 ans, Ghislaine Thesmar ou Noëlla Pontois m’ont fait aimer la danse parce qu’elles racontaient une histoire. La danse classique a une forme de théâtralité qui est en train de disparaître petit à petit. Mais le ballet n’est pas juste une alternance de scènes dansées. Sinon on revient à la fin du XIXe siècle chez Marius Petipa où l’on cherchait avant tout à faire briller l’Étoile. Mais cela doit être beaucoup plus que ça. Quand je vois dans la salle des gens qui sont sur leur portable pendant le spectacle, je m’interroge : on les a perdus, ils ont décroché parce qu’ils s’ennuient. Je sens que l’on est en train de perdre un public de non-initiés parce que ça ne le raconte rien, parce qu’ils n’ont pas les codes.

 

« La pantomime comme la danse, c’est l’expressivité de tout le corps. Le poids d’un corps, qu’il soit en avant ou en arrière, peut se comprendre depuis l’amphithéâtre »

 

Cela amène à la pantomime, très présente dans le ballet classique, qui a certains codes. Comment la percevez-vous ?

J’ai appris la pantomime avec Ghislaine Thesmar, elle avait travaillé notamment Giselle avec Galina Oulanova, elle-même portant la méthode Stanislavski. Elle expliquait qu’il fallait détacher les gestes, qui ne fallait pas les lier, sinon on ne comprenait pas. Elle me conseillait aussi de me réciter mon scénario dans ma tête, mes lignes comme un acteur. Elle me disait : « Tu vois, tu penses et tu agis« . Je ne peux pas agir avant d’avoir pensé, sinon le public n’a pas le temps de comprendre ce qui va se passer. Anne-Marie Sandrini, qui a travaillé avec des sourds-muets, me disait qu’il y a beaucoup de points communs entre la pantomime et les langages et sourds. La pantomime comme la danse, c’est l’expressivité de tout le corps. Le poids d’un corps, qu’il soit en avant ou en arrière, peut se comprendre depuis l’amphithéâtre. Aujourd’hui, beaucoup de danseurs et danseuses restent très droits, avec parfois une ou deux expressions sur le visage. Cela ne passe pas le quatrième rang.

J’aime beaucoup le livre Mime in Ballet de Beryl Morina, un livre anglais forcément parce que les Anglais sont absolument extraordinaires pour la pantomime. Je regarde souvent des vidéos du Royal Ballet, notamment Coppélia, et c’est d’une grande précision et musicalité, d’une grande théâtralité. Ils ont Shakespeare dans le sang et en France, on ne sait pas faire. Les élèves de l’École de Danse ont des cours de mime, qui sont très bien d’ailleurs, mais il y a une sorte de lien qui n’est pas fait avec le cours de danse et la scène.

 

Coppélia de Jean-Guillaume Bart – Ramiro Gómez Samón et Natalia de Froberville en répétition

 

Comment travaillez-vous la pantomime en studio, face aux danseurs et danseuses ?

Je me sens parfois plus metteur en scène que chorégraphe, surtout dans Coppelia où il faut avoir cette théâtralité. Il y a beaucoup de choses que j’emprunte au dessin animé, à Chaplin, avec une sorte d’effervescence d’action qui ne n’arrête jamais. J’ai passé beaucoup de temps à travailler sur ce rythme. Comment s’exprime Swanilda : elle crie, elle chuchote, elle hésite ? Et Franz, comment traduire dans le geste qu’il est mal à l’aise ? J’essaye au maximum d’être dans un travail d’acteur avant tout pour qu’il y ait une sorte de crédibilité. J’ai cette image de maître qui ne bouge pas avec son bâton de danse, cette idée de gardien du temple. Mais c’est faux. Quand je suis en répétition et que je fais tous les personnages, que j’essaye de les faire vivre, je suis un peu Louis de Funès ! Les gens se marrent, c’est du théâtre et je retrouve mes 6 ans.

 

L’histoire de Coppélia est d’ailleurs toujours aussi actuelle.

Swanilda rentre dans les clous de notre époque, c’est elle qui guide le ballet. Franz reste un garçon un peu benêt… comme beaucoup d’adolescents, un peu immatures par rapport aux filles du même âge. Il ne voit pas plus loin que le bout de son nez et, pour s’affirmer comme un petit coq de basse-cour, drague la première fille qu’il voit. Swanilda ne va pas se laisser faire. Elle n’est pas une victime, même si je n’aime pas ce reproche que l’on fait aux ballets classiques de ne mettre en scène que des femmes victimes. C’est déjà oublier Kitri ou Lise. Et puis des femmes opprimées, c’est la vie d’aujourd’hui, c’est l’histoire de l’humanité.

 

Parlons enfin de la musique, celle emblématique de Delibes. Comment vous inspire-t-elle ?

La musique de Delibes est extraordinaire, extrêmement narrative. Il savait raconter une histoire avec la musique. Sa partition est très colorée. Delibes a commencé à faire des petites opérettes. Puis devant son succès, on lui a confié la moitié d’un ballet : ce fut La Source. Puis on lui donna un ballet entier, Coppélia, qui est un chef-d’œuvre du ballet classique. Non seulement parce que les mélodies sont très identifiables, mais aussi parce que l’orchestration, l’harmonie, tout est d’une grande finesse et d’une grande liberté. Puis il y eut Sylvia, qui fut vraiment la quintessence de la musique de ballet qui devient de la musique symphonique, avant même Tchaïkovski. Ce dernier était d’ailleurs admiratif de la musique de Delibes. On est au concert, pas seulement au ballet.

 

Coppélia de Jean-Guillaume Bart par le Ballet du Capitole, au Théâtre du Capitole de Toulouse du 18 au 25 avril.

 

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Commentaires (1)

  • Isabelle Sizaire-Marcou

    Très bon article

    Répondre

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