[Biennale de la Danse 2025] The Dog Days are over 2.0 – Jan Martens
Artiste associé de la Biennale de la Danse, Jan Martens était attendu pour cette édition 2025. Mais plutôt que d’y présenter une nouvelle création, le chorégraphe belge regarde en arrière et remonte pour la première fois une de ses œuvres passées. Créée en 2014, The Dog Days are over avait défrayé la chronique à l’époque et installé l’artiste belge dans la catégorie des incontournables. Plus de dix ans plus tard, cette performance consistant à faire sauter sur place une dizaine d’artistes, avec d’infinies variations, se savoure avec autant d’enthousiasme. L’ironie a peut-être laissé la place à plus de sérieux au combat. Mais la performance aussi bien physique que mentale, et toutes les questions qu’elle pose quant au positionnement du public et ses attentes du spectacle vivant, font de The Dog Days are over 2.0 une pièce toujours aussi percutante.

The Dog Days are over 2.0 – Jan Martens
Il y a douze ans, en 2014, Jan Martens était le nouveau trublion de la danse contemporaine belge. Il propose alors The Dog Days are over, où pendant plus d’une heure une dizaine de danseurs et danseuses sautent sur place, sans s’arrêter. L’œuvre propulse le chorégraphe à l’échelle supérieure, passant du statut de jeune talent qu’il fallait découvrir à figure incontournable. Depuis il a multiplié les créations, a fait la Cour d’honneur d’Avignon, est artiste associé au Ballet Royal de Flandre. Et a bien sûr droit au haut de l’affiche de cette Biennale de la Danse 2025, avec la reprise de cette pièce. Pour Jan Martens, c’est la première fois qu’il se lance dans un travail de recréation, et donc de réflexion sur ce qu’est le répertoire, sur les souvenirs que laisse une œuvre. L’équipe d’origine, qui l’a dansée pendant quatre saisons, a travaillé avec les douze nouveaux danseurs et danseuses pour ce The Dog Days are over 2.0, y redonner la structure, mais aussi, surtout, l’essence de cette pièce étonnante, où le public ne cesse de se questionner sur son rapport à la scène, aux artistes, à ses capacités de spectateur et spectatrice face à des artistes qui ne cessent d’aller au-delà de leurs limites de souffle comme de concentrations.
Pour parler de The Dog Days are over 2.0, il faut d’abord se remémorer nos souvenirs de The Dog Days are over. J’avais vu cette pièce il y a tout juste dix ans, au Théâtre des Abbesses, pour ce qui était ma première rencontre avec l’univers de Jan Martens. Annoncer faire sautiller pendant une heure ses artistes, et d’en faire une œuvre, avait évidemment quelque chose éminemment provocateur. Je me souviens d’ailleurs du sourire aux lèvres des artistes, en ligne, s’avançant vers le devant du plateau pour mettre chaussettes et chaussures. Il y avait comme un air de défi amusé lancé au public, une crânerie de jeunesse : alors, qui va craquer en premier ? Ceux et celles sur la scène ou ceux et celles assises en face ? Dix ans plus tard, les interprètes sont plus sérieux au premier abord. Le défi physique, ce challenge d’aller au bout de soi et même encore plus loin, prime sur le côté gentiment provoc’ d’il y a dix ans. Ce n’est pas que Jan Martens se soit assagi. Mais peut-être a-t-il moins de choses à se prouver, à prouver au monde de la danse. Et puis il y en a eu, ensuite, des performances de ce genre, il y a en d’ailleurs un certain nombre à voir lors de cette Biennale de la Danse. Mais n’est-ce pas plutôt moi dont le regard a évolué, dont l’œil s’est fait à ces performances conceptuelles, qui a appris à les apprécier ? Je ne perçois plus la clinquante ironie et le sens de l’humour indéniable qui m’était resté en tête suite à cette performance d’il y a dix ans. Mais je surprends une partie du public qui la ressent toujours, à travers par exemple un fou rire qui parcourt la salle face au groupe qui fait semblant de se calmer – ouf, tout est terminé – avant de repartir de plus belle. Si je ne reçois plus l’œuvre de la même façon, force est de constater que le public de 2025 réagit à The Dog Days are over 2.0 comme le public de 2014 pourrait le faire.

The Dog Days are over 2.0 – Jan Martens
Il y a par contre des choses qui n’ont pas changé. The Dog Days are over 2.0 reste toujours aussi intrigant, percutant, étonnant. Écrire que le chorégraphe fait sautiller ses interprètes pendant 1h10 est à la fois factuel et terriblement réducteur. La pièce peut aussi se déployer comme une longue phrase chorégraphique, aux multiples variations, aux changements déroutants, aux inventions foisonnantes. Il y a mille et une manières de sautiller sur place : à pieds joints, en se déhanchant, en se déplaçant. Une sorte de partition se met également en place. Le bruit des chaussures sur le parquet, qui lui-même se fait à certains endroits grinçant, le souffle des danseurs et danseuses qui s’entend de plus en plus, le chuintement des sneakers qui varient au fur et à mesure que des gouttes de transpirations tombent au sol, les voix des artistes lançant des comptes, incompréhensibles pour nous mais dont nous saisissons qu’il s’agit d’un code commun, agissent comme autant de repères presque musicaux qui guident la performance.
Surtout, The Dog Days are over 2.0 donne à voir un groupe qui se vit d’une formidable façon. Une fois les chaussures mises en début de spectacle, les sauts se désordonnent, avant de très vite se synchroniser entre les douze artistes – vous savez, comme ces métronomes lancés n’importe quand qui finissent par battre le tempo parfaitement ensemble. Tout est ensuite une question d’écoute et de concentration, pour bouger et évoluer ensemble, avec comme un soupçon tragique planant sur chacun et chacune : la pièce étant si difficile à mémoriser, l’erreur arrivera fatalement. Ainsi, à la performance physique indéniable, se joint un enjeu mental presque aussi puissant. Qui créent ensemble un immense élan d’empathie de la part du public, qui nous lient à ceux et celles sur le plateau, qui nous donne envie de les encourager, de presque aller sautiller avec eux et elles pendant quelques minutes, comme un-e ami-e venant courir avec vous 3 kilomètres sur un marathon.

The Dog Days are over 2.0 – Jan Martens
Garder sa concentration sur l’ensemble du spectacle n’est pas chose facile. Malgré ses infinies variations, The Dog Days are over 2.0 garde quelque chose d’éminemment et volontairement aride. Mais l’enjeu reste plus sur ce qui nous fait revenir : le regard d’un danseur ou d’une danseuse, un souffle plus fort, le bruit d’une basket, un décompte, une tâche de transpiration qui apparaît. Cela nous questionne sur ce que nous attendons d’un spectacle vivant, d’un temps clos dans un théâtre, de ce que c’est que de se divertir. Restent enfin ces artistes dans l’absolu simplicité de ce qu’est un danseur ou une danseuse : des corps toujours en mouvements, exultants, joyeux et heureux d’aller au bout de soi. The Dog Days are over 2.0 laisse toujours aussi réjouis.

The Dog Days are over 2.0 – Jan Martens
The Dog Days are over 2.0 de Jan Martens, avec Pierre Bastin, Camilla Bundel, Jim Buskens, Zoë Chungong, Simon Lelièvre, Florence Lenon, Elisha Mercelina, Dan Mussett, Pierre Adrien Touret, Zora Westbroek, Maisie Woodford et Paolo Yao. Vendredi 19 septembre 2025 au Théâtre des Célestins, dans le cadre de la Biennale de la Danse de Lyon. À voir en tournée cette saison : à la Comédie de Valence les 20 et 21 novembre, du 25 au 27 novembre à la Comédie de Clermont-Ferrand, le 2 décembre aux Salins de Martigues, les 12 et 13 décembre au Tandem de Douai, les 11 et 12 février au Klap de Marseille, les 24 et 25 mars à la Manufacture de Bordeaux, en tournée européenne et mondiale.
La Biennale de la Danse de Lyon continue jusqu’au 28 septembre.

