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[Biennale de la Danse 2025] à l’ombre d’un vaste détail, hors tempête – Christian Rizzo

La Biennale de la Danse de Lyon propose pour son édition 2025 plus d’une vingtaine de créations. Christian Rizzo en fait partie, avec sa nouvelle pièce à l’ombre d’un vaste détail, hors tempête. Une œuvre magistrale, d’une puissante sensibilité, autour du deuil et des souvenirs. Et portée par une danse dénuée de tout effet superficiel, allant au plus juste dans une superbe complexité.

 

à l’ombre d’un vaste détail, hors tempête de Christian Rizzo

 

La Biennale de la Danse se joue des éclectismes. Après des performances qui semblent pousser les murs des champs d’exploration – les très réussies pièces d’Alejandro Ahmed et Gisèle Vienne par exemple, nous y reviendrons – Christian Rizzo à l’inverse semble revenir avec sa nouvelle création aux fondamentaux : le geste, son intention, son placement dans l’espace, la musique et les autres. Sept artistes en scène, habillés de noir sans fioriture, des lumières qui les dessinent sans effet, pas de décors si ce n’est un petit écran à jardin où s’inscrit un texte, tels des sous-titres, à l’ombre d’un vaste détail, hors tempête, si simple en apparence, percute par sa justesse, sa sensibilité et sa complexité.

Le geste, d’abord. Il se déploie comme une vague, prend son élan, court, se suspend avant de repartir. Il s’écrit en solo, en duo qui se prend dans les bras ou se regarde de loin, en groupe qui se fait et se défait, Et prend dans cette longue phrase chorégraphique de multiples textures : il se fait fluide, aride, sec, généreux, explosif ou presque lyrique parfois. Aucun geste ne ressemble au précédent sur cette heure de danse, chaque élan va en amener un autre légèrement différent, une variation presque imperceptible parfois mais infiniment complexe. La musique aussi, une magnifique pièce pour orgues, se fait faussement répétitive, aux rythmiques qui entraînent par sa redondance qui n’en est pas une. Sous la répétition se glisse une ligne qui guide le mouvement implacablement. Les lumières, ténues, varient en suivant ce fil, dessinant des ombres différentes comme une journée qui s’écoule. Si le cadre peut paraître austère, l’intention ne l’est jamais. Chaque mouvement n’est pas là pour le plaisir de l’écriture – qui en soi pourrait se suffire à elle-même – mais pour porter cette vague continue de danse d’une grande intériorité, qui pourtant nous parvient avec puissance et force sensibilité.

 

à l’ombre d’un vaste détail, hors tempête de Christian Rizzo

 

Des bouts de phrases de Célia Houdart, racontant des petites choses du quotidien et de la nature en mouvement, défilent en fond de scène. La danse ne lui répond pas franchement, ne l’illustre certainement pas. Pourtant les mots et les gestes se parlent et se répondent. Que faut-il en comprendre ? « À nous de mener l’enquête pour compléter, ou démultiplier, les histoires qui se jouent sous nos yeux« , nous explique la feuille de salle. Voici les miennes. Le plateau serait comme une maison, très vieille, qui en a vécu des choses et qui peut être arrivée à la fin de son histoire. Le texte nous parle de toutes ces choses anodines mais si importantes : le jouet qu’un enfant emporte dans son lit, le bruit sur une fenêtre, le mouvement de quelques brins d’herbe, une odeur évanescente, la flamme d’une bougie qui s’étire. Les danseurs et danseuses semblent être comme les âmes de cette maison. Chacun et chacune avait repéré l’un de ces détails affichés au mur. Et tous et toutes se rejoignent pour un dernier moment, rassemblent leurs souvenirs même s’ils ne se sont jamais connus. Il est l’heure du départ, porteur de trouble et de mélancolie, mais pas forcément d’une réelle tristesse : les points finals font partie du cours des choses et de la vie. La lumière semble dessiner le jeu du soleil au fur et à mesure de la journée : presque sombre, il prend de l’ampleur, se fait plus vif, décline. Jusqu’à prendre cette teinte étrange que pourrait être un soleil de minuit, où l’on ne sait plus très bien s’il faut baisser les armes ou continuer son chemin.

à l’ombre d’un vaste détail, hors tempête prend finalement un dernier virage tout autre. Et se termine par la seule scène explicite de la pièce, une veillée funèbre. Le texte, pour la seule fois là encore, illustre le propos et donne des clés directes. Les danseurs et danseuses apparaissent désormais comme les souvenirs insaisissables d’une âme sur le départ, se mêlant comme une dernière danse ensemble, peut-être aussi pour en garder une trace. à l’ombre d’un vaste détail, hors tempête n’est pas une pièce facile. Elle ne nous entraîne pas spontanément vers elle, il faut garder son esprit alerte pour s’en imprégner, se créer ses propres histoires et images personnelles qui seront comme des clés pour plonger dans les méandres de cette danse si belle et profonde. Cela en vaut la peine pour se laisser saisir par ce qui est déjà comme l’une des grandes créations de la saison.

 

à l’ombre d’un vaste détail, hors tempête de Christian Rizzo

 

à l’ombre d’un vaste détail, hors tempête de Christian Rizzo (chorégraphie, scénographie, costumes), Célia Houdart (Texte), Pénélope Michel et Nicolas Devos (Création musicale) et Caty Olive (Création lumières), avec Enzo Blond, Fanny Didelot, Hans Peter Diop Ibaghino, Nathan Freyermuth, Paul Girard, Hanna Hedman et Anna Vanneau. Mardi 16 septembre 2025 à la Maison de la Danse, dans le cadre de la Biennale de la Danse. À voir du 6 au 9 novembre à la MC93 dans le cadre du Festival d’Automne, et de la programmation « plan D » du CND

La Biennale de la Danse continue jusqu’au 28 septembre.

 

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