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Journal de Russie – Étincelles de décembre

Ce n’est pas encore Noël chez nos ami-e-s russes. Mais en Russie, le ballet ne connaît pas de trêve hivernale : le froid n’a pas engourdi l’actualité qui est toujours aussi foisonnante. Retour sur un mois de décembre extrêmement riche, quelque peu dominé par Artem Ovcharenko, Danseur Étoile du Ballet du Bolchoï. Au programme : des venues diplomatiques, des rumeurs folles, des vidéos enthousiasmantes, deux documentaires qui vont menacer votre vie sociale l’espace d’une soirée ou le retour du Ballet de Perm en France.

 

L’événement (diplomatique) du mois

Kristina Shaprane - Kimin Kim, La Bayadère

Kristina Shaprane et Kimin Kim – La Bayadère

Les balletomanes français qui ont le cœur à l’Est avaient marqué ces dates d’une pierre blanche. Les 18 et 21 décembre, Kristina Shaprane et Kimin Kim, respectivement Première danseuse et Étoile du Mariinski, ont honoré La Bayadère de leur présence théâtrale. Face aux bayadères (parfois trop) sobres de l’Opéra de Paris, Kristina Shaprane a livré une puissante interprétation, presque plaintive, de Nikiya. Corps élancé, belles lignes estampillées Vaganova, visage habité et dimension sacrée : elle a représenté l’école russe dans toute sa splendeur. Son personnage dégage toutefois une fragilité émouvante, liée au jeune âge de la ballerine et à une personnalité artistique en construction. Des débuts prometteurs pour cette belle danseuse, emplie d’une spiritualité singulière qui sied bien au rôle.

La star confirmée Kimin Kim a sorti l’auditoire de sa traditionnelle réserve. La technique n’est pas seulement parfaite : elle est flamboyante. Mieux, Kimin Kim l’utilise pour servir un propos narratif tout en finesse. Il se montre bon partenaire et s’efface quand il le faut pour valoriser Kristina Shaprane mais la plupart du temps il ne peut s’empêcher de lui voler la vedette sur scène. Une vidéo permet de rendre compte du potentiel phénoménal de Kimin Kim.

 

Il serait sacrilège de ne pas mentionner la venue de Maria Alexandrova sur nos planches françaises. L’Étoile atypique du Bolchoï danse au Théâtre des Champs-Élysées avec Blanca Li dans Déesses et Démones. La chorégraphie souffre de redondance et le ballet s’essouffle par quelques longueurs mais la présence de ces deux artistes hors-normes sur la même scène suscite la curiosité. Le Monde présente le spectacle sous la plume avertie de Rosita Boisseau. Toujours indécis.e ? Une bande-annonce pourra vous aider à décider.

Le partenariat inattendu du mois

L’une est brune et incandescente. L’autre est blond et lyrique. Natalia Ossipova et Denis Rodkine ont pourtant inauguré un partenariat pour le moins inattendu dans le ballet Giselle au Bolchoï. La tornade sur pointes avait quitté Moscou suite à un différend artistique avec la direction, entre autres raisons, mais nous avions annoncé son retour au bercail en qualité de “guest” le mois dernier. Giselle est l’un des meilleurs rôles classiques de Natalia Ossipova. Elle possède la fraîcheur et la vitalité du personnage. Denis Rodkine a pour ainsi dire le physique de l’emploi et la vigueur technique d’Albrecht. A défaut d’avoir vu ces deux interprètes sur scène, une vidéo de l’acte blanc permet de profiter de ces débuts réjouissants.

Denis Rodkine - Natalia Ossipova, Giselle.

Denis Rodkine et Natalia Ossipova – Giselle

Les films du mois

Entre le biopic sur Rudolf Noureev réalisé par la BBC et le film Bolshoi Babylon sur les soubresauts qui ont accompagné le mandat de directeur artistique de Sergueï Filine, le.la balletomane russophile ne sait plus où donner de la tête. Fort heureusement, de généreux contributeurs ont mis à disposition des curieux et curieuses les deux documentaires sur Internet. Sortez le thé noir aux agrumes et les prianiki !

Le documentaire Dance to Fredom sur la défection de Rudolf Noureev entremêle reconstitutions et témoignages de spécialistes de la danse, parmi lesquels Pierre Lacotte et Ghislaine Thesmar. C’est aussi l’occasion de découvrir Artem Ovcharenko, Étoile du Bolchoï qui a été choisi pour interpréter le rôle du danseur-chorégraphe le plus mythique de la seconde moitié du XXe siècle.

Bolshoi Babylon est disponible sur Internet en russe sous-titré anglais mais les puristes de la haute qualité d’image peuvent commander le DVD sur Internet.

Le ballet du mois

Éblouis par La Dame aux Camélias merveilleusement appropriée par le Bolchoï ? La perfection du ballet russe a également brillé à La Scala de Milan ce mois-ci. La sculpturale Polina Semionova a interprété une nouvelle version de Cendrillon (Mauro Bigonzetti) aux côtés du non moins impressionnant Roberto Bolle. Apprenez-en plus sur cette production avec une petite interview en anglais des deux protagonistes et une chronique, en anglais toujours, de la première sur le site de Gramilano. La distribution promet un choc esthétique certain et cette création est un beau présage pour l’avenir du Ballet de la Scala.

Polina Semionova - Roberto Bolle, Cendrillon

Polina Semionova et Roberto Bolle – Cendrillon

Le point Zakharova

Impensable d’évoquer la danse en Russie sans faire un sort à la tsarine suprême du ballet russe. Sans surprise, Svetlana Zakharova a été étincelante dans le rôle de Marguerite Gautier le 6 décembre dernier. Star internationale de la danse, elle s’est  produite à Rome avec son mari, Vadim Répine, dans un spectacle Pas de deux for Toes and Fingers qui réunit le talent musical du célèbre violoniste et la beauté de sa danse. Classique, néoclassique et contemporain se succèdent avec éclat. Les mélomanes balletomanes peuvent se délecter d’un court extrait officiel.

Svetlana Zakharova - Vadim Repin

Svetlana Zakharova – Vadim Repin

Le pari givré du mois

En Russie, les danseurs et danseuses sont des personnalités culturelles médiatiques. La lecture de Guerre et Paix (un pavé de Tolstoï) longue de 60 heures a fait réciter – avec une emphase toute slave – les talents du Mariinski et du Bolchoï, entre autres. Un article du Figaro retrace ce marathon littéraire audacieux. Comme le mois de décembre a été placé sous le signe d’Artem Ovcharenko, on retient cette capture d’écran de la transmission télévisuelle de la lecture, ici en compagnie de sa fiancée Anna Tikhomirova, extraordinaire soliste du Bolchoï.

Anna Tikhomirova et Artem Ovcharenko

Anna Tikhomirova et Artem Ovcharenko

L’interview du mois – Bolchoï et politique

Le russe est peut-être une (voire l’unique) des langues de la balletomanie. Pourtant, certain-e-s fidèles du ballet russe ne déchiffrent que péniblement le cyrillique. Pour ceux et celles qui ne maîtrisent pas la langue de Pouchkine dans ses moindres subtilités, Ismene Brown fait office de magicienne. Sa traduction en anglais d’une interview récente de Vladimir Ourine, directeur du Bolchoï, Un Ourine radical confesse sa peur de l’échec au Bolchoï s’avère être un complément riche en informations au film Bolshoi Babylon. Nikolaï Tsiskaridzé ? Un trublion à écarter. Le personnel du Bolchoï ? Ingérable. L’influence du Kremlin ? C’est niet.

Dans la même veine politique, Maria Alexandrova, d’ordinaire discrète médiatiquement parlant, se confie au New-York Times parallèlement à la sortie du film Bolshoi Babylon. Elle y affirme que si on avait “plus besoin d’elle au Bolchoï” elle n’hésiterait pas à partir. Serait-ce un avertissement à Makhar Vaziev qui prendra ses fonctions de directeur de la danse en mars prochain ?

Le portrait du mois – Une compagnie de danse alternative à Moscou

La série “Postcards from Russia” du site BalletBag (cousin anglais de Danses avec la plume) continue ce mois-ci. En novembre dernier, Maria Sascha Khan était à l’honneur. Aujourd’hui, Isabella Zijp propose une rencontre avec la directrice du “Balet Moskva” Elena Toupisseva. Un article à lire pour découvrir une scène alternative de danse à Moscou, assez éloignée de l’académisme du Bolchoï.

La visite impromptue du mois

Trop de triple bill au Palais Garnier ? Diana Vishneva n’est pas de ces spectatrices blasées. Elle a assisté à la première de l’hommage à Pierre Boulez, réunissant trois œuvres Christopher Wheeldon-Wayne McGregor-Pina Bausch. La ballerine russe confirme qu’elle est l’une des plus ouvertes de sa génération et de sa compagnie à l’univers chorégraphique contemporain.

Les répétitions du mois

Olga Smirnova et Artem Ovcharenko (décidément !) ont répété Casse-Noisette Compagnie, la relecture du traditionnel ballet de Noël par Jean-Christophe Maillot, à Monaco. Olga Smirnova est la star féminine montante du Bolchoï : la critique l’encense depuis ses premiers pas sur la scène moscovite et les chorégraphes se l’arrachent. C’est d’ailleurs à elle qu’avait été confiée la première d’Eugène Onéguine, créant des tensions du côté de Svetlana Zakharova.  A voir absolument si vous passez les fêtes de fin d’année sur la Côte d’Azur ! La soirée du 30 décembre sera aussi retransmise en direct au cinéma dans le monde entier.


Indiscrétions du mois – De la rumeur à la spéculation délirante

The Guardian s’est glissé dans les coulisses du Théâtre Mikhailovski (à Saint-Pétersbourg) pour capturer quelques images de répétitions et de hors-scène à l’occasion de la préparation de Casse-Noisette.

La presse russe fait courir la rumeur que… Nikolaï Tsiskaridzé pourrait succéder à Vladimir Ourine à la tête du Bolchoï en 2018.

Le Clair ruisseau, d’Alexeï Ratmanski, pourrait être retiré du répertoire du Bolchoï.

Les paris sont ouverts pour les distributions de la première de la “nouvelle” version de Don Quichotte au Bolchoï. Maria Alexandrova et Vladislav Lantratov sont parmi les couples pressentis. Natalia Ossipova apparait comme une sérieuse concurrente… Pourquoi ne pas la réunir avec son ancien fiancé, le spectaculaire Ivan Vassiliev ?

 

La vidéo du mois – Les ballerines du Stanislavski

Svetlana Zakharova, Diana Vishneva, Ouliana Lopatkina… Vues et revues. Leur excellence n’est plus un sujet de débat. La Russie regorge de ballerines talentueuses qui dansent dans des troupes réputées à l’échelle nationale. Le théâtre Stanislavski est en deuxième position à Moscou, juste après le Bolchoï. Sergueï Polounine, Natalia Ossipova et Polina Semionova y dansent en invité.e.s. Kristina Shaprane s’est affirmée sur les planches du théâtre bleu. Au Stanislavski, on danse du Kenneth MacMillan et du Jerome Robbins. Le site russe Ballet Insider nous offre une petite vidéo de 2 minutes 30 compilant l’interprétation de la variation de la Fée dragée par quatre ballerines de la troupe. Une préférence marquée pour la magnifique Oksana Kardash. Et vous ?

Les rendez-vous de janvier – Le ballet russe en France

Le ballet La Mégère apprivoisée que Jean-Christophe Maillot a créé sur mesure pour les pur-sang du Bolchoï sera retransmis en direct le dimanche 24 janvier. Si vous aimez sortir des sentiers battus et découvrir les excellents artistes de la troupe dans la veine décalée du chorégraphe, le ballet ne vous décevra pas. Vous verrez que le Bolchoï n’est pas synonyme de musée poussiéreux ou de conventions désuètes. Et le potentiel inouï dont regorge la compagnie en matière de danse du XXIe siècle est de nature à concurrencer – voire à surpasser – ce qui se fait en Occident…

 

Le Bolchoï et le Mariinski sont certes les meilleurs étendards de l’excellence du ballet russe mais d’autres compagnies, moins connues du grand public, sont tout aussi dignes d’intérêt. Le Ballet de Perm, aux portes de l’Oural, est également une troupe de renom qui a à cœur de préserver l’héritage de Diaghilev tout en proposant une offre chorégraphique modernisée. Du 13 janvier au 7 février, la compagnie sera en tournée en France avec des ballets classiques allant du Lac des Cygnes (à voir !) à Don Quichotte en passant par des œuvres de Balanchine. Retrouvez les dates ici, sur le site du Ballet de Perm.

Cette tournée devrait ravir les balletomanes car elle présentera notamment une nouvelle version du Lac des cygnes, revisitée par Alexeï Miroshnichenko. Le Ballet de Perm a déjà mis en ligne un extrait de l’acte II. Selon la critique Anna Galaïda (pour Vedomosti), ce Lac des cygnes “conjugue un goût pour les formes modernes et une réelle passion pour le ballet classique“, dont le chorégraphe est expert selon elle. Elle voit globalement dans cette relecture l’intrusion du dramatisme à la Ashton et à la Bourmeister jusque dans la gestuelle des cygnes blancs, qui pleurent avec leur corps.

Prévoir une très forte concentration de parisiens sur les dates du Lac des cygnes, donc.

Lac des Cygnes - Ballet de Perm

Lac des Cygnes – Ballet de Perm

 

Commentaires (2)

  • pirouette24

    Merci Jade pour cette passionnante revue !

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  • Jade Larine

    Nié za chto, comme on dit en russe 🙂

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