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Une année à l’Académie Princesse Grace – En scène avec les Imprévus

Les Ballets de Monte-Carlo proposent régulièrement des séances de travail en public au travers de leurs Imprévus, dans les studios de la troupe. Mais en ce jour de novembre, la compagnie est en tournée à l’étranger. Elle a donc laissé la place aux élèves de l’Académie Princesse Grace, qui se montrent donc devant un public à peine deux mois après la rentrée des classes. Place donc à des sortes de démonstrations, exercices à la barre et au milieu, variations pour les plus grands, cours d’adages et de danse contemporaine ou extraits de travaux réalisés en cours de composition. Nous avons suivi les élèves durant cette journée un peu particulière pour notre deuxième épisode de notre série Une année à l’Académie Princesse Grace.

 

Temps de répétition

Il est dix heures dans le grand studio des ateliers des Ballets de Monte-Carlo. Les gradins pour accueillir le public le soir sont déjà en place. Mais avant le spectacle, place au cours de danse, comme toujours, donné par Gioia Masala. Les filles et garçons de dernière année sont cette fois-ci mélangés. Dehors, il tombe des trombes d’eau (et oui, halte au cliché, il ne fait pas toujours beau à Monaco). À l’intérieur, l’ambiance est à la concentration… et déjà, un peu, au trac. “Vous stressez sur la double pirouette, donc vous n’êtes plus en musique“, souligne la professeur. “Mais pourquoi tu stresses ? Ce que tu fais est superbe ! Tu as mal quelque part pourtant ? N’ai pas l’air effrayé !“, lance-t-elle à un garçon. “Allez, dansez, vous avez de la place. N’ayez pas l’air scolaire“. Parmi les filles, il y a Natatia, une américaine de 18 ans, à la crinière rousse flamboyante. Elle a démarré la danse dans une école près de chez elle, dans le Colorado, avant de venir faire un stage d’été à l’Académie Princesse Grace, à 17 ans. C’est sa deuxième – et dernière année à Monaco. Une arrivée tardive, donc. “Ce n’est pas forcément quelque chose que j’aime faire”, se souvient le directeur de l’Académie Princesse Grace Luca Masala. “Mais j’ai trouvé en elle une grande passion, une envie de travailler, de bien faire. Elle a des faiblesses. Mais j’ai parlé avec elle, c’est une fille très intelligente. C’est important, quand on le sent, de donner une chance à quelqu’un qui nous intéresse, même si elle n’est pas tout à fait dans les clous“. 

 

Et les débuts n’ont pas été faciles. Natatia a donc démarré tardivement un entraînement intensif, elle a des lacunes techniques et n’a pas les grandes qualités de souplesse de ses camarades. “En classe, le plus dur est de ne pas me décourager lorsque je regarde les autres filles“, confie-t-elle. Mais la jeune danseuse s’accroche. “Je ne suis pas la meilleure, je le sais. C’était très dur l’année dernière. Mais j’ai été soutenue, j’ai travaillé. Maintenant, cela me pousse à être meilleure. Si ma jambe ne se lève pas aussi haut que ma voisine, si mon pied n’est pas aussi beau que le sien, cela ne veut pas dire que je suis une moins bonne danseuse. Je peux proposer autre chose, sur une autre voie“. Ses qualités ? “Le plus facile pour moi est d’exprimer des émotions“, analyse-t-elle. “Je savoure vraiment la scène, j’aime faire passer des émotions au public. À la fin d’un spectacle, le public ne va pas noter le meilleur en-dehors, mais va retenir une émotion qui vient du cœur. J’espère donner ça“. Une rencontre avec Jean-Christophe Maillot, le directeur des Ballets de Monte-Carlo, l’a aidée. “Ça a été très inspirant“, se souvient-elle. “Il nous a conseillé d’être nous-même, ce qui m’a beaucoup aidée en cours“. La danseuse a aussi appris la patience. “J’ai compris qu’on ne pouvait pas tout corriger d’un coup, qu’il faut faire les choses étape par étape, être patient avec soi-même“. Et à s’endurcir aussi. “Natatia est une fille particulière, très profonde, très artistes, parfois un petit peu trop“, explique Luca Masala. “Au début, elle était trop fragile. Chaque critique constructive devenait très vite pour elle quelque chose de destructif. On a donc fait un travail psychologique avec elle“.

Je veux voir de la précision, du style. C’est comme cela que j’enseigne et c’est pour ça que vous êtes ici

Pour l’heure à Monaco, le cours de danse continue. “Gioia Masala nous aide énormément“, explique Natatia. “Je comprends pourquoi Luca l’a choisie pour être la professeure des dernières années. Elle sait nous donner la dernière chose qui nous manque. Moi, j’ai besoin d’être plus indépendante pour être prête à vivre dans une compagnie“. À la fin du cours de danse, Michel Rahn prend le relai dans le grand studio pour donner quelques corrections pour les Imprévus de ce soir, leur deuxième représentation sur trois spectacles. Les élèves démarrent par l’adage. Plusieurs couples sont en scène, le professeur passe de l’un à l’autre pour apporter quelques corrections. “Il est important que la fille soit très précise“, appuie-t-il. Les étudiantes repartent ensuite à l’Académie, tandis que les garçons restent pour travailler leur variation. Shale, qui prépare déjà le Prix de Lausanne, passe la variation de Désiré de La Belle au bois dormant. L’accent est mis sur la précision des cinquièmes ou le travail des tours en l’air. “Si tu fais ça à Lausanne, ça ne passera pas“, le prévient Michel Rahn. Place ensuite à un pas d’école ensemble en scène. “Je vous l’ai déjà dit, pensez comme un corps de ballet, vous devez être ensemble“, appuie le professeur. “Je veux vous voir à votre meilleur ! Je veux voir de la précision, du style. C’est comme cela que j’enseigne et c’est pour ça que vous êtes ici“. Pour les élèves, il faut sans cesse se prendre en main, viser plus haut. “Dans cette école, on t’apprend à danser, mais on t’apprend aussi la vie, comment prendre soin de toi, comment gérer les blessures, comme devenir indépendante et disciplinée seule“, explique Natatia. “Beaucoup d’écoles ont un excellent niveau, mais les élèves n’apprennent pas aussi bien à se gérer seuls“.

 

Face au public

Tous les élèves, les plus grands comme les premières années, reviennent à l’atelier autour de 17 heures. Douze jeunes filles, arrivées il y a tout juste quelques mois à l’Académie Princesse Grace, sont en scène et sur pointes. Elle répètent une dernière fois leur placement en scène, elle devront être ensemble. Elles sont remplacées par des élèves un peu plus grands qui répètent encore une fois leur enchaînement de danse contemporaine, puis un extrait d’Opus 40 de Jean-Christophe Maillot, avant un pas de quatre entre filles. Natatia marque une dernière fois la variation de Kitri, qu’elle danse ce soir devant le public. “Je préfère danser des choses un peu plus délicate, comme Aurore“, raconte l’apprentie danseuse. “Mais cette variation me pousse à sortir de ma zone de confort. Je dois attaquer les choses, mettre plus d’énergie dans ma danse. C’est un bon challenge pour moi“. “Quand elle est arrivée à l’école, Natatia était très attentive à tout, mais très silencieuse“, se souvient Luca Masala. “Cette variation la pousse à montrer son caractère. Au final, elle y amène du peps et de la fraîcheur“. 

Vous pouvez rester dans votre zone de confort, vous pouvez aussi décider d’en bouger. Vous avez le choix de mettre un risque dans votre travail

L’heure file. 17h45, place au nettoyage de la scène, puis à l’arrivée du public, tandis que les élèves s’échauffent. C’est d’ailleurs dans leur tenue de travail que les élèves accueillent le public monégasque. “Qu’est-ce que les Imprévus ? Donner la possibilité au public de venir voir une répétition, ‘voir les cuisines’ comme dit Jean-Christophe Maillot“, explique Luca Masala. “Je voulais donc montrer le travail quotidien de l’Académie“. À la place d’un spectacle, les élèves montrent donc un aperçu de leur cours. “Votre but, est que le public ressorte du théâtre avec le sourire et une belle énergie. Alors tombez, prenez des risques, mais donnez tout ce que vous avez à donner, avec amour et passion“, a lancé le directeur à ses élèves. Tout commence donc forcément à la barre, avec les plus jeunes, avant que les plus âgés ne passent au milieu. Puis place à l’adage, la danse contemporaine, quelques pas de deux et pas de quatre, des compositions des élèves, et des variations pour les dernières années. Dont Natatia en Kitri. “J‘ai profité du moment !“, se réjouit la ballerine juste à sa sortie de scène. “J’étais forcément nerveuse, mais je suis heureuse de ce que j’ai fait. J’ai profité de ma variation, même s’il y a des corrections à faire“. 

 

Clap de fin de ces Imprévus au bout d’une bonne heure de démonstrations. Déjà, de nouvelles corrections arrivent pour les élèves, qui remontent en scène le lendemain. Mais ils prennent la pose en souriant pour se faire quelques souvenirs, petits et grands mélangés. Les dernières années, restés assez centrés sur eux-mêmes, commencent à regarder vers les plus jeunes… Même s’il a fallu pour cela que Luca Masala se fasse entendre lors d’une dernière répétition. “La dernière classe doit tirer l’Académie vers le haut. Et ce n’était pas le cas. Je leur ai dit qu’il me manquait des grands, des vrais, sur scène. Je devrais voir des grands dire au petits : ‘Allez, maintenant, on y va’. Hier soir, ils l’on fait. Ils n’aiment pas s’entendre dire qu’ils ne sont pas à leur place“, raconte Luca Masala. “Ils pensent à eux, à trouver leur compagnie, préparer le concours, et c’est normal. Mais il faut aussi qu’ils se tournent vers les petits, les encourager, être exemplaires. Cette mentalité, ce n’est pas une question de technique ou d’artistique, mais une question de choix. Je leur ai dit clairement : ‘Vous pouvez rester dans votre zone de confort, vous pouvez aussi décider d’en bouger. Vous avez le choix de mettre un risque dans votre travail’. Et c’est ce qui s’est passé hier“. Pour sa part, Natatia va prochainement auditionner pour le Ballet Nice Méditerranée. Elle rêve du ballet Giselle, et de continuer à être sur scène. “J’aime la scène. La danse est une chose magnifique. Danser sur scène est un sentiment magnifique“. 

 



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