Soirée Balanchine/Brown/Bausch, épisode 2
On ne perd pas le rythmez avant les vacances de Noël, et on enchaîne avec le compte-rendu de la soirée Balanchine/Brown/Bausch au Palais Garnier, du mardi 14 décembre.
Apollon, de George Balanchine
Mathieu Ganio était sans conteste un très bon Apollon. Mais face à Nicolas Le Riche (à qui il faudrait que je trouve un pseudo à la hauteur de son talent, quelqu’un aurait-il une idée ?), il montre qu’il a encore du chemin à faire, surtout sur le plan de l’interprétation.
Nicolas Le Riche joue un Apollon tout en finesse, avec ce qu’il faut de second degré et de profondeur pour rendre ce ballet, apparemment sans prétention, un très joli moment. Plus qu’un Dieu Soleil, l’étoile joue plutôt un Dieu des arts, qui intronise les trois muses plus pour la nécessité de la création que pour le plaisir d’avoir trois groupies à ses pieds. Il donne en plus une modernité très particulière à la chorégraphie, on aurait dit une rock-star au début avec son instrument de musique (qu’est-ce que c’est, d’ailleurs ?), faisant le show avec sa guitare électrique.
Les rois muses de ce soir étaient très différentes de la première, moins homogènes, mettant plus en avant leur personnalité. Aurélia Bellet et Ludmila Pagliero sont restées dans le premier degré, mais s’amusant beaucoup avec la chorégraphie. Un plutôt bon moment que leur variation, sans toutefois crier au génie.
Agnès Letestu apparait clairement comme leur chef. Délicieuse à chacun de ses pas, Reine Agnès a encore dominé, par son style, son élégance, et son interprétation tout en finesse et en humour. Car ne nous y trompons pas, celle qui décide, c’est elle, certainement pas Apollon. Si elle obéit à ses gestes au début, elle prend le contrôle au moment du pas de deux de façon très clair. C’est elle finalement qui inspire Apollon, qui lui donne l’impulsion, la force et l’imagination d’introniser ces trois muses. Un très joli moment.
O Zlozony / O Composite de Trisha Brown
Malgré la présence de la sublime Isabelle Ciaravola, très en forme, encore une fois je n’ai pas accroché. Le trio, complété par Vincent Chaillet et Josua Hoffalt, était assez homogène, contrairement à la première qui montrait plutôt trois fortes personnalités en opposition. Mais rien n’y fait, je reste sur le palier.
J’avais un peu bossé le programme avant. D’après ce que j’ai compris, la chorégraphe a inventé plusieurs alphabets corporels, liés à la musique. J’ai essayé de les retrouver, pour passer le temps, mais sans véritable succès. J’ai en fait plus l’impression d’avoir assisté à une sorte d’expérience chorégraphique, presque scientifique. Je ne doute pas que cela ait été très intéressant pour Trisha Brown et ses interprètes, mais ne s’agirait-il pas là d’un plaisir égoïste, qui ne tient pas vraiment compte du public ?
Le Sacre du Printemps de Pina Bausch
Deuxième Sacre, deuxième grand frisson… Je sens que c’est le genre d’oeuvre dont je ne pourrais jamais me lasser, que j’aurais l’impression de redécouvrir à chaque fois.
J’étais placée assez différemment de la première, et je me rendais beaucoup mieux compte des ensembles. Je ne sais pas si c’est à cause de ça, mais j’ai perçu une dimension féministe que je n’avais pas vu la première fois. Les femmes font preuve de plus de personnalités, quand les hommes sont plus sous l’emprise du grand maître, ou du destin. Pourtant, ce sont eux qui dominent, par leur violence (notamment dans la scène du viol), leur force et la tradition, donnant au spectateur-rice-s, tout du moins à moi, un sentiment de colère et d’injustice.
Eleonora Abbagnato est une Elue très différente de Miteki Kudo, il est très difficile d’établir une référence entre les deux interprétations.
Eleonora Abbagnato se sacrifie d’elle même. Elle n’hésite pas à aller vers le Gourou avec la robe rouge. Peut-être n’a-t-elle pas peur de mourir. Elle ne craint pas en tout cas d’être choisie, parce qu’elle est persuadée d’une chose : ses camarades, si solidaires face aux hommes, vont forcément venir l’aider.
Sauf que, dès qu’elle est choisie, les voici qui font front contre l’Elue, et se remettent sous l’emprise du maître.
Pour l’Elue, c’est l’incompréhension, l’hébétude, la colère, le refus d’y croire. Et enfin la folie face à une tel retournement, quelque chose qu’elle n’avait jamais voulu croire possible. Une folie qui finit par la tuer, plus que l’acte sacrificiel. Tout ça ne vous rappelle rien ? Et oui, nous sommes en plein dans Giselle, la scène du sacrifice m’a en tout cas énormément fait pensé à celle de la folie.
Ainsi, quand Wilfried Romoli la pousse par les épaules, lui fait faire le tour de la scène, Eleonora Abbagnato ne se débat pas. Trop terrassée d’être laissée tomber, elle se laisse faire, se contentant de dévisager chacune des personnes, demandant de l’aide. Et comprenant à la fin qu’elle ne viendra pas, sombre dans la folie. Et meurt dans l’indifférence, et un certains soulagement de ses anciennes comparses.
Encire une fois, je parle beaucoup de la soliste, mais chacun-e- des danseur-se- est à féliciter. J’espère pourvoir retourner voir cette soirée fin décembre, je suis curieuse de savoir quel parti pris aura choisi Alice Renavand.
© Photos 1 : Sébastien Mathé / Opéra national de Paris
Cams
J’ai énromément aimé Eleonora Abbagnato en élue mais je n’en ai pas vu d’autres donc je ne peux pas comparer.
Effectivement c’est cette touche de second degré qui fait tout l’intérêt de l’interprétation de Nicolas LeRiche. C’est drôle j’ai aussi eu au début cette impression de voir sur scène une rock star et sa guitarre électrique! Et cet instrument, n’est-ce pas une cithare? ça m’y a fait penser en tout cas…
Amélie
@Cams:Je me suis posée la question de la cithare, mais vu Google Images, ça ne se ressemble pas beaucoup. Et c’est vrai, avec Nicolas le Riche, ce n’est plus le même ballet.