[En streaming] “Adieu l’Opéra” de Yonathan Kellerman
Il y a trois ans, en juin 2022, trois artistes du Ballet de l’Opéra de Paris ont fait leurs Adieux à la scène : les Étoiles Alice Renavand et Stéphane Bullion et la Sujet Aurélia Bellet. Le réalisateur Yonathan Kellerman les a suivis pendant les quelques mois précédents leur départ, pour donner le très joli documentaire Adieu l’Opéra, à voir en streaming sur Arte.tv. Ces trois artistes s’y livrent sans fard, avec beaucoup de sincérité et de profondeur, sur ce tournant dans leur vie comme leur passion intacte pour leur art et cette institution. Et comment se renouveler après plus de 30 ans dans la même Maison.

Adieu l’Opéra (2025) de Yonathan Kellerman – Alice Renavand répétant le Boléro de Maurice Béjart
Les documentaires sur les Adieux d’une Danseuse ou d’un Danseur Étoile, ce n’est pas forcément nouveau. Adieu l’Opéra de Yonathan Kellerman tire néanmoins son épingle du jeu avec un portrait profondément intimiste et sensible de trois artistes du Ballet de l’Opéra de Paris, qui ont atteint la date fatidique de 42 ans et demi à l’été 2022, et qui ont donc dû à ce moment-là faire leurs adieux à la scène de l’institution. Si l’on n’échappe pas aux plans attendus sur les dorures et le rouge de la grande salle, ou sur les pieds en canard grimpant les multiples escaliers du Palais Garnier – et en même temps, se lasse-t-on de ces incursions en coulisse ? – le film laisse la place à des paroles touchantes et sans artifice, le réalisateur sachant mener les réflexions personnelles au plus juste, entre de nombreux moments de répétition et de scène.
Le cœur du documentaire reste les Adieux d’Alice Renavand. Qui seront particuliers, puisque la danseuse se blessera gravement pendant son ultime représentation, décalant son dernier spectacle. Au moment de filmer, l’enjeu cependant est tout autre : Alice Renavand fait ses Adieux sur une prise de rôle, ce qui est rare. Et avec Giselle, rôle absolument emblématique du répertoire. La caméra la suit, de ces si beaux moments en répétitions avec Mathieu Ganio et Monique Loudières, coach en or. De ses doutes profonds aussi, quand la danseuse ne pense pas y arriver, malgré tout ce qu’elle a déjà accompli. Et puis jusqu’à ce soir et ce deuxième acte, ce genou qui lâche, ces regards en coulisse de doute et de compassion, tout en devant continuer le spectacle. Qu’il est si étrange de voir cela en sachant par avance le dénouement de la soirée !

Adieu l’Opéra (2025) de Yonathan Kellerman – Stéphane Bullion lors de ses Adieux
Autour de ces Adieux, Yonathan Kellerman en met en valeur deux autres. Ceux de Stéphane Bullion ont eu lieu quelques semaines plus tôt, ceux d’Aurélia Bellet le même soir. Suivre une Étoile sur ses dernières semaines avant ses Adieux, c’est attendu. Suivre une Sujet, quelqu’un du corps de ballet, voilà qui est moins fréquent. Mais c’est bien ce trio de regards qui amène toute la richesse du film. Leurs parcours sont différents, leurs obstacles tout autant. Mais leur passion pour leur art, et leur amour de cette Maison, sont les mêmes. Stéphane Bullion, dont le corps lui a tant joué de tours, semble serein à l’approche de ses Adieux, sur un duo de Mats Ek. Pourtant l’émotion l’étreint sans prévenir à l’idée de ne plus vivre ces rôles si précieux en scène. Aurélia Bellet nous raconte le temps qui passe, le quotidien d’une artiste du corps de ballet, la façon dont elle perçoit l’ambition, sa place dans la troupe. Tout le monde, en fait, ne se projette pas en tant qu’Étoile. Les enjeux artistiques peuvent sembler moindres – elle ne fait pas une prise de rôle dans Giselle, elle tient un rôle de jeu au premier acte -, tout comme l’émotion autour. Pourtant, l’attention est la même, l’envie d’être à son maximum jusqu’au bout aussi.
En contrepoint à ces trois portraits se glisse le regard de Wilfried Romoli, qui est passé par tout cela, et qui aujourd’hui enseigne aux premières divisions garçons. Qui, pour certains, seront engagés dans la compagnie, parce qu’un danseur y a fait ses Adieux et qu’une place s’est donc libérée. C’est ainsi le propre des beaux documentaires : au-delà des parcours personnels, ils dressent le portrait d’une institution. Et cette grande boucle qui en fait sa force, des premiers pas aux derniers en scène, puis au retour à l’École de Danse pour y devenir professeur. L’on retrouve ainsi ces trois artistes quelque temps plus tard : Stéphane Bullion enseigne à Nanterre, Aurélia Bellet s’est réinventé entrepreneuse au Portugal. Et Alice Renavand danse le Boléro de Maurice Béjart. Quelle joie, ces images sur son visage, cette danseuse si heureuse et éclatante sur l’iconique table rouge.
Post-scriptum : ce documentaire Adieu l’opéra contient sans le vouloir le meilleur plaidoyer pour maintenir l’impression chaque soir des feuilles de distribution, que l’Opéra de Paris a choisi de supprimer cette saison.

Adieu l’Opéra (2025) de Yonathan Kellerman – Aurélia Bellet dans sa loge.
Adieu l’opéra de Yonathan Kellerman, disponible en ligne sur Arte.tv.

