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[Biennale de la Danse 2025] Entre-Temps de Philippe Decouflé – Compagnie DCA

Dernière tête d’affiche de la Biennale de la Danse de Lyon, Philippe Decouflé y a proposé sa récente création : Entre-Temps. Avec neuf artistes, dont certains qui l’accompagnent depuis 40 ans, le chorégraphe joue des souvenirs et du temps qui passe, des empreintes qu’il laisse dans les corps et les coeurs d’une façon parfois inattendue. Sans s’appesantir sur cette imperturbable course en avant – au contraire, il s’agit plutôt d’un certain apaisement face au temps qui passe – il construit une pièce à l’émotion qui surgit sans prévenir au détour d’une blague, au joli goût doux-amer, pleine de souvenirs et de drôleries et d’amour.

 

Entre-Temps de Philippe Decouflé – Compagnie DCA

 

Philippe Decouflé n’aime pas forcément rejouer les pièces du passé. Pourtant, dans sa dernière pièce Entre-Temps, il est question de regarder en arrière, lui et les artistes en scène. Non pas par nostalgie ou amertume. Mais pour les souvenirs qui s’emmêlent et se transforment ou qui ne laissent pas forcément la trace escomptée, pour le jeu des variations, des moments échappés que l’on cherche à retenir. Non, il n’est pas question de mélancolie ici, ou alors juste un peu. Mais plutôt de laisser éclater une humeur facétieuse face aux temps qui nous jouent des tours, de le prendre à bras-le-corps. Et comment, pourquoi pas à notre tour, nous pourrions jouer avec ce temps qui nous file entre les doigts.

Quand le rideau s’ouvre, après une sorte d’ouverture où le chorégraphe se met en scène en Monsieur Loyal rockeur, le décor peut surprendre par sa simplicité. Quand on pense à Philippe Decouflé viennent tout de suite en scène ces costumes étonnants et fantasmagoriques, ou ce travail vidéo qui habille les artistes. Mais en scène, il y a un fond noir, une chaise, un danseur. Et une histoire de répétition, comme le temps qui faussement se rejoue. On traverse la scène les bras en avant sans se trouver, comme des amants ou amis ratant perpétuellement leur rencontre, alors que l’horloge à jardin avance bien trop vite, ralentit ou repart en arrière. Philippe Decouflé n’a voulu que se servir d’une matière déjà existante pour cette nouvelle pièce. Cela se joue donc sur des bouts de décors et costumes recyclés, repris de pièces anciennes. Et des souvenirs des artistes. En plateau, ils et elles sont neuf artistes, de 38 à 72 ans. Des danseurs et danseuses qui en ont donc vu passer des choses. Le spectacle se construit ainsi sur leurs souvenirs, sur la trace qu’ont laissé des chorégraphes en eux et elles, sur la trace qu’a laissé la danse. On se souvient de pas, de sensations, mais à travers les corps, ils ne reprennent pas exactement vie de la même façon. Une danseuse redevient adolescente créant sa première « choré » face à son miroir sur La isla bonita. Un autre se remémore ses danses bretonnes qui ont bercé ses premiers souvenirs. Un autre parle de Dominique Bagouet, une autre de Régine Chopinot, un autre des majorettes. Et quelques-uns d’entonner l’énumération d’Einstein on the Beach de Philippe Glass et Lucinda Childs. C’est ainsi que se déroule la pièce, entre souvenirs, drôleries et folie douce, entre réminiscences sans tristesse du temps qui passe, mais presque ébloui par tout ce qu’il laisse d’inattendu.

 

Entre-Temps de Philippe Decouflé – Compagnie DCA

 

La deuxième partie se tourne un peu plus vers la danse-théâtre. Avant que, par une pirouette, le public se trouve à son tour comme piégé par le temps qui se répète aux multiples variations. Vous voyez le Chat de Schrödinger ? Tiens, voyons voir comment cela se serait-il passé si ce danseur avait vu celui d’en face. Voilà le spectacle qui se rejoue devant nous, mais pas complètement. C’est un geste de côté, un regard en coin, comme une course un peu plus effrénée. C’est enfin le temps qui apaise : il se répète parfois de façon abasourdie, mais adoucit les choses : chacun traverse ainsi la scène en trouvant cette fois-ci sa moitié au bout du chemin.

Tout semble être fait de bric-et-de-broc – un souvenir par ci, une blague par là, une anecdote qui fuse, une mémoire qui défaille ou au contraire qui se souvient avec une précision métronomique de gestes appris il y a plus de 40 ans. Mais rien n’est jeté en scène au hasard. « Je ne les appelle pas mes ‘interprètes’ », explique le chorégraphe en parlant des danseurs et danseuses. “Nous sommes des artistes et nous faisons des choses ensemble, et je guide pour que cela soit cohérent”. Tel un chef d’orchestre, il met en place les réminiscences de chacun et chacune pour s’amuser du temps qui passe. Pour raconter aussi une certaine époque de la danse en France, et de quelques-uns de ses grands artistes. Pour lier le tout, quelqu’un enfin ne quitte jamais la scène : le pianiste Gwendal Giguelay, tel un musicien-accompagnateur des cours de de danse sur son instrument de guingois, qui donne le ton et fait défiler une merveille de bande-son, de Bach à Gloria Gaynor. On sourit, on rit, on est touché en plein cœur, et on chante nous aussi.

 

Entre-Temps de Philippe Decouflé – Compagnie DCA

 

Entre-Temps de Philippe Decouflé par la compagnie DCA, de et avec Dominique Boivin, Meritxell Checa Esteban, Catherine Legrand, Eric Martin, Alexandra Naudet, Michèle Prélonge, Yan Raballand, Lisa Robert et Christophe Waksmann (danse), Gwendal Giguelay (piano) et la participation d’un groupe de volontaires amateurs et amatrices. Samedi 4 octobre 2025 à la Maison de la Danse de Lyon, dans le cadre de la Biennale de la Danse. À voir du 9 au 26 octobre à La Villette, en tournée en France et au Luxembourg du 7 janvier au 17 avril.

 

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