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En répétition – Foray Forêt de Trisha Brown par le Ballet de l’Opéra de Lyon

Presque deux ans après le décès de Trisha Brown (le 18 mars 2017), le Ballet de l’Opéra de Lyon lui rend hommage à travers une soirée consacrée à la chorégraphe américaine, à voir du 24 au 26 janvier à la Maison de la Danse de Lyon. Au programme : les reprises de Newark et Set and Reset/Reset, et l’entrée au répertoire de Foray Forêt. C’est la première fois que cette pièce est dansée par une autre troupe que la Trisha Brown Dance Company, transmise à huit interprètes du Ballet de l’Opéra de Lyon qui, pour la plupart, dansaient pour la première fois du Trisha Brown. Reportage en répétition à quelques jours de la première. 

Sur le sol du grand studio du Ballet de l’Opéra de Lyon, des marques de couleur : un couloir au milieu de la scène, huit places en coulisse de chaque côté du plateau. Des bouts de scotch indispensables pour les danseurs et danseuses. “Ce couloir au centre représente tout ce qui est hors scène“, explique Noellie Conjeaud, l’une des interprètes de Foray Forêt. “On y est dans des postures naturelles, on marche, on se prépare. Dès que l’on sort de ce couloir, on est sur scène“. Les marques sur les côtés servent pour le dernier passage. Au centre, Dorothée Delabie reprend le solo de Trisha Brown qui conclut la pièce. En coulisse, chacun dans son espace, huit danseurs et danseuses reprennent la même phrase chorégraphique, laissant apparaître sur le plateau, en même temps, une main, un pied, une tête.

C’est ce passage – qui demande une attention de tous les instants de la part des interprètes – qui est répété pour cette matinée de travail. Diane Madden, directrice artistique associée de la Trisha Brown Dance Company, a posé à côté d’elle un ordinateur, sur lequel est diffusé une vidéo de la pièce. Elle y jette un coup d’oeil tout en suivant les artistes dans le studio, son attention sur la soliste – qui danse pour cette répétition avec sa doublure. Stewart, un autre répétiteur, fait plus attention aux deux groupes répartis des deux côtés de la scène. Foray Forêt se danse sur la musique d’une fanfare qui entre petit à petit dans la salle. Mais la chorégraphie de Trisha Brown ne repose pas sur la musique. Les répétitions se font dans le silence, tout reposant sur l’attention que se portent mutuellement les danseurs et danseuses. “Il faut que l’on se regarde, mais aussi que l’on respire ensemble“, explique Noellie Conjeaud. “On fonctionne ainsi beaucoup à l’oreille, avec le bruit d’une respiration quand on se baisse, un sifflement de l’air avec nos bras…“. Et quand ils sont de dos, le danseur Raul Serrano Nuñez, le premier de sa colonne côté cour, émet un bref sifflement. Le soir des représentations, sur scène, les rideaux des coulisses empêcheront les interprètes d’un même groupe de se voir : il s’agit donc de fixer son mouvement par rapport au groupe d’en face. L’ensemble fonctionne en s’observant et s’écoutant, la soliste basant sa danse sur ce que fait l’ensemble : voilà l’équilibre délicat de ce final de Foray Forêt.

Un apprentissage minutieux 

C’est bien. On refait tout plus lentement maintenant“, demande Diane Madden. L’art de ralentir ensemble, sans musique, juste en se regardant, le groupe l’apprivoise avant les répétitions, dès le cours. La barre classique est en effet remplacée par une leçon Trisha Brown, à laquelle participe Diane Madden. “On travaille sur l’articulation, comment par exemple la main peut engager tout le corps sans que l’on utilise un muscle pour le faire tourner“, continue Noellie Conjeaud. “Et puis toute la connexion visuelle entre nous. Un des exercices du cours est de marcher ensemble, et d’accélérer ensemble tout au long de cette marche“. Un travail particulièrement important pour un groupe qui, pour la plupart, n’avaient jamais abordé la danse de Trisha Brown jusqu’alors. “On a grandi en même temps dans ce travail“, raconte la danseuse, qui a été surprise par cette technique. “Quand on regarde une pièce de Trisha Brown, on a l’impression qu’il va falloir lâcher la colonne vertébrale pour amener le mouvement alors que c’est l’inverse. Tout part plutôt des extrêmes, la main, le pied. Le centre ne va pas être si souple que cela finalement“. Un apprentissage que ce groupe du Ballet de l’Opéra de Lyon a dû faire rapidement. Quand Foray Forêt a été remonté par la Trisha Brown Dance Company, la troupe a pris trois mois. Pour la compagnie lyonnaise, c’est quatre semaines. “Nous avons mémorisé cinq phrases chorégraphiques que l’on a travaillées ensemble. On s’est beaucoup aidé, les répétiteurs nous ont entraînés à nous regarder. Puis chacun.e a appris sa partition“.

Autre point important de la danse de Trisha Brown : l’immense précision de chaque mouvement. “L’épaule est placée là et pas là, la tête est dans cette direction et pas une autre, on lâche le menton mais pas le torse…“, explique la danseuse. Preuve en est pendant cette répétition, qui se divise en deux : Stewart prend en charge le groupe pendant queDiane Madden fait répéter les deux solistes. Et dans les deux cas, le travail est le même : l’extrême précision de chaque geste, de chaque sensation. On parle d’un doigt qui se pose au sol, d’un pied qui passe en première en effleurant le plancher, un balancement très précis des hanches…. Même si Foray Forêt, à sa création, partait d’une idée de la simplicité. “Trisha Brown avait l’habitude de chorégraphier des pièces avec beaucoup de technique“, raconte Noellie Conjeaud. “Un jour, sur le ton de la blague, ses interprètes lui ont demandé de faire quelque chose de plus tranquille, de plus doux. Elle a donc imaginé Foray Forêt. La pièce semble en apparence plus légère, mais c’est en fait très précis et dans la continuité de son travail“. Idem pour l’énergie demandée aux interprètes. Ainsi un trio, qui démarre de façon très douce, gagne en intensité au fur et à mesure pour devenir quelque chose de très physique : “Je fais un grand jeté et un danseur va me pousser pendant mon saut pour me faire changer de direction. C’est presque violent pour le corps“. 

Une façon de danser à découvrir, mais qui peut aussi nourrir d’autres techniques. Noellie Conjeaud pense ainsi à la danse de Jiří Kylián, que le Ballet de l’Opéra de Lyon reprend en avril. “Avec ce chorégraphe, nous avons besoin des lignes classiques. Mais nous travaillons aussi dans tout ce qui est le relâché dans les hanches, le plié, être plus dans le sol, ce que nous apporte la technique Trisha Brown“. Une façon de faire qui pourra aussi servir les interprètes la saison prochaine au moment de redanser du Mats Ek. 

 

Programme Trisha Brown par le Ballet de l’Opéra de Lyon du 24 au 26 janvier à la Maison de la Danse
 

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