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Un avant-goût de la soirée Mats Ek

Les accords de Roméo et Juliette résonnent encore à l’Opéra Bastille qu’un tout autre programme se prépare à Garnier : la soirée Mats Ek, composée de La Maison de Bernarda et Une sorte de… 

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Une répétition publique du premier ballet a eu lieu le 9 avril dernier à l’amphithéâtre Bastille. Un moment unique, dirigé par l’incroyable Ana Laguna

Cette danseuse connaît bien Mats Ek, puisque c’est sa compagne et sa muse. J’avais découvert sa présence lumineuse lors du spectacle de Baryshnikov en juin dernier. Son aura est aussi grande lorsqu’elle endosse le rôle de répétitrice. 

Ana Laguna a d’abord pris très au sérieux la présence du public. Elle a d’abord passé un certain temps à expliquer l’histoire de La Maison de Bernarda, ballet qu’elle va faire répéter. Une femme, en Espagne, vient de perdre son mari. Selon la tradition, elle doit rester enfermer chez elle pendant huit ans. Elle et ses filles vont donc se couper du monde. La pièce est très sombre, et assez déroutante pour un-e spectateur-rice qui ne connaît pas forcément le monde de Mats Ek. Ana Laguna explique le positionnement du chorégraphe, ce qu’il voulait faire passer à travers cette oeuvre. Elle a également amené quelques copies des tableaux de Goya, dont il s’est inspiré pour cette pièce. 

Place ensuite à la répétition, avec José Martinez (la mère, ce rôle est toujours joué par un homme), Ludmila Pagliero (la soeur aînée) et Charlotte Ranson (la benjamine). Ana Laguna est à la fois répétitrice (elle a l’oeil sur chaque détail), artiste (les gestes ne sont pas là par hasard, tout vient d’une intention), et très maternelle, entourant les danseur-se-s de les bras, les rassurant. Sa voix est à son image : extrêmement douce dans sa tonalité, et totalement ferme dans les idées qu’elle veut faire passer. 

Elle commence par la scène du début, où le deuil commence. Elle parle français, puis anglais, puis espagnol.. puis un savant mélange des trois. 

José Martinez se révèle très surprenant dans ce rôle, j’ai aussi peu l’habitude de le voir dans un registre très contemporain. Son allure élégante et aérienne se fond parfaitement dans ce rôle étrange, et donne un paradoxe particulier. Son rôle est très lourd, accablé. Et pourtant sa danse reste légère. J’ai trouvé ses différents passages très beaux, tout semble déjà bien en place, du moins du point de vue de la construction de son personnage.

Place ensuite au solo de la jeune soeur. Elle en a assez de vivre enfermée, elle est jeune, elle veut vivre. Comble de la rébellion, elle porte une robe de couleur et s’amuse… Même si elle sait qu’elle sera punie pour ça. Charlotte Ranson a déjà dansé le rôle, et cela se sent. Très investie, son solo est une ode à la joie de vivre, avant de sombrer dans la résignation dès qu’elle aperçoit sa mère. Là encore, elle est pleine de paradoxes. C’est une belle personnalité que nous avons en face de nous. 

Le troisième passage met plus en valeur Ludmila Pagliero, avant que la soeur aînée ne rencontre son futur époux. Je l’ai trouvé globalement plus en retrait, peut-être cherchant encore sa place parmi la distribution. Ana Laguna ne se contente plus de répéter. Elle prend la place des personnages manquants, soit une autre soeur, soit l’homme. Son regard s’allume, en une fraction de seconde elle change e caractère… Elle ne pourrait pas faire partie des distributions ? 

Dernier moment, le solo de la mère avec la poupée, un Jésus. Un solo qui représente beaucoup de choses : le poids de la religion, et ses désirs de femmes éteints depuis des années par l’enfermement obligatoire (oui, c’est pesant cette pièce, ne dîtes pas que je ne vous ai pas prévenu). José Martinez y déploie son talent d’interprète, c’est très étrange, le temps se suspend… Mais Ana Laguna n’est pas satisfaite. lui fait refaire certains gestes. La manipulation de la poupée, pas évidente, semble poser problème. “Quelqu’un veut essayer ?” lance la répétitrice à la salle. Le public est timide, personne ne lève la main. 

La répétition pourrait encore durer longtemps si l’assistante de Brigitte Lefèvre ne lui faisait pas signe. Tant pis, ce fut trop court. Les trois danseur-se-s et Ana Laguna sont chaleureusement applaudi-e-s. Cette dernière laisse sur son siège les copies des tableaux pour le public. Une belle rencontre. 

Récits plus détaillés de cette répétition sur le blog A petits Pats et celui du Petit Rat

© Photo : Anne Deniau

Commentaires (3)

  • Je me rappelle avoir adoré ce ballet. J’espère qu’il aussi bien que dans mon souvenir!! J’avais vu Laétitia Pujol en grande soeur et Manuel Legris en Bernarda. J’ai hate de découvrir la nouvelle distribution!

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  • Libellule

    J’y vais vendredi, j’avais déjà hâte avant de lire cet article, et maintenant je frétille d’impatience ! La distribution, si elle ne change pas d’ici là, est celle que tu as vue répéter…
    Mes impressions seront là sans faute à la fin de la semaine 🙂

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  • @ Cams : Manuel Legris dans ce ballet, je n’en ai vu qu’un extrait dans le film de Wiseman, et c’était déjà impressionnant…

    @ Libellule : Mais j’y compte bien de voir ton avis 😉 Nous verrons la même distribution,  j’y vais ce soir.
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