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Joséphine / Le Sacre du printemps – Germaine Acogny / Pina Bausch

Le Théâtre des Champs-Élysées ouvre sa saison Danse avec une double affiche mettant son histoire à l’honneur. Joséphine Baker et Le Sacre du printemps ont en effet marqué l’histoire de cette salle illustre, laissent encore en souvenir impérissable dans ses murs. La partition de Stravinsky fait ici son retour avec la chorégraphie de Pina Bausch, interprétée par les artistes africain-e-s rassemblés par l’École des Sables du Sénégal. Si ce chef-d’œuvre fait toujours son effet 50 ans après sa création, c’est surtout la création de Germaine Acogny autour de Joséphine Baker qui attise la curiosité. Dans une expérience hors du temps, presque mystique, la chorégraphe établit un dialogue avec son icône, offrant un moment de partage émouvant, insolent parfois et plein de sens. Un bel hommage et une sacrée performance.

 

Joséphine – Germaine Acogny

 

Le 2 octobre 1925, il y a 100 ans, le public parisien se presse au Théâtre des Champs-Élysées pour découvrir la Revue Nègre, spectacle de music-hall venu tout droit des États-Unis. Un nom est sur toutes les lèvres à l’issue de cette représentation, celui de Joséphine Baker qui fait alors ses débuts en France. Si la postérité a longtemps retenu de cette artiste ses performances dénudées avec sa ceinture en bananes et sa reprise de J’ai deux amours, l’un des hymnes de Paris, son engagement dans la Résistance ainsi que ses combats politiques (notamment dans la lutte contre la ségrégation raciale aux États-Unis) ont depuis pris le dessus sur la vision de son histoire. Icône féministe et symbole des combats Afro-Américains, elle entre d’ailleurs au Panthéon en 2021. Un symbole fort puisqu’elle est la seule femme de couleur (et seulement la sixième femme à l’époque) à avoir cet honneur. Le centenaire de sa première apparition française mérite donc d’être célébré et c’est au Théâtre des Champs-Élysées, là où tout a commencé, que cette fête se déroule. À l’occasion d’un cycle intitulé Osez Joséphine, l’institution de l’Avenue Montaigne rend donc hommage à l’une de ses figures emblématiques à travers plusieurs concerts ainsi qu’un programme de danse. Ce dernier met en lumière Germaine Acogny, danseuse et chorégraphe franco-sénégalaise considérée comme la mère de la danse contemporaine africaine. En collaboration avec la chorégraphe Alesandra Seutin et le metteur en scène Mikaël Serre, elle se met en scène dans une création, intitulée Joséphine, mettant en scène cette femme qu’elle admire tant.

La pièce commence au son de la voix de Joséphine Baker alors en pleine interview. Doucement, Germaine Acogny émerge de la fosse d’orchestre. Elle ramasse un bouquet de fleurs disposé en avant-scène avant de les jeter une à une contre l’imposant rideau doré du théâtre. Le ton est donné, cette performance n’a pas vocation à être un hommage classique et solennel. La danseuse nous invite à partager une expérience plus personnelle. Sur le plateau, elle est accompagnée de la poupée Ashanti, déesse de la fécondité mais qui ici prend parfois la place de Joséphine Baker. Germaine Acogny commence à exécuter quelques pas de danse à ses côtés, des mouvements amples, doux et généreux telles des révérences à cette icône. D’emblée, l’artiste saisit par sa prestance imposante et la précision de ses gestes qui ne trahissent pas ses 81 ans (!). Cette lente méditation prend peu à peu des airs de charleston, tant dans la gestuelle que dans la musique composée par Fabrice Bouillon-LaForest, rappelant les débuts au music-Hall de Joséphine Baker. Au fur et à mesure, Joséphine prend le pas sur Germaine qui finit par incarner cette figure légendaire. Elle se défait alors de sa robe de soirée, révélant des habits près du corps aux couleurs de sa peau, avant d’exécuter une série de poses face à un miroir imaginaire, évoquant les clichés nus réalisés par l’ancienne meneuse de revue.

 

Joséphine – Germaine Acogny

 

Mais ce portrait ne se limite pas à sa carrière de showgirl. Germaine Acogny a visiblement à cœur de présenter les différentes facettes du personnage et de s’affranchir des clichés qui l’entourent. Tel un acte de défiance, elle va même jusqu’à jeter violemment dans la fosse une banane qui a mystérieusement atterri dans sa main avant de revêtir une robe de chambre et de se transformer en la mère de famille qu’était Joséphine Baker. Dans ce passage, elle s’adresse à ses enfants, et par la même occasion au public, leur sommant de ne pas confondre la danseuse exotique qu’iels voient à la télévision avec leur mère. Ce solo se termine en évoquant le combat politique de cette grande artiste. La performeuse, alors lestée de tout accessoire, se lance dans une marche, lente mais déterminée, vers le proscenium tandis que retentissent les mots issus des Mémoires de Joséphine Baker : « Ni juifs, ni chiens, ni niggers ». Une diatribe pour l’égalité qui résonne encore étrangement avec l’actualité américaine, prouvant que les combats de Joséphine Baker sont loin d’être terminés. Germaine Acogny se fait le relais de ce message, qu’elle transmet ainsi aux générations futures alors que la lumière s’éteint sur elle, mettant fin à une marche qui semble ne jamais finir. Un final un peu abrupt, qui a de quoi décontenancer, mais qui offre une belle conclusion à ce dialogue presque mystique entre deux grandes artistes.

 

Le Sacre du printemps de Pina Bausch

 

Cette création est couplée au désormais mythique Sacre du printemps de Pina Bausch, interprété par 45 danseuses et danseurs venus de 13 pays africains, sous l’égide de l’École des Sables, fondée par Germaine Acogny. Un retour aux sources pour ce ballet, dont la création de la première version a fait trembler les murs du Théâtre des Champs-Élysées en 1913. Mais il s’agit également d’une œuvre importante pour la chorégraphe. Proche de Maurice Béjart, ce dernier souhaitait qu’elle danse l’Élue de son Sacre avec Mudra Africa (l’antenne sénégalaise de l’école béjartienne). Elle endossera finalement ce rôle aux côtés d’Olivier Dubois qui crée pour elle le solo Mon Élue noire. L’École des sables danse Le Sacre depuis 2020 et son apprentissage a été documenté dans le très beau film Dancing Pina de Florian Heinzen-Ziob. Après une première à la Villette en 2022, le groupe vient pour la deuxième fois présenter cette pièce emblématique à Paris. 

Alors que dire sur Le Sacre de Pina Bausch qui n’a pas déjà été dit ? Je pense que personne ne m’a attendu pour l’analyser sous toutes les coutures et crier au chef-d’œuvre. 50 ans après sa création, cette œuvre n’a rien perdu de sa puissance et procure toujours le même choc. Pour ma part, je n’ai jamais vu cette pièce en dehors des ors du Palais Garnier, toujours interprétée par les artistes du Ballet de l’Opéra. Voir cette chorégraphie exécutée par un groupe d’interprètes beaucoup plus hétérogènes et non issu.e.s de la technique classique apporte un autre éclairage. Les gestes sont peut-être moins fluides, mais toujours aussi précis et – au risque de paraître cliché – plus viscéraux. La notion de vie ou de mort, fondamentale dans un Sacre, est bel et bien présente, de l’Élue du soir aux artistes en dernière ligne. En plus de leur engagement, ces artistes montrent une musicalité très naturelle, mettant en valeur le moindre accent de la redoutable partition de Stravinsky et ajoutant de la puissance aux effets de groupe. Une qualité qui avait marqué Germaine Acogny lors des répétitions, elle qui avait eu tant de mal à dompter cette musique en tant qu’interprète. Dommage que l’orchestre n’ait pas vraiment été à la hauteur des interprètes, avec notamment des approximations du côtés des bois. La seule fausse note d’une soirée très réussie. 

 

Le Sacre du printemps de Pina Bausch

 

Joséphine de Germaine Acogny et Alesandra Seutin, mise en scène de Mikael Serre, musique de Fabrice Bouillon-LaForest. Avec Germaine Acogny ; Le Sacre du printemps de Pina Bausch, musique d’Igor Stravinsky. Avec Kouassi Rodolphe Allui, Dovi Afi Anique Ayiboe, Ugwarelojo Gloria Biachi, Khadija Cisse, Sonia Zandile Constable, Rokhaya Coulibaly, Inas Dasylva, Astou Diop, Loue Serge Arthur Dodo, Joannie Diane Christie Dossou, Yoro Pierre Marie Fallet, Adjo Delali Foli, Alexandre Garcia, Aoufice Junior Gouri, Manuella Hermine Kouassi, Tom Bazoumana Kouyaté, Profit Lucky, Vasco Pedro Mirine, Stéphanie Ndaya Mwamba, Sidnoma Florent Nikiéma, Shelly Tetely Ohene-Nyako, Brian Oloo, Harivola Rakotondrasoa, Oliva Randrianasolo, Tom Jules Samie, Amy Collé Seck, Pacôme Landry Seka, Carmelita Siwa, Amadou Lamine Sow, Kadidja Tiemanta, B Abdoul Aziz Zoundi. Orchestre Les Siècles sous la direction de Giancarlo Rizzi. Mercredi 24 septembre 2025 au Théâtre des Champs-Élysées.

 
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