Hommage à Ravel – Johan Inger / Thierry Malandain – Ballet du Capitole
L’année 2025 a été marquée par de nombreux hommages à Maurice Ravel né il y a 150 ans. Pour ce programme qui ouvre la saison du Ballet de l’Opéra national du Capitole, la directrice de la danse Beate Vollack a choisi de confronter deux visions chorégraphiques à partir de deux partitions célèbres du compositeur. Créé en 2001 pour le Nederlands Dans Theater, Walking Mad du chorégraphe suédois Johan Inger s’empare du Boléro en l’associant à Arvo Pärt. Sa scénographie met littéralement les interprètes au pied du mur. Avec Daphnis et Chloé, Thierry Malandain a conçu un ballet comme il excelle à le faire, empli d’épure et de poésie. Grâce au sens de la calligraphie chorégraphique qu’on lui connaît, il fait revivre cet Âge d’or et nous offre un merveilleux voyage dans la Grèce antique.

Walking Mad de Johan Inger – Ballet du Capitole
Devant le rideau baissé, un rapide incipit met en scène le personnage principal. En pardessus gris et chapeau melon, Ramiro Gómez Samón semble surgi de l’univers de Folon ou d’un tableau de Magritte. Une sorte d’anti-héros universel un peu hagard qui s’échappe avant même qu’on en sache davantage sur lui. Walking Mad de Johan Inger débute alors, pour ouvrir cet Hommage à Ravel du Ballet du Capitole, tandis que les premières notes du Boléro se font entendre. Nous découvrons une longue palissade, haute d’environ deux mètres cinquante, qui occupe quasiment toute la largeur de scène. Cette scénographie (également signée du chorégraphe, tout comme les costumes) peut paraître simple de prime abord. Mais de décor modulable, elle va se transformer en terrain de jeu pour les neuf interprètes. « J’ai eu l’idée d’un mur capable de transformer l’espace au rythme de cette musique minimaliste et de créer de petits espaces et situations. Walking Mad est un voyage où nous rencontrons nos peurs, nos désirs et la légèreté de l’être », détaille Johan Inger. Entrée au répertoire du Ballet du Capitole en 2012, Walking Mad évoque en effet la complexité des relations humaines dans un espace scénique qui ne cesse de se réinventer. Le pouvoir d’évocation de ce mur est infini. Sa présence se révèle à la fois source d’angoisse, puis de libération quand il se renverse pour devenir piste de danse. Interprété par l’Orchestre national du Capitole sous la direction de Victorien Vanoosten, le Boléro accompagne de son implacable crescendo ces différentes métamorphoses.
Une interruption soudaine – moment de forte tension et fascinant pied de nez – surprend une femme seule, Solène Monnereau dans un coin du mur. Ce silence est bouleversant. Quand la musique reprend tout doucement, quasi en sourdine, un duo intense renforcé par un jeu d’ombres menaçantes s’engage avec Aleksa Žikić. Faire le mur est peut-être la seule échappatoire à l’oppression. Les interprètes s’approprient cette chorégraphie où femmes et hommes semblent vouloir échapper les uns aux autres et aussi à eux-mêmes. Dépouillée de la sensualité que la version de Maurice Béjart a imprégnée à la partition, Walking Mad n’est pas exempte d’un jeu de séduction qui tourne rapidement court. Bien qu’élégant et judicieusement accolé au Boléro, le duo final sur le Für Alina d’Arvo Pärt peine à succéder à l’irrésistible climax. On comprend l’intention du chorégraphe, mais on est moins emportés par le prosaïsme de la proposition.

Walking Mad de Johan Inger – Ballet du Capitole
En 2022, à l’invitation de l’ancien directeur du Ballet du Capitole Kader Belarbi, le chorégraphe Thierry Malandain s’est lancé dans Daphnis et Chloé, rompant avec sa réserve de créer pour d’autres compagnies que la sienne. Trois ans plus tard et après avoir distribué quelques nouveaux rôles, il s’est attelé à remonter le ballet avec Giuseppe Chiavaro, maître de ballet du Malandain Ballet Biarritz. Très liée à cette partition complexe mais magnifiquement inspirante, la chorégraphie se veut être à la hauteur de cette confrontation. Pour cette nouvelle série de représentations au Théâtre du Capitole, le Chœur et l’Orchestre accompagnent les danseuses et danseurs in situ. Installées au Paradis, les voix du chœur descendent vers la scène.
Rappelons qu’en 1912, Maurice Ravel compose pour les Ballets Russes de Serge Diaghilev, ce poème symphonique avec chœur qui deviendra l’un des chefs-d’œuvre du XXème siècle. Fokine, le chorégraphe, et Nijinski, le danseur, s’emparent de cette musique pour créer l’un des très grands ballets de cette troupe. L’argument repose sur l’histoire, truffée de mésaventures, du berger Daphnis, son amour pour Chloé, l’enlèvement de cette dernière par des pirates, l’intervention du dieu Pan et un dénouement heureux. Cette ode aux figures de la Grèce antique – très prisée à l’époque – peut-elle séduire plus d’un siècle plus tard ? Il faut croire que oui.

Daphnis et Chloé de Thierry Malandain – Ballet du Capitole – Natalia de Froberville (Chloé), Alexandre De Oliveira Ferreira (Pan) et Ramiro Gómez Samón (Daphnis)
Avant que la musique et le chant ne se déploient, le ballet de Thierry Malandain débute sur un trio entre Pan, Alexandre De Oliveira Ferreira, Daphnis, Ramiro Gómez Samón et Chloé, Natalia de Froberville, tous trois revêtus de jupes plissées soleil, déclinées pour tous les danseurs. Cette ouverture porte la patte singulière du chorégraphe, dont chaque ballet, jalonné de réminiscences, semble répondre aux précédents : ces chaînes formées par des corps mouvants, ces rondes ininterrompues qui se brisent pour mieux se reformer, ces duos où l’harmonie des corps apparaît comme une évidence. Des mouvements hiératiques côtoient des passages plus enlevés comme l’attaque des pirates ou la célébration finale. À cette fluidité, le chorégraphe ajoute des ports de bras ou des déplacements très stylisés qui évoquent la peinture grecque antique et le style des Ballets Russes.
Dans une scénographie épurée blanche, uniquement agrémentée de colonnes antiques, le dépaysement est total. Si les Étoiles Natalia de Froberville et Ramiro Gómez Samón forment un couple charismatique, les personnages secondaires répondent à l’exigence de Thierry Malandain. Rien de mièvre dans cette bluette pastorale d’un temps passé. La puissance de son intemporalité résonne comme un acte de résistance.

Daphnis et Chloé de Thierry Malandain – Ballet du Capitole – Natalia de Froberville (Chloé) et Ramiro Gómez Samón (Daphnis)
Hommage à Ravel par le Ballet de l’Opéra national du Capitole. Walking Mad de Johan Inger avec Solène Monnereau, Kayo Nakazato, Juliette Itou, Ramiro Gómez Samón, Philippe Solano, Minoru Kaneko, Jérémy Leydier, Lorenzo Misuri. Aleksa Žikić. Daphnis et Chloé de Thierry Malandain avec Natalia de Froberville (Chloé), Ramiro Gómez Samón (Daphnis), Alexandre De Oliveira Ferreira (Pan), Rouslan Savdenov (Dorcon), Tiphaine Prévost (Lycénion) et Sofia Caminiti, Georgina Giovannoni, Nino Gulordava, Mia Li, Nina Queiroz, Emilie Reijnen, Lian Sánchez Castro, Justine Scarabello, Haruka Tonooka (Les Bergères), Eneko Amorós Zaragoza, Amaury Barreras Lapinet, Mathéo Bourreau, Simon Catonnet, Minoru Kaneko, Lorenzo Misuri, Tim Morgenstern, Cristiano Zaccaria, Aleksa Žikić (Les Bergers/ Les pirates), Minoru Kaneko (Bryaxis, le chef des Pirates). Samedi 18 octobre 2025 au Théâtre du Capitole. À voir jusqu’au 26 octobre 2025.

