TOP

Swan Lake de Matthew Bourne – New Adventures

Les cygnes virils de Swan Lake de Matthew Bourne sont de retour pour fêter les 30 ans de cette relecture du Lac des cygnes, désormais culte. Au son de l’indémodable partition de Tchaïkovski, le chorégraphe et metteur en scène britannique signe une version queer et moderne de ce monument du ballet, dans un style faisant aussi bien références à la chorégraphie originale qu’aux grandes comédies musicales de Broadway et d’Hollywood. Une superbe production, très théâtrale, qui traverse les années sans vieillir et qui parvient encore à émouvoir. De belles retrouvailles.

 

Swan Lake de Matthew Bourne – Jackson Fisch (Le Cygne) et Stephen Murray (Le Prince)

 

Quand on pense au Lac des cygnes vient avant tout à l’esprit le double rôle d’Odette/Odile. La dualité d’un tel personnage, demandant à la danseuse un gros travail d’interprétation en plus de l’imposante charge technique, a de quoi fasciner. Ce sont ainsi majoritairement des ballerines qui sont citées lorsqu’il faut évoquer de grands interprètes du Lac des cygnes. Pourtant la Reine des cygnes n’entre pas en scène avant le deuxième acte. Pendant ce temps, le livret s’attarde beaucoup sur les questionnements du prince Siegfried… Et si c’était lui, finalement, le personnage principal ? Un postulat que de nombreux.ses chorégraphes ont déjà exploré. Il y a évidemment la version de Rudolf Noureev (plus proche de la psychanalyse que du conte médiéval), mais aussi celle de Christopher Wheeldon (qui suit un danseur sur le point d’interpréter Siegfried), de John Neumeier (où le prince prend les traits de Louis II de Bavière) ou encore celle de Dada Masilio (traitant du tabou autour de l’homosexualité en Afrique du Sud). Et puis il y a celle de Matthew Bourne. Chorégraphe et metteur en scène britannique, ce dernier n’a pas évolué dans le milieu de la danse dès son plus jeune âge. Il ne verra son premier ballet qu’à 18 ans (une représentation du Lac des cygnes bien sûr) mais a déjà une passion pour le cinéma et les comédies musicales, deux formes artistiques qui vont grandement forger son style au fil des années. Après avoir écumé les salles de spectacle et un passage au Centre Laban, il devient danseur mais se tourne très vite vers la chorégraphie. En 1987 il fonde avec des collègues le collectif Adventures in Motion Pictures qui deviendra 14 ans plus tard New Adventures. Avec cette compagnie, il crée de nombreuses pièces et se fait connaître pour ses adaptations des grands ballets classiques tels que Casse-noisette, La Sylphide, Cendrillon et… Le Lac des cygnes. Celle-ci, véritable tube de la compagnie, fait son retour à l’occasion d’une grande tournée pour célébrer ses 30 ans.

Présentée pour la première fois à Londres en 1995, cette relecture du chef-d’œuvre de Tchaïkovski/Petipa/Ivanov a fait grand bruit à l’époque avec ses cygnes masculins, remplaçant le traditionnel corps de ballet féminin. Exit les pointes et les tutus, les danseurs sont torse et pieds nus, le crâne rasé, avec pour seul habit un large pantacourt à plume. Si aujourd’hui confier les actes blancs à des hommes et avoir un couple homosexuel au cœur de l’intrigue ne fait plus sourciller, il s’agissait d’un pari risqué pour l’époque. « Certains s’inquiétaient, ils étaient nerveux car c’est une œuvre sérieuse. […] Lors de la toute première représentation, beaucoup imaginaient que les cygnes masculins seraient la partie drôle du spectacle. Ils pensaient que les hommes seraient en tutu comme les Ballets Trockadero« , nous confiait le chorégraphe il y a deux ans.

 

Swan Lake de Matthew Bourne – Jackson Fisch (Le Cygne) et Stephen Murray (Le Prince)

 

Sur scène, ces cygnes masculins attirent toujours toute l’attention. Mais le cœur de ce Swan Lake réside toutefois, une nouvelle fois, dans l’histoire du prince. En situant l’action à l’époque contemporaine, Swan Lake met d’abord en avant notre cher Siegfried, qui devient le prince héritier de la couronne d’Angleterre. Il est enfermé dans un rôle qui ne lui convient pas, réprimant ses désirs pour la gent masculine dans un milieu protocolaire où il peine à trouver sa place. À l’inverse, le Cygne apparaît comme une créature puissante, lui faisant office de protecteur. Ici pas de princesse victime d’un sortilège, la personne qui a besoin d’être sauvé est bien le prince. Le lac fait alors office de refuge. Bien que les cygnes puissent paraître hostiles à son égard (alors qu’il n’a même pas d’arbalète), il s’épanouit à leurs côtés. Plus que la naissance d’une histoire d’amour avec le cygne principal, on assiste à un véritable éveil chez ce jeune homme, heureux d’avoir enfin trouvé sa communauté. Le voir rayonner lorsqu’il danse avec les cygnes, comme n’importe quel jeune homme queer qui se rend pour la première fois dans un bar LGBT, fait chaud au cœur.

Tout en multipliant les références à la chorégraphie de Marius Petipa et Lev Ivanov – l’entrée des cygnes en serpentin, les arabesques appuyées – Matthew Bourne déploie une manière de danser qui se rapproche des mouvements de ces majestueux volatiles. Ça danse grand, avec un certain détachement, mais aussi avec brutalité. Les cygnes dans la nature sont loin d’être des créatures tendres, elles ne le sont pas plus ici. Ce qui n’empêche pas quelques moments de tendresse, comme le pas de deux central entre le Prince et le Cygne, véritable danse d’apprivoisement qui se transforme en parade nuptiale. En contrepoint, les actes du palais vont vers le théâtre chorégraphié. Le premier acte donne ainsi lieu à un enchaînement de scènes protocolaires pleines d’humour, avec notamment une parodie de ballet pantomime lorsque la famille royale se rend à l’opéra, avant de se terminer sur une scène de taverne évoquant Sweet Charity et le film Cabaret, deux œuvres de Bob Fosse. L’influence de ce chorégraphe se fait également sentir dans le bal du troisième acte où intervient L’Étranger, pendant masculin du Cygne noir.

 

Swan Lake de Matthew Bourne – Eve Ngbokota (La Princesse Roumaine) et Jackson Fisch (L’Étranger)

 

Cet homme mystérieux, qui débarque telle Carabosse au baptême de la princesse Aurore, ne cherche pas à tromper le prince, il l’ignore presque. Agissant comme un véritable aimant auprès de l’assemblée, toutes les invitées se pressent autour de lui pour attirer son attention. Les danseuses de la compagnie, privées d’actes blancs, peuvent ainsi s’exprimer dans une série de danses de caractère délurées. La Reine-mère, intriguée et flattée par les attentions de ce bel étranger, se prête au jeu. Elle se retrouve à exécuter un tango sensuel, virevoltant entre les tables, sur l’adage du Cygne noir avant de finir sur une coda enflammée à la West Side Story. Une nouvelle fois, on déniche des références à la chorégraphie originale, notamment lors d’une brève interaction entre le Prince et l’Étranger, qui semble se dérouler dans l’imaginaire du jeune héritier, où le bel inconnu imite avec ironie les mouvements du Cygne. Au final, pas de trahisons ou de grandes révélations, l’acte se termine sur un esclandre du Prince qui tourne au drame, le forçant à la réclusion. Cloîtré dans sa chambre, qui ressemble étrangement à une cellule psychiatrique, il reçoit une dernière visite des cygnes. Beaucoup plus menaçants et agressifs qu’au bord du lac, ils envahissent littéralement son lit. Le Cygne principal apparaît avec une large blessure au thorax, usant de ses dernières forces pour le protéger. Exténué, il finit par s’envoler, laissant le jeune homme aux prises avec ses démons à plume dans un final poignant.

Si aujourd’hui, l’œuvre n’a plus rien de subversive (et heureusement), elle n’en reste pas moins superbe. Personnellement, Le Lac des cygnes n’a jamais fait partie de mes ballets préférés, lui trouvant beaucoup de longueurs pour arriver aux splendides actes blancs. Mais cette version fonctionne à merveille. La grande théâtralité et musicalité de la mise en scène revitalise les scènes du palais et la relecture queer donne une note particulièrement touchante à l’histoire. La production en elle-même passe également bien l’épreuve du temps avec ses décors imposants et des costumes peu avares en plumes et paillettes. Tout ce qu’on aime ! Un bel écrin pour les artistes de la compagnie qui connaissent l’œuvre dans ses moindres recoins. Le quatuor principal du soir a d’ailleurs livré une très belle prestation. Bryony Wood, très drôle dans le rôle de la fiancée, rappelle Ariana Grande dans Wicked. Pour Katrina Lyndon, la Reine, elle évoque la Sissi de Mayerling, femme de pouvoir mais qui cherche toujours à plaire. Le parallèle avec le ballet de Kenneth MacMillan est d’autant plus fort dans le pas de deux qu’elle échange avec son fils. En Cygne/Étranger, Jackson Fisch impressionne par la puissance de sa danse et sa présence énigmatique qui convient bien à ce double rôle. Je terminerai bien évidemment avec le prince, petit être trop pur pour ce monde, incarné avec beaucoup de sensibilité et de poésie par Stephen Murray. Plus que ses qualités de danseur, je retiens son jeu, particulièrement expressif, qui réussit à émouvoir malgré la grande distance qui sépare le public du plateau à la Seine Musicale. Même s’il n’a pas les honneurs du dernier salut, réservé comme toujours au Cygne, c’est bien lui qui véhicule l’émotion tout au long de la soirée.

 

Swan Lake de Matthew Bourne – New Adventures

 

Swan Lake de Matthew Bourne, musique de Piotr Ilitch Tchaïkovski, costumes de Lez Brotherston, éclairages de Paule Constable, vidéos de Duncan McLean, conception sonore de Ken Hampton. Avec Jackson Fisch (Le Cygne/L’Étranger), Stephen Murray (Le Prince), Katrina Lyndon (La Reine), Bryony Wood (La Petite Amie), James Lovell (Le Secrétaire privé). Le vendredi 10 octobre 2025 à la Seine Musicale. À voir jusqu’au 26 octobre.

 

VOUS AVEZ AIMÉ CET ARTICLE ? SOUTENEZ LA RÉDACTION PAR VOTRE DON. UN GRAND MERCI À CEUX ET CELLES QUI NOUS SOUTIENNENT. 

 




 

Poster un commentaire