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Une rentrée par temps de COVID chez les classes de danse du CNSMDL

Après cinq mois de cours à distance, les établissement supérieurs de danse ont enfin pu rouvrir en septembre leurs studios à leurs élèves. Mais comment se passe cette rentrée marquée par de nombreuses consignes sanitaires ? Comment concilier la formation des futurs danseurs et danseuses professionnelles avec la distanciation sociale ? Et comment se passe la reprise pour ces élèves avec presque six mois de cours de danse par Zoom ? DALP a suivi la rentrée des classes de danse classique et contemporaine du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon (CNSMDL). Et malgré de nouvelles et parfois contraignantes habitudes à prendre, le travail et le plaisir de danser ont vite repris le dessus.

Classe de danse contemporaine DNSP1 – CNSMDL

Attention, ce n’est pas complètement sec, je vais te montrer comment faire”. Avant que le cours de danse classique ne commence, les garçons de DNSP1 (deuxième année) ont une nouvelle tâche à faire : nettoyer à la serpillère le sol de leur studio de danse et désinfecter les barres et points de contact. Des mesures sanitaires effectuées par les élèves entre chaque cours. Et le coup de main n’est pas toujours là pour les premiers jours. La secrétaire Laurence Aimo s’empare du ballet et fait une démonstration – pas question de laisser des traces humides qui pourraient rendre le sol glissant – avant de s’inquiéter sur la façon dont la pianiste s’est lavée les mains avant de poser ses doigts sur son clavier : “Attention, il ne faut pas utiliser le gel hydroalcoolique, il laisse des traces sur le piano. Pour les accompagnateurs et accompagnatrices, c’est eau et savon“.

De nouveaux gestes de distanciation

La rentrée des classes de danse du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon est ainsi un peu particulière. Car comment maintenir la distanciation sociale dans une école de danse ? Les lieux d’abord ont dû être repensés. Les côtés du grand couloir qui dessert les cinq studios sont occupés par des grands sacs : chaque élève en a un et y dépose ses affaires pendant le cours. Les vestiaires étant fermés, les étudiane-s- viennent en tenue de danse (les plus jeunes sont logés au Conservatoire, juste en face, mais certain.e.s viennent de pus loin). Une fois entré dans le studio, chacun.e dépose sa bouteille d’eau et ses affaires personnelles à son emplacement à la barre, marquée d’une croix pour respecter la distanciation. Chaque studio est marqué par un quadrillage au scotch, délimitant l’espace de chaque élève au milieu. Quant aux professeur.e.s, ils sont masqué.e.s, désinfectent consciencieusement les mains s’ils doivent prendre un coin de barre pour montrer un exercice ou toucher un.e élève pour une correction.

Couloir réaménagé des classes de danse du CNSMDL

Malgré ces aménagements visibles qui ne laissent pas l’épidémie à la porte du studio, les cours en cette reprise (DALP était présent 10 septembre, trois jours après la rentrée des élèves) se déroulent normalement, centrés sur le travail. Les garçons DNSP1 classique travaillent leurs pirouettes. “Ne cherchez pas à réussir, cherchez à appliquer“, leur lance leur professeur Philippe Lormeau. “Ce qui m’importe, c’est la musicalité et l’intention“. La reprise est progressive, les grands sauts ne sont pas pour les premiers jours, mais la rigueur est la même que pour une reprise normale. “Je ne suis ni plus ni moins exigeant que lors d’une rentrée classique : je regarde, je m’adapte au terrain et je fais en conséquence“.

Les sensations de la reprise après cinq mois sans studio

Même constat dans le studio d’à côté, chez les filles de DNSP1 classique, sous le regard de Marie-Françoise Géry. Les élèves sont à la barre, en plein exercice de dégagés : “L’en-dehors s’acquiert petit à petit, mais la propreté, c’est dès maintenant“. Le travail est toujours axé sur la “musicalité et la qualité musculaire” et la professeure est plutôt contente de l’évolution de ses élèves, qu’elle suivait déjà l’année dernière. La plupart des cinq filles de la classe n’ont pas mis un pied dans un studio de danse pendant les six derniers mois, confinement oblige, mais ont travaillé par Zoom et vidéo avec leur professeure. “Le milieu est plus difficile, mais leur travail à la barre est vraiment bien. Elles ont fait beaucoup de progrès sur leur lacunes spécifiques : Capucine a travaillé sa cheville, Aurélie ses bras, etc. Et elles ont beaucoup gagné en autonomie“.

“Ça fait du bien d’être avec la classe, le groupe, l’énergie, la professeure en vrai et pas derrière sa caméra”

Un travail dont ont consciente ces jeunes filles d’une quinzaine d’années. “Pendant le confinement, on a travaillé sur des choses que l’on ne prend pas forcément l’habitude de faire en cours“, raconte Aurélie. Toutes sont soulagées et heureuses de retrouver le studio, l’espace, et surtout le regard en face de la professeure, après des mois à travailler seules. Physiquement, certaines retrouvent des appréhensions pour les grandes pirouettes ou le travail de pointes. “C’est très frustrant, il y a des choses que j’arrivais à faire avant et que je n’arrive plus à faire maintenant. Je manque de force, mais je manque surtout de confiance“, raconte Leeloo. “On a progressé mentalement, on absorbe les corrections plus facilement, mais c’est parfois le corps qui est encore un peu lent“, continue Aurélie. Même sensation pour les élèves de danse contemporaine, comme Boris en DNSP1 : “Ça fait du bien d’être avec la classe, le groupe, l’énergie, la professeure en vrai et pas derrière sa caméra, de ne pas s’échauffer tout seul. Il peut y avoir la sensation de ne pas être au maximum d’avoir perdu des choses… Mais on va reprendre !“.

Classe de danse classique DNSP1 filles – CNSMDL

Cette continuité physique a été l’une des grandes préoccupations de la directrice des études chorégraphiques Kylie Walters. “J’ai vraiment veillé à ce que tous les étudiant.e.s aient un bagage et des exercices de conditionnement physique” pour que chacun.e puisse s’entraîner sérieusement, un procédé qui n’existait pas avant pour les grandes vacances,nous avons été plus attentifs. Résultat : les élèves sont plutôt en forme. “Certain.e.s ont perdu de la force musculaire, les filles peuvent avoir de l’appréhension pour le travail de pointes. Mais c’est finalement une situation que l’on peut retrouver lors d’une rentrée classique. Il y a toujours une petite baisse en septembre par rapport à la sortie de classe de juin, c’est difficile de savoir si elle est plus ou moins forte cette année“. Tous les élèves ont passé un examen avec un médecin du sport, beaucoup ont réalisé l’électrocardiogramme préconisé. “Les élèves sont très attentifs, contents de se retrouver, de retrouver leur professeurs. Le jour de la rentrée, il y avait de l’excitation dans l’air, d’enfin revenir sur les lieux après autant de temps à la maison“. Les élèves en année préparatoire (première année de formation) ne sont toutefois rentrés que le 21 septembre, le temps de s’organiser (les auditions par vidéo ont eu lieu en juillet) et de prévoir d’éventuelles quarantaines pour les élèves venant des DOM ou de l’étranger.

La question de l’espace

Retour en studio avec les DNSP1 contemporain, sous l’oeil de leur professeure Fabienne Donnio. Après un cours technique, les étudiant.e.s passent à leur première improvisation de l’année. Chaque élève est dans son carré et Fabienne Donnio y dispose des haïkus qui serviront de base à leur travail de création. Avant de se saisir de la feuille, les élèves doivent aller se laver les mains… mais un par un pour éviter tout rassemblement. Suit le travail personnel des élèves, en musique, avec la professeure qui glisse une remarque, observe et reste disponibles aux questions. “Ne séparez pas le travail technique de ce matin avec le travail créatif de maintenant“, conseille-t-elle. Au bout de 15 minutes, place aux restitutions, de 30 secondes à 2 minutes. Distanciation oblige, les apprenti.e.s danseurs et danseuses ne peuvent être que trois à danser en même temps, les autres se dispersant autour. Mais les autres sont lecteurs actifs, tant qu’on est ici, on est dans l’espace de jeu, rappelle Fabienne Donnio. Les premiers montrent leur moment de création et restent au début timidement dans leur carré assigné. Puis petit à petit, chacun.e ose un peu plus prendre l’espace et s’emparer du studio.

Classe de danse contemporaine DNSP1 – CNSMDL

Car comment danser dans un espace délimité, alors que l’on est justement heureux de retrouver la place du studio ? Une contrainte qui n’est pas vue comme un problème pour les élèves. “En fait, je suis rassuré, ces carrés délimités ne nous empêchent pas de danser. Et ça ouvre à se laisser reprendre par l’improvisation, tout a un bon côté“, explique Boris en souriant. “Se retrouver dans un grand espace, ça change tout ! Ça change l’équilibre, nos repères“, continue Aurélie, l’élève de classique. Luna, autre élève en contemporain, a aussi eu des retrouvailles pas forcément simples avec le studio, et notamment le rapport au sol si important dans sa discipline. “Deux mois sans cours de danse, cela reste faisable, surtout si on fait autre chose comme un stage, marcher, nager. Ce n’est pas pareil que de rester six mois sans pouvoir prendre l’espace et courir dans un studio. Courir avec ses baskets dehors, ce n’est pas la même chose !“. Et de parler de son appréhension lors de sa première course en studio et la peur de glisser.

Se retrouver dans un grand espace, ça change tout ! Ça change l’équilibre, nos repères

Pour les déplacements, rien n’a en tout cas été laissé au hasard dans le déroulé du cours. “On savait qu’il fallait maintenir un minimum de distanciation pour préserver la santé de tout le monde“, explique Kylie Walters. “L’idée est d’éviter les regroupements dans les angles du studio, vers la porte, qui sont normales dans un cours de danse. Pour les grandes diagonales, ils passent par un ou deux, les autres maintenant la distanciation. C’est une sortie de chorégraphie à gérer, quitte à laisser deux phrases de plus dans la musique pour laisser le temps aux étudiant.e.s de placer. Ce n’est pas si compliqué, il faut juste l’intégrer“. Une impression que partagent les professeur.e.s. “Le quadrillage, c’est très facile à contourner“, continue Philippe Lormeau. “On peut en faire un jeu artistique avec une course, une marche pour se placer, saluer les autres qui arrivent, etc.

Classe de danse classique DNSP1 filles – CNSMDL

Danser avec un masque

La question de la distanciation sociale entre élève reste plus problématique pour tout ce qui concerne les cours d’adage. “Pour le pas de deux, les étudiant.e.s gardent leur masque. Les professeurs leur laissent des pauses régulières pour que chaque duo puisse se laver les mains et respirer un coup“, continue Kylie Walters. Idem quand il y a duo en danse contemporaine, les élèves doivent porter le masque à partir du moment où ils se touchent, même si cela peut frustrer les élèves. “Ne pas se toucher en danse contemporaine, surtout en improvisation, c’est contraignant“, raconte Luna. “Dans un déroulé de cours ou d’atelier, il y a une dynamique de création : on réfléchit dans son coin puis on se lance. Alors couper une créativité pour mettre un masque et pouvoir ainsi danser avec quelqu’un d’autre, c’est un peu moins spontané. Surtout qu’avec Fabienne Donnio, on travaille beaucoup sur les portés, les duos, le groupe. Se lancer sans se toucher mutuellement, c’est particulier“.

Étudiant.e.s comme professeur.e.s ne trouvent cependant pas ces consignes pesantes, ni qu’elles n’entravent leur travail au quotidien. Le casse-tête a plutôt été du côté de l’administration et des adaptations à mener sur le planning pour respecter les consignes sanitaires, et notamment le nombre maximal d’élèves possibles par studio. “Ils sont 21 dans le Jeune ballet, ils ne peuvent donc pas répéter ensemble dans le même studio, ils ont donc besoin de deux espaces avec le.la chorégraphe qui navigue de l’un à l’autre“, reprend Kylie Walters, qui peut utiliser des studios des Subsistances juste à côté pour avoir plus d’espace. “Certains cours ont été divisés en deux, les cours théoriques sont faits en vidéo, même s’il faut laisser le temps aux élèves de rentrer chez eux pour les suivre et éviter ainsi qu’ils se retrouvent tous dans la même salle“. Le tout en prenant en compte le planning des professeur.e.s qui n’est pas extensible et le budget qui ne permet pas forcément de rajouter des heures supplémentaires.

Classe de danse classique DNSP1 garçons – CNSMDL

Nous avons repris les cours. Mais pour combien de temps ?

Malgré toutes ces consignes et contraintes, sans compter l’actualité peu réjouissante dans le monde du spectacle comme ailleurs, l’ambiance générale chez les élèves est à la bonne humeur, avec le plaisir de retrouver les studios qui prend le dessus sur tout le reste. Tous les élèves que j’ai croisés sont en DNSP1 (deuxième année), avec encore trois ans devant eux avant la vie professionnelle. Tous préfèrent ne pas y penser et voir au jour le jour. “La routine du travail est vite revenue et je ne pense pas à la situation actuelle. J’ai tellement peur de mon avenir que je préfère profiter du moment présent, du cours du moment. J’essaye de voir au jour le jour“, résume Luna. Une certain esprit “Carpe Diem” qui n’étonne pas Philippe Lormeau. “Ils sont encore jeunes ! Et ils n’ont pas le même rapport au temps que nous, ils restent cool là-dessus. C’est bien plus leur quotidien qui a été contrarié que leur projection sur l’avenir. Travailler seul par Zoom, c’est facile sur trois semaines, par sur cinq mois“. L’inquiétude se fait d’ailleurs plus sentir du côté des professeur.e.s. “Nous avons repris les cours. Mais pour combien de temps ? Pour l’année ? Pour six mois ? Pour deux mois ? Je n’aime pas cette épée de Damoclès“, continue Philippe Lormeau. “Je ne pense pas à l’avenir. Et on n’a pas le choix, tout ce qui est pris est pris“, continue Marie-Françoise Géry. “Les élèves savent toutefois qu’il ne faut pas attraper le virus, même s’ils ont bien plus peur de voir le Conservatoire fermé à nouveau que de tomber malade“. En attendant, la musique a redémarré au Studio Cunningham pour un autre cours de contemporain. Les jeunes filles de danse classique rangent leurs pointes et ajustent consciencieusement leur masque pour aller déjeuner. Une rentrée (presque) comme les autres.

 



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