Racines par le Ballet de l’Opéra de Paris – George Balanchine / Mthuthuzeli November / Christopher Wheeldon
En face de Giselle au Palais Garnier, Racines offre à l’Opéra Bastille, par le Ballet de l’Opéra de Paris, un programme en forme de triple bill autour de la thématique annoncée du retour aux racines. Pour George Balanchine, avec Thème et variations, à sa Russie d’enfance, celle de Marius Petipa et Tchaïkovsky. Pour Mthuthuzeli November, avec Rhapsodies, à la danse africaine et ses hybridations possibles avec la technique classique. Pour Christopher Wheeldon et Corybantic Games, à la Grèce antique, celle des jeux sacrés et de Platon. En réalité peu convaincant, ce fil bien ténu donne lieu à une soirée en demi-teinte, qui plus qu’une unité peine à trouver son rythme, malgré de beaux moments de danse.

Thème et variations de George Balanchine – Bleuenn Battistoni et Thomas Docquir
C’est toujours un plaisir de revoir Thème et Variations de George Balanchine, qui ouvre ce programme Racines par le Ballet de l’Opéra de Paris. Créé en 1947 pour l’American Ballet Theatre, ce morceau de bravoure multiplie les hommages au grand style du ballet russe, c’est-à-dire aux ballets du duo Petipa-Tchaïkovsky, en lesquels le chorégraphe voyait le point d’aboutissement de la danse classique. Du Lac des cygnes à la Belle au Bois dormant, les références à ce répertoire sont constantes, entrelacées à un canevas magnifiquement construit qui fait la part belle au duo principal et notamment aux variations de la ballerine. Autour d’eux, le corps de ballet a une fonction d’écrin, effet renforcé par le ton sur ton des tutus azurés sur fond sobrement bleu. De l’adage aux variations en passant par la coda, le ballet déploie avec superbe la structure du pas de deux classique : l’occasion pour les solistes de démontrer une danse brillante aussi bien que lyrique. Bleuenn Battistoni et Thomas Docquir forment un couple très à l’aise, à la technique souple et harmonieuse, toute de détente et d’accents. Un peu plus en retrait dans ses propres variations, Thomas Docquir se met au service d’une Bleuenn Battistoni qui emporte avec elle tout le ballet. Sa noblesse altière est particulièrement frappante lorsque, s’enroulant comme d’une guirlande de danseuses, elle fait surgir le personnage d’Aurore de ses ports de bras vertigineux et de ses développés parfaits.
Malgré tout le plaisir pris à ce très grand ballet, il semble cependant arriver trop tôt dans le programme. Le corps de ballet, très précis, manque un peu de panache, notamment dans la polonaise finale. Surtout, l’enthousiasme que l’on peut ressentir en tant que spectateur et spectatrice met du temps à monter, ce qui atténue l’effet d’acmé parfois éprouvé devant Thème et Variations. D’une tonalité beaucoup plus lyrique ou formelle, les deux autres pièces du programme pâtissent un peu du contraste.

Thème et variations de George Balanchine – Bleuenn Battistoni
J’étais très curieuse de Rhapsodies, créée en 2024 pour le Ballett Zürich et qui, tout comme Corybantic Games, fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris. Le programme annonce une pièce où le chorégraphe Mthuthuzeli November revient à sa découverte de la danse classique depuis la danse de rue et la danse africaine. Cependant, à part dans quelques mouvements d’ensemble masculins qui se détachent avec force, le style demeure classique contemporain, suscitant une joie communicative chez les interprètes mais sans réellement surprendre.
Le rideau s’ouvre sur le couple formé par Célia Drouy et Axel Ibot, qui s’échappe d’un cadre doré dont la luxuriance d’un autre temps pourrait faire écho au ballet précédent. S’ensuit un pas de deux investi mais assez lisse, et la pièce ne se déploie qu’avec le jeu très ingénieux de la scénographie, conçue par Magda Willi. Tandis que le fond se lève sur un écran nuageux, le cadre s’ouvre, diffractant en multiples silhouettes le couple initial, comme d’innombrables facettes que renverrait un miroir sans fin. Duos et mouvements d’ensemble se succèdent alors, les longues robes flottantes aux teintes pastels d’un ciel d’orage (créées par Bregje van Balen) trouvant leur répondant dans de sobres costumes masculins.

Rhapsodies de Mthuthuzeli November – Célia Drouy et Axel Ibot
Très plaisante et ponctuée d’humour, la chorégraphie peine cependant à s’affirmer tant par sa thématique, l’idée de couple étant largement explorée par le ballet néo-classique, que face à la Rhapsody in Blue de George Gershwin, partition infiniment changeante et magnifiquement jouée par un orchestre très en forme. La même impression demeure malheureusement devant Corybantic Games, créé en 2018 pour le Royal Ballet par Christopher Wheeldon et chorégraphié sur la Serenade after Plato’s « Symposium » de Leonard Berstein. Plus que la notion de racines, ce serait d’ailleurs cette veine états-unienne, présente dans l’ancrage de Thème et Variations et dans la musique des deux autres pièces, qui donnerait son fil rouge au programme.
Corybantic Games se veut une variation sur les fêtes mythologiques grecques données en l’honneur de la déesse Cybèle, la musique de Berstein faisant elle-même référence au Banquet de Platon, dialogue enivré où chaque participant-e offre ses libations à l’amour. De cette ivresse dionysiaque, il n’est cependant pas question dans un ballet au formalisme très apollinien.
En plusieurs mouvements allant du duo au pas de quatre ou de six, les interprètes dessinent les lignes pures d’un rêve éthéré sur la Grèce antique. Si quelques figures originales se détachent, notamment dans le premier pas de deux masculin ou lorsqu’une danseuse est projetée telle un point d’exclamation dans les coulisses, l’ensemble manque de progression. À quelques reprises, d’un pas de quatre ou de six, on croit voir surgir les échos de l’Apollon Musagète de George Balanchine, mais sans qu’en naissent la force agonistique ni les rudes aspérités. Certes, la danse est belle et portée avec grâce et précision par tous les interprètes, qu’il est très plaisant de voir réunis : Valentine Colasante, Lucie Devigne, Naïs Duboscq, Lorenzo Lelli, Alexander Maryianowski, Francesco Mura, Enzo Saugar, Nine Seropian et Roxane Stojanov sont tous très à l’aise dans ce style. Cependant, la chorégraphie demeure assez lisse et étonnamment, ce sont la scénographie et les costumes qui attrapent le plus le regard.

Corybantic Games de Christopher Wheeldon
Conçu par Jean-Marc Puissant, le décor évoque un temple grec à l’aide de néons mouvants, qui ne cessent de se reconfigurer et de changer de couleur. Il est cependant surprenant de voir les colonnades se muer en croix, la symbolique se brouillant alors. Quant aux costumes d’Erdem Moralioglu, ils servent inégalement le mouvement : si les longues jupes plissées irisent les déambulations des danseuses-prêtresses, les bretelles noires sont nettement moins heureuses.
Alors que la danse est faite de circulations et de métissages, choisir pour concept conducteur celui de racines pouvait sembler un peu étrange et réducteur, d’autant que les pièces se répondent trop peu pour en faire surgir différents sens possibles ou le questionner. Mais si ce programme ne convainc pas entièrement, c’est surtout parce que la force inégale des pièces ne permet pas de s’immerger totalement dans la soirée ni de faire croître l’enthousiasme.

Corybantic Games de Christopher Wheeldon
Racines par le Ballet de l’Opéra national de Paris. Thème et variations de George Balanchine, avec Bleuenn Battistoni et Thomas Docquir ; Rhapsodies de Mthuthuzeli November, avec solistes Célia Drouy et Axel Ibot ; Corybantic Games de Christopher Wheeldon, avec Valentine Colasante, Lucie Devigne, Naïs Duboscq, Lorenzo Lelli, Alexander Maryianowski, Francesco Mura, Enzo Saugar, Nine Seropian et Roxane Stojanov. Dimanche 12 octobre 2025 à l’Opéra Bastille. À voir jusqu’au 10 novembre.


Claude Féty
Je viens de voir le spectacle Racines ce soir 23 octobre. Je ne suis pas du tout d’accord avec votre commentaire concernant Rhapsodies. J’ai beaucoup aimé et le public aussi : la salle à ovationné les danseurs avec en particulier Hohyun Kang et Pablo Legasa. Ils nous ont fait partager leur fougue et leur vitalité.
Avez d’accord en revanche sur Corybantic games …