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Soirée Balanchine / Ratmansky / Goecke – Les Ballets de Monte-Carlo

Pour leur soirée de printemps, les Ballets de Monte-Carlo présentent au Grimaldi Forum de Monaco un triptyque éclectique déclinant la danse du classique au contemporain. Au programme : la reprise des Quatre Tempéraments de George Balanchine, la transmission de Wartime Elegy d’Alexeï Ratmansky et la création de La Nuit transfigurée de Marco Goecke. Avec ces pièces qui jouent sur autant de temporalités que de techniques et de styles, la compagnie monégasque se lance un défi multiple qu’elle relève à presque tous les niveaux.

 

Les Quatre Tempéraments de George Balanchine – Ballets de Monte-Carlo

 

Après avoir longtemps travaillé avec une majorité de chorégraphes contemporains, les Ballets de Monte-Carlo renouent depuis quelques années avec un répertoire plus classique, sous l’impulsion de leur directeur Jean-Christophe Maillot. Lors de cette soirée composée en trois temps, les signes de cette inflexion sont visibles dès le lever de rideau sur Les Quatre Tempéraments de George Balanchine. Cette pièce, créée en 1946 avec le Ballet Society (ancêtre du New York City Ballet) marque les retrouvailles de la compagnie avec les ballets « Black & White » emblématiques du maître russo-états-unien, où les interprètes dansent en justaucorps et collants noirs et blancs. Il y a sept ans, la dernière reprise de cette pièce par la compagnie monégasque avait été annulée par le Covid. Aujourd’hui, la troupe réinvestit ce répertoire néoclassique sous la direction de Patricia Neary, ex-interprète de George Balanchine qui remontait ici le dernier ballet de sa carrière, après avoir transmis l’héritage de Mister B. dans le monde entier pendant plus de vingt-cinq ans.

Sans intrigue, le ballet se déroule en quatre variations correspondant aux quatre tempéraments qui gouvernent, selon la théorie des humeurs, la santé du corps humain : Mélancolique, Sanguin, Flegmatique et Colérique. Avec leurs séquences de pas à géométries aussi complexes que variables, Les Quatre Tempéraments se présentent comme un exercice de style auquel les Ballets monégasques s’appliquent consciencieusement. Entre effets miroir et schémas dissymétriques, les interprètes conjuguent déséquilibre et désaxement des arabesques et attitudes, étirement extrême des grands battements et des relevés sur pointes, mais aussi projection du bassin et touches de danse jazz. Passent de l’unisson au canon, ils et elles tiennent aussi l’exigeante musicalité requise par le ballet sur la partition de Paul Hindemith. Les solistes parviennent à tirer leur épingle du jeu – Jaeyong An, Juliette Klein et surtout Lydia Wellington, à qui le style Balanchine va à ravir. Pourtant, d’un point de vue d’ensemble, il semble difficile de dégager l’identité claire de chaque tableau. Alors que le haut degré de maîtrise technique des interprètes accentue son côté scolaire, le ballet manque d’une note plus personnelle qui rende son interprétation réellement captivante.

 

Les Quatre Tempéraments de George Balanchine – Ballets de Monte-Carlo – Lydia Wellington

 

Après une entrée en matière avec le maître du néoclassique du XXe siècle, le programme met au centre la première rencontre de la compagnie avec un maître du ballet classique actuel, Alexeï Ratmansky. Cette nouvelle collaboration prend la forme d’une transmission avec Wartime Elegy. Ce choix de ballet a de quoi étonner : alors qu’on aurait pu s’attendre à une pièce davantage identifiée au style américain du chorégraphe, c’est une œuvre convoquant l’imagerie du folklore ukrainien qui a été retenue dans le répertoire du chorégraphe, surnommé « l’Enfant de Kiev ». Travaillant essentiellement aux États-Unis, Alexeï Ratmansky a toujours gardé un profond attachement à son pays de naissance, où il s’est marié et où vit une partie de sa famille. Il est aujourd’hui, en pleine invasion russe, un fervent défenseur de la culture ukrainienne. Cela prend forme dans ses créations, à l’image de Wartime Elegy créée au Pacifi Northwest Ballet quelques mois après le début de la guerre, puis repris par le Ballet National d’Ukraine, et maintenant aux Ballets de Monte-Carlo. Ces motifs traditionnels s’exposent dans un diptyque au cœur du ballet. Les danseurs se lancent ainsi dans une démonstration de masculinité joyeusement virile, tandis que les femmes interprètent une polka où la féminité se veut sautillante et guillerette. Au-delà de leurs traits stéréotypés, les danses folkloriques constitue un exercice périlleux, a fortiori pour les interprètes monégasques qui doivent redoubler d’énergie pour enchaîner sauts, vrilles et petite batterie. S’ils manquent un peu d’élan et d’amplitude, ces premiers pas restent honorables.

Paradoxalement, les tableaux d’ouverture et de fin du ballet se révèlent plus éprouvants pour les interprètes. Comme l’esquisse du corps brisé gisant en toile de fond, les corps en scène s’étirent de la pointe de l’arabesque jusqu’à l’allongement au sol, s’imprégnant de douceur mélancolique à la partition du compositeur ukrainien Valentin Silvestrov. Pourtant, la fluidité aérienne de leur mouvement est trahie par des moments de faiblesse sur des enchaînements en apparence moins complexes que dans la pièce de George Balanchine. Ces aspérités ressortent d’autant plus que la chorégraphie d’Alexeï Ratmansky lisse la complexité des gestes en surface. Quoiqu’elles soient moins intentionnelles qu’accidentelles, ces imperfections mettent en valeur, par un effet de miroir inversé, les premiers interprètes de Wartime Elegy : tandis que les artistes du Ballet national d’Ukraine bravaient les alertes aériennes pour continuer à danser fièrement sur scène, celles et ceux des Ballets de Monte Carlo, qui évoluent dans un contexte privilégié, laissent apparaître la précarité du geste dansé. Ainsi la pièce émeut moins par son inventivité chorégraphique que par sa force symbolique. À l’heure où la guerre en Ukraine atteint de sommets de violences contre les civils et que les tentatives de négociations de paix piétinent, Wartime Elegy offre à Monaco comme une leçon d’humilité.

 

Wartime Elegy d’Alexeï Ratmansky – Ballets de Monte-Carlo

 

Dernier acte de la soirée, la création de Marco Goecke obscurcit davantage le tableau, dans une dimension fantastique. Composée sur La Nuit transfigurée d’Arnold Schoenberg, sa pièce s’ouvre sur deux mystérieuses silhouettes : l’une encapuchonnée – allégorie presque évidente de la Mort -, l’autre poussant un hurlement silencieux sous une immense pleine lune projetée en toile de fond, telle un loup-garou. À leur suite, seize interprètes défilent dans cet inquiétant ballet en clair-obscur. Par son atmosphère lugubre et sa chorégraphie d’inspiration entomologique, ponctuée de cris puis de rires sardoniques, la création de Marco Goecke évoque les univers de Sharon Eyal et de Crystal Pite (notamment celui de The Seasons Canon). Multipliant les allers-retours, leurs figures surgissent des ténèbres pour déployer à contre-jour une gestuelle syncopée.

Frictions des avant-bras, frottements du visage et crispations de phalanges brisent sans cesse les élans d’extension partant du torse et du bassin : les interprètes ont plus de facilité à se mouvoir dans cette création que dans les pièces précédentes. Dans les ensembles, les corps se laissent aisément traverser par des micro-gestes frénétiques, qu’ils propagent tels des ondes, en ligne droite dans les unissons, ou sinusoïdales dans les canons. Les soli mettent en valeur des artistes comme Lou Beyne et Jaat Benoot, qui captent l’énergie de la musique et la transmettent grâce à leur fine intelligence kinésique. Cependant, les trouvailles chorégraphiques manquent globalement d’une dramaturgie consistante pour entrer dans les profondeurs de la nuit. Malgré ses rares fulgurances, la pièce s’enlise dans une exploration floue et superficielle de la défiguration des corps, sans parvenir jusqu’à la transfiguration annoncée. Reste qu’au terme de ce programme mixte, elle souligne les indéniables qualités des artistes des Ballets de Monte Carlo, qui ont le mérite de cultiver toutes les facettes de leur répertoire, du classique au néoclassique et jusqu’au contemporain.

 

La Nuit transfigurée de Marco Goecke – Ballets de Monte-Carlo

 

Soirée Balanchine/Ratmansky/Goecke par les Ballets de Monte-Carlo. Les Quatre Tempéraments de George Balanchine, avec Marianna Barabas, Alessio Scognamiglio (1er Thème), Kathryn Mcdonald, Cristian Oliveri (2e Thème), Laura Tisserand, Jaat Benoot (3e Thème), Ige Cornelis (Mélancolique), Lydia Wellington, Michele Esposito (Sanguin), Jaeyong An (Flegmatique), Juliette Klein (Colérique), Ashley Krauhaus, Anissa Bruley, Sooyeon Yi, Emma Knowlson, Emilee Blake, Isabelle Maia, Gaëlle Riou, Ekaterina Mamrenko, Elena Marzano, Sarika Emi, Candela Ebbesen Portia Adams Katrin Schrader ; Wartime Elegy d’Alexeï Ratmansky, avec Portia Adams, Isabelle Maia, Kathryn Mcdonald, Lydia Wellington Michele Esposito, Zino Merckx, Cristian Oliveri, Francesco Resch ; La Nuit transfigurée de Marco Goecke, avec Daniele Delvecchio, Alexandre Joaquim, Alvaro Prieto, Simone Tribuna, Jaat Benoot, Riccardo Mambelli, Alessio Scognamiglio, Luca Bergamaschi, Kozam Radouant, Lukas Simonetto Mimoza Koike, Lou Beyne, Anissa Bruley, Elena Marzano Ashley Krauhaus, Lucía Alfaro Córcoles. Mercredi 23 avril 2025 au Grimaldi Forum de Monaco.

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Commentaires (2)

  • Fusi Jean-Sarane

    Pour les amateurs, les ballets de Monte-Carlo viennent de mettre en ligne La Mégère avec Juliette Klein (géniale) sur leur site vidéo, en partie payant, mais qui propose différentes captations et plein de choses dont beaucoup en accès libre.
    C’est d’autant mieux qu’en cherchant sur You… et ailleurs on peut aussi le trouver en ligne avec la distribution 2020, ainsi que plusieurs répétitions publiques (imprévus 2023 avec Juliette Klein et Ashley Krauhaus, ballet-day 2022 avec Lou Beyne), soit en tout 4 distributions à différents stades de travail et c’est passionnant.

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    • Amélie Bertrand

      Ah mais merci ! Je ne vais pas assez faire un tour sur cette plateforme !

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