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Marie-Agnès Gillot, deux cygnes et une drôle de répétition

En juin prochain, le ballet Swan de Luc Petton sera présenté au Théâtre de Chaillot à Paris. Dans cette œuvre, le chorégraphe mélange des danseurs, des danseuses et des cygnes, des vrais. Ces animaux sont devenus le symbole de la ballerine en un seul ballet, il était bien temps qu’ils montent un peu en scène, non ?

Avant la première à Paris, Luc Petton s’est livré à quelques séances de travail. L’un delle a eu lieu en janvier, dans une petite salle au fin fond du sous-sol du théâtre de Chaillot. Sur scène, Marie-Agnès Gillot, étoile de l’Opéra de Paris, et Castor et Pollux, deux cygnes. Aucun des trois ne participera au spectacle dans quelques mois. Il ne s’agissait donc pas d’une répétition à proprement parler, mais plutôt d’une réflexion en direct live du chorégraphe. Ce dernier s’est d’ailleurs tenu au bord de la scène tout du long, donnant des indications rythmiques à Marie-Agnès Gillot, coupant ou relançant la musique à sa guise.

Et voilà un drôle de petit ballet qui s’est passé sous nos yeux. Pendant 20 minutes, Marie-Agnès Gillot a déambulé, dansé, guidant les cygnes avec ses bras et une quantité de petites graines.

Esthétiquement, ce langage est parfois fascinant. Il faut voir avec quel abandon la danseuse joue avec les cygnes, se laissant picorer sur tout le corps. Et avec quelle confiance les cygnes viennent la grignoter partout, sans peur, alors que le public a été prié de ne pas applaudir pour ne pas les effrayer. Quels drôles d’animaux, aussi bien capables de bruits patauds (les floc-floc de leurs pattes) que d’élégance avec leur long cou gracile.

Artistiquement, le concept laisse toutefois interrogateur. Si Marie-Agnès Gillot joue visiblement avec les cygnes et cherche une fusion, les animaux ne sont (presque) guidés que par la nourriture. Se rendent-ils compte de la scène, des autres gens, ou ne sont-ils attirés que par l’odeur et qu’importe la situation ? Ce dialogue parait bancal. Marie-Agnès Gillot entame la conversation avec les cygnes, mais ceux-ci ne lui répondent que par un instinct.

D’ici juin, le projet aura évolué. Il y aura d’autres animaux et danseur-se-s sur scène, donc un tout autre résultat. Et la curiosité est piquée, avec l’envie de voir ces oiseaux se déployer sur la grande scène.

Luc Petton et l’oiseleur Guillaume, qui s’occupe des cygnes, ont ensuite répondu aux questions au public, tandis que Marie-Agnès Gillot filait à une répétition.

Le rapport entre la danseuse et le cygne peut-il passer autrement que par la nourriture ? Votre but est-il d’amener l’animal à dépasser cela, si c’est possible ?

Luc Petton : C’est tout à fait possible, et c’est même une démarche de longue haleine. Ce n’est absolument pas du dressage, c’est un peu eux qui mènent la danse. Le but recherché est d’avoir un effacement de l’être humain, pour qu’il y ait un véritable dialogue. La nourriture sert à ponctuer, et c’est aussi une récompense. On leur demande tout de même quelque chose qui n’est pas naturel. Tout le monde sait que tout travail mérite salaire, et il y a eu finalement assez peu de récompenses sur cette danse.

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Comment les artistes se lient-ils à l’animal ?

Luc Petton : C’est un travail de très longue haleine, qui est nécessaire pour tout animal avec lequel on veut travailler et qui ne soit pas du dressage. Il faut passer par un phénomène d’imprégnation. Quand l’animal est tout petit, même lorsqu’il est encore dans l’œuf pour les oiseaux, il faut être présent tout de suite, pour que l’animal vous reconnaisse.

Guillaume : Le travail de contact avec les oiseaux est quotidien. A la naissance, les danseuses sont venues tour à tour, par roulement, tous les jours. Au fur et à mesure, quand l’imprégnation est plus forte, on peut espacer le temps.

Comment se passe le travail des danseurs et des danseuses ? 

Luc Petton : C’est un vrai travail de danseur-se, sur des notions de temps, d’espace et d’énergie. Il-elle doit revoir sa façon d’être présent-e, sa façon de concevoir l’espace scénique et le temps. Il-elle doit apprendre à s’affirmer, il faut parfois savoir prendre le dessus, parfois céder, beaucoup. Il faut ponctuer, il faut phraser. C’est un travail très intéressant.

Il faut quitter son statut d’être humain qui est supposé tout connaître, qui se sent un peu au centre du monde. Il faut savoir se dépasser, rentrer dans le temps des cygnes. Il ne faudra pas prendre de façon spécifique et résolu les notions d’espace et de temps, parce qu’on n’entre pas dans l’espace d’un être vivant de façon anodine.

Est-ce que les cygnes ont une accoutumance aux danseur-se-s ?

Guillaume : Oui. Par contre, on a des codes de travail qui font qu’ils ne sont pas toujours confrontés à la même personne, même si en ce moment ils travaillent beaucoup avec Marie-Agnès Gillot. Si elle venait à arrêter de travailler avec eux, nous continuerons le processus, et ils seraient toujours dynamiques. Si elle revient deux mois plus tard, ils seront très contents de la revoir, ils lui feront la fête…

Luc Petton : On a pris soin de ne pas imprégner les cygnes à une seule personne. Vous avez vu qu’ils n’avaient pas eu peur des gens au premier rang.

Comment écrivez-vous la chorégraphie ?

Luc Petton : Je m’efforce de ne pas avoir d’idée préconçue, même si je connais bien les oiseaux que je mets en scène. J’essaye d’attendre que la chose émerge par elle-même. Je ne la compose pas vraiment. Je ne fais que montrer ce qui est là. Je n’invente pas, je découvre. Ce n’est pas tout à fait la même chose.

La musique aussi rentre en compte. C’est un vrai dialogue et c’est ça qui me plait. La fragilité de ce dialogue, la force de cette fragilité… Ce n’est pas quelque chose qui se répète chaque jour, demain, ça sera différent et tant mieux. Mais après un certain temps, il y a des fils conducteurs que l’on retrouve, parce que chacun a sa façon de s’exprimer, sa façon de s’approprier l’espace. Et quand les choses se calent trop, j’essaye de les décaler.

Vous pensez que les cygnes sont sensibles à la musique ?

Guillaume : Les oiseaux ne fonctionnent pas aux noms, aux sons. Ils fonctionnent beaucoup aux visages, aux gens qu’ils ont en face d’eux.

Est-ce qu’il y a chez ces cygnes une notion de plaisir de danser ?

Luc Petton : Je pense que oui, par le fait que l’on soit là. C’est une relation, ils ont envie d’être avec Marie-Agnès Gillot ou Guillaume. Ils aiment ce contact, ils en ont besoin. C’est pour ça qu’on ne peut jamais laisser un cygne tout seul, il dépérirait très vite. Ils ont besoin d’être ensemble.

Commentaires (4)

  • elendae

    Gracieux les cygnes, oui, mais dans l’eau…sur terre, c’est très pataud ! honnêtement la vidéo me donnait plutôt envie de rire, à les voir picorer partout comme des poules…ils ne font pas vraiment honneur à MAG, mais je conçois que le projet soit intéressant, et j’aurais bien aimé assister à cette séance de travail.

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  • Estelle

    Mouais, je suis pas convaincue. Quand la recherche d’originalité tourne au ridicule ?

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  • Je ne suis pas convaincue par cette utilisation animale. Il n’y a pas eu dressage, c’est bien. Je ne pense pas que les cygnes ait été maltraités mais sortir un animal de son milieu naturel dès son éclosion pour l’habituer à être proche des humains n’est-ce pas une forme cachée de dressage? Un cygne c’est fait pour nager sur un lac en plein air, à la lumière du soleil. pas pour picorer des miettes sur une scène sous des lumières crues. On aurait pu, à la limite, imaginer un spectacle en milieu naturel. Mais là non, je n’accroche pas.

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  • @ Toutes : J’avoue n’avoir pas été non plus totalement convaincue. Le discours du chorégraphe m’a semblé très sincère, et je suis curieuse de voir le spectacle en sachant sa pensée. Mais lors de la répétition, sans explication, cela m’a parfois laissé perplexe. 

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