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[Biennale de la Danse 2025] Dresden Frankfurt Dance Company – William Forsythe / Ioannis Mandafounis

Jubilatoire ! La soirée de la Dresden Frankfurt Dance Company autour de l’improvisation, mêlant une création de William Forsythe et une pièce récente de Ioannis Mandafounis, n’a pas failli à ses promesses lors de la Biennale de la Danse de Lyon. Undertainment du premier éblouit par son inventivité du geste qui ne semble avoir aucune limite, porté par la jubilation explosive des artistes à s’emparer d’un matériau aussi riche. Lisa du deuxième joue sans complexe sur la corde sensible, avec une narration créée dans l’instant par la disponibilité des interprètes. Une soirée de haute volée.

 

Undertainment de William Forsythe – Dresden Frankfurt Dance Company

 

Il y a quelque chose de toujours formidable avec William Forsythe. On sait que c’est un génie, que rien n’est jamais vain dans son travail. Et pourtant, il continue de surprendre et de se renouveler pièce après pièce, de nous enthousiasmer. Sa récente création Undertainment est ainsi une petite merveille de créativité, avec toute une gamme d’improvisations ludiques qui amènent à une complexité chorégraphique étourdissante, doublée d’une joie simple de danser, qui cabotine parfois, ne semblant jamais devoir s’atténuer.

L’improvisation, voilà le fil rouge de cette soirée de la Dresden Frankfurt Dance Company, l’une des soirées attendues de la Biennale de la Danse de Lyon, entre une pièce récente de Ioannis Mandafounis, actuel directeur de la troupe, et le maître William Forsythe, qui l’a dirigée pendant 30 ans. À vrai dire, il est impossible de distinguer franchement ce qui relève de l’écriture que de l’improvisation dans Undertainment, ce n’est d’ailleurs pas le but et c’est aussi ce qui la rend si pétillante. Sur scène, ils sont quatorze danseurs et danseuses, en simples pantalons ou short noirs et t-shirt de couleur. Pas de décors, pas d’effet de lumières : ce qui compte est le geste, et la façon de le faire ensemble. Mais aussi la voix. Elle se fait onomatopée, comme un souffle ou chantée, elle sort comme un son bref ou une longue phrase, par un artiste ou tout le groupe en choeur. D’abord discret, ce travail polyphonique, seule partition musicale de cette création, apparaît au fur et à mesure comme la structure sur laquelle repose le mouvement. Tout en étant un terrain de jeu supplémentaire à l’improvisation, une façon de plus de s’amuser avec son rapport aux autres.

 

Undertainment de William Forsythe – Dresden Frankfurt Dance Company

 

Car c’est tout le paradoxe de cette pièce. Le cadre est formel et posé, mais tout respire le plaisir ludique. Comme une façon de ne pas se prendre au sérieux quand tout ce qui est développé est d’une complexité folle. Chez William Forsythe, si l’on vulgarise beaucoup, il faut imaginer un cube autour d’un corps, ou d’une partie du corps, ou d’une articulation. Cela donne les différents points vers lesquels peut aller le mouvement. À partir de là, la seule limite sera l’imagination, qui semble justement ne pas en avoir aussi bien du côté du chorégraphe que des interprètes. C’est toute une façon d’aller bouger un poignet, un genou, la tête, le bras, et d’entrer en relation avec l’autre. C’est à la fois terriblement géométrique, et pourtant la danse qui en ressort devient follement libre.

Undertainment a néanmoins un petit côté club d’initiés. William Forsythe semble s’amuser comme un petit fou et ses interprètes prendre un plaisir jubilatoire à sé déployer en scène dans le groupe, à tout imaginer dans l’instant. Mais il peut y avoir l’impression que quelque chose nous échappe. Comme si nous assistions de l’extérieur à une grosse soirée, que tout le monde à l’intérieur semble passer la fête de sa vie mais qu’il nous manquait le code de la porte d’entrée. Il faut alors se laisser aller à la beauté du geste, se laisser entraîner par un regard, un sourire en coin, une ligne qui se dévisse sans que l’on s’y attende, au contraire un groupe qui se forme comme par surprise et qui se met à danser vers une direction que l’on imaginait inverse. Ou l’apparition furtive du pur langage académique dans une démonstration contemporaine, comme une gourmandise de plus. Ainsi un danseur de partir dans une série de sauts de chats ponctués à des pas très ancrés au sol, ou un autre qui se lance dans une étude sur le battement jeté à la seconde mêlée à un travail de bras comme des lianes aux courbes infinies. Et puis, hop ! Tout s’arrête dans une pirouette sans que – une fois de plus – l’on s’y attende. Nous laissant sous le charme, un peu étourdi par tant de jubilation, avec l’envie immédiate de tout revoir pour s’y plonger un peu plus.

 

Lisa de Ioannis Mandafounis – Dresden Frankfurt Dance Company

 

C’est en 1984 que William Forsythe prend la tête du Ballet de Francfort. Vingt ans plus tard, il en fait la Forsythe Company, qui deviendra en 2015 la Dresden Frankfurt Dance Company. Depuis 2023, elle est dirigée par Ioannis Mandafounis, ancien danseur de William Forsythe. La boucle est donc bouclée et l’une de ses pièces pour accompagner la dernière création du maître ne pouvait que mieux tomber. Si Lisa, montée en 2024, travaille aussi sur l’improvisation, tout y est radicalement différent, avec une sensibilité qui affleure chaque mouvement. Le plateau est agrémenté d’un grand piano à queue à jardin, où un pianiste joue Fauré, et d’un petit plateau montant à cour. Ces deux points d’ancrage structurent l’espace et la narration. Qui nous mène à quoi ? On ne sait pas vraiment, si ce n’est que l’on est dans une sorte de comédie dramatique faussement légère, où tout n’est qu’émotions au bord du drame.

En plateau, les quinze danseurs et danseuses, aux costumes d’inspirations année 1930, déploient une gestuelle à l’image de la musique de Fauré : tout en courbes, en legato, en lyrisme, sans avoir peur parfois se faire sa drama-queen et de surréagir. La tempérance n’est pas de mise ici. Ce qui crée cette émotion permanente est le travail d’improvisation, chaque artiste pouvant entrer et sortir quand il le souhaite du plateau. Un duo intimiste peut ainsi se transformer en mouvement de foule, un groupe se disloquer en quelques secondes, un mouvement joyeux se transformer en drame latent. Cette surprise permanente oblige les artistes à être constamment en alerte, à rester entièrement disponible face à ce que l’autre va lui envoyer, que ce soit dans son geste ou ses intentions. C’est ce qui crée cette sorte de tourbillon dramatique-ironique, qui parfois dépasse un peu les artistes. Tout finit ainsi par se déglinguer, la musique à partir en vrille et la neige tomber des cintres. Comme une grande vague de tous ces sentiments déployés en plateau devenus hors de contrôle et qui mettent tout à terre. Même si Lisa perd parfois son rythme et peut avoir du mal à garder une tension permanente, la pièce n’en reste pas moins séduisante, parfait contrepoint à la pièce de William Forsythe. Une soirée qui n’a pas démenti son statut de tête d’affiche.

 

Lisa de Ioannis Mandafounis – Dresden Frankfurt Dance Company

 

Undertainment de William Forsythe et Lisa de Ioannis Mandafounis, par la Dresden Frankfurt Dance Company et Gabriele Carcano (piano pour Lisa). Lundi 22 septembre 2025 à la Maison de la Danse, dans le cadre de la Biennale de la Danse de Lyon.

La Biennale de la Danse de Lyon continue jusqu’au 28 septembre.

 

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