Coppélia de Jean-Guillaume Bart – Ballet du Capitole – Natalia de Froberville et Ramiro Gómez Samón
Quel ballet irrésistible ! Coppélia remontée par Jean-Guillaume Bart par le Ballet du Capitole faisait partie des grandes nouvelles productions attendues de la saison. Et le résultat n’a pas été démenti. Le chorégraphe français a proposé une version tout ce qu’il y a de plus traditionnel de Coppélia. Et traditionnel ne veut pas dire surannée. Au contraire : voilà un ballet truculent, drôle et festif, porté par des personnages hauts en couleurs, une chorégraphie ciselée tout autant que musicale et un sens de la narration affûté. Le Ballet du Capitole s’est emparé avec joie et brio de ce Coppélia, mené par les Étoiles Natalia de Froberville et Ramiro Gómez Samón enthousiasmants. Un vrai ballet populaire, comme on les aime.

Coppélia de Jean-Guillaume Bart – Ballet du Capitole – Ramiro Gómez Samón et Natalia de Froberville
Une version traditionnelle. Voilà la demande du Ballet du Capitole de Toulouse à Jean-Guillaume Bart, quand la tâche de remonter Coppélia lui a été confiée. Presque un acte de rébellion en France où tout ce qui touche au répertoire du XIXe siècle, et au répertoire académique de façon générale, est presque suspect. Il faut dire que Coppélia n’a pas la meilleure image qui soit. Pourtant, les productions ont été nombreuses, entre celle très sombre de Patrice Bart à l’Opéra de Paris, la plus contemporaine menée il y a peu par Jean-Christophe Maillot à Monaco ou la version plus légère de Charles Jude au Ballet de l’Opéra de Bordeaux, transposant l’action dans l’Amérique des années 1950. Mais le lien avec Coppélia s’est pourtant distendu, et ne reste aujourd’hui, quasiment, que l’image d’un ballet gentiment suranné, un peu vieillot, tout juste bon pour les écoles de danse ou les concours de danse – le Prix de Lausanne a d’ailleurs retiré la variation de Swanilda des choix possibles, tant elle était choisie par les candidates.
Pourtant, il suffit de peu pour redonner toute la vitalité à ce ballet qui a tant de choses à dire. Tout comme Giselle, dans un tout autre registre, son histoire est universelle. Voilà deux jeunes gens qui s’aiment, prêts à se marier, Swanilda et Franz. Mais lui aime un peu trop faire les yeux doux à la première demoiselle aperçue, tandis qu’elle ne se laisse pas faire, impétueuse, indépendante et courageuse – c’est d’ailleurs elle qui mène l’action et sort du pétrin son amoureux. Tous deux sont intrigués par Coppélia, nouvelle voisine qui lit sur le balcon. En fait une poupée, construite par Coppélius, qui rêve de lui insuffler la vie. Au-delà des amours de jeunesse contrariés puis réconciliés – car ici tout se finit bien – Coppélia est ainsi aussi l’histoire de l’illusion : celle de la technique pouvant prendre la place de la vie et résoudre tous les problèmes, y compris celui du deuil et de la solitude. Ballet post-romantique créé à la fin de la Révolution industrielle, alors que la magie technologique semblait pouvoir mettre un terme à toutes les souffrances humaines, il résonne toujours aujourd’hui. Et les discours des maîtres de l’IA ne sont pas si éloignés des préoccupations de Coppélius, savant fou voulant donner vie à sa poupée Coppélia plus vraie que nature.

Coppélia de Jean-Guillaume Bart – Ballet du Capitole – Rouslan Savdenov et Natalia de Froberville
Pour s’emparer de Coppélia, Jean-Guillaume Bart est finalement allé à la simplicité, aux outils de base : sa formidable connaissance du langage de la danse académique (mêlant l’école française à plein d’autres choses), la musique si expressive de Delibes et la pantomime, outil merveilleux de narration quand elle est travaillée avec intelligence – à l’instar du travail d’Alexeï Ratmansky, toujours pour Coppélia, à la Scala de Milan dont j’avais parlé la saison dernière. Il n’en fallait pas plus – si l’on peut dire – pour donner une vitalité nouvelle à Coppélia. Et proposer un ballet plein de vie, de fantaisie, de drôleries et d’émotions. Un véritable ballet populaire, comme dit en introduction, qui sait plaire à tout le monde, de la petite fille de 6 ans aux grands-parents, du plus grand balletomane qui sera nourri par la richesse de la danse et des multiples clins d’oeil au plus pur néophyte, qui se laissera embarquer dans l’histoire.
De fait, le spectacle nous entraîne dès le lever de rideau, sur cette charmante place de village. Natalia de Froberville lui donne vie dès son premier pas sur scène, par son jeu si travaillé de sa première variation de Swanilda, où elle essaye d’attirer l’attention de cette mystérieuse voisine. Son partenaire Ramiro Gómez Samón n’est pas en reste, danseur virtuose et s’amusant visiblement à interpréter ce petit coq à l’ego qui a grand besoin d’être dégonflé. Entre les danses de caractère ou le thème varié, ce premier acte pourrait ressembler à un enchaînement de divertissement. Il n’en est rien ici, tant Jean-Guillaume Bart joue des couleurs et des ambiances. La Mazurka est envoyée avec puissance et joie de vivre, dans un pas très terrien. À l’inverse, la danse des amies de Swanilda est un savoureux moment de virtuosité à la française – « et les petits pieds, les petits pieds, les petits pieds » de Christian Vaussard ne sont jamais bien loin – sans que jamais cela ne ressemble à un exercice de démonstration un peu vaine. La bande à Franz n’est pas en reste, avec une belle danse masculine virtuose. À cela se rajoutent le Bourgmestre et sa femme, qui apportent le contrepoint comique du premier acte, surtout quand Georgina Giovannoni l’amène pas loin de la Mère Simone.

Coppélia de Jean-Guillaume Bart – Ballet du Capitole – Ramiro Gómez Samón et Natalia de Froberville
Surtout, tout est là pour l’histoire. Et chacun et chacune en scène a à cœur de la raconter. La pantomime n’est pas qu’un jeu d’expressions : chaque artiste en scène la vit avec tout son corps, la rendant palpable du fond de la salle, et dessinant ainsi une personnalité bien distincte pour chaque personnage. C’est aussi ce qui conduit le deuxième acte, où l’ensemble de la distribution féminine s’en donne à coeur joie – mention spéciale à la copine peureuse, qui nous fait rire tout au long de la scène. L’antre de Coppélius n’est pas forcément celle d’un savant fou aux multiples inventions. Il y a là plutôt une chambre des souvenirs, d’un homme coincé dans un passé brumeux plutôt que dans la réalité. Et où la danse règne en maître. Des affiches de Paquita ou de La Sylphide jalonnent les murs, tandis que les automates sont tout droit sortis des ballets : Giselle, Conrad, James et Paquita (qui est plutôt Kitri pour ma part, voilà un vrai débat de balletomane). Rouslan Savdenov, qui incarne Coppélius, se transforme en maître à danser et fait faire toute sa barre à Swanilda, qui s’est déguisée en la poupée Coppélia. Plus qu’inspirant la peur, le danseur dessine un personnage avant tout nostalgique, dans ce qui semble être un deuil interminable. Et empreint d’une infinie tristesse, lorsqu’il se rend compte que sa poupée n’est que poupée. Son ultime apparition au dernier acte, son pantin Coppélia inanimé dans les bras, serre le cœur et laisse planer un parfum mélancolique prégnant.
Même si ce troisième acte est celui de la fin heureuse, célébrant le mariage de Swanilda et Franz réconciliés. Jean-Guillaume Bart trouve le juste milieu dans ce pur divertissement, sans multiplier les variations mais proposant un final absolument irrésistible, où chacun et chacune peut s’amuser de sa virtuosité, sur la musique tout aussi galvanisante de Delibes, Natalia de Froberville en tête, mais son partenaire et les six amies ne sont franchement pas en reste. Un point d’orgue idéal pour un ballet enthousiasmant qui se savoure sans modération, du début à la fin. Le répertoire académique n’a pas dit son dernier mot !

Coppélia de Jean-Guillaume Bart – Ballet du Capitole – Natalia de Froberville
Coppélia de Jean-Guillaume Bart par le Ballet du Capitole. Avec Natalia de Froberville (Swanilda), Ramiro Gómez Samón (Franz), Rouslan Savdenov (Coppélius), Nino Gulordava (Coppélia), Alexandre De oliveira Ferreira (le Bourgmestre), Georgina Giovannoni (l’Épouse du Bourgmestre), Sofia Caminiti, Juliette Itou, Solène Monnereau, Kayo Nakazato, Lian Sánchez Castro et Nina Queiroz (les Amies de Swanilda), Eneko Amorós Zaragoza, Simon Catonnet, Minoru Kaneko, Jérémy Leydier, Kleber Rebello et Charley Austin (les Amis de Franz), Manon Kolanowki, Mia Li, Luna Jušić, Haruka Tonooka, Anatole Coste, Mathéo Bourreau, Lorenzo Misuri et Aleksa Žikic (les villageois et Villageoises), Emilie Reijnen (Paquita), Justine Scarabello (Giselle), Luca Dario Calcante (James) et Amaury Barreras Lapinet (Conrad). Vendredi 18 avril 2025, à voir jusqu’au 25 avril.