[Photos] Retour sur Don Quichotte de Rudolf Noureev par le Ballet de l’Opéra de Paris
Ecrit par : Amélie Bertrand
Le Ballet de l'Opéra de Paris a terminé 2017 et entamé 2018 avec une série de Don Quichotte de Rudolf Noureev, qui s'est tenu du 11 décembre au 6 janvier.
Retour en images sur les différentes distributions de Don Quichotte :
La dernière reprise de Don Quichotte il y a cinq ans n'avait pas laissé de bons souvenirs, avec des blessures à la chaîne et des ensembles hasardeux. Cette série 2017 a bien mieux commencé, avec d'emblée une distribution digne des grandes affiches, rassemblant Ludmila Pagliero et Mathias Heymann. Les deux Étoiles ont affiché une grande forme en scène, à la fois éblouissants techniquement, drôles dans le jeu et proposant une véritable complicité dans leur partenariat. Sûrement le meilleur couple de cette série ! Les seconds rôles étaient de luxe, entre une formidable Dorothée Gilbert en Cupidon, Amandine Albisson en Reine des Dryades ou Hannah O'Neill et Sae Eun Park brillantes en amies de Kitri. Les personnages de caractère ont aussi été soignés, avec un joli travail de mime. Voilà une soirée digne des plus grandes compagnie internationales. Et c'est décidément bien dans ce répertoire que la troupe parisienne brille le plus. (Amélie Bertrand).
Myriam Ould-Braham a ensuite repris le rôle de Kitri avec Karl Paquette dès le 15 décembre. La ballerine est plus à l'aise dans le registre romantique, Kitri est presque un contre-emploi. Mais l'Étoile la joue avec finesse, apportant beaucoup de charme au personnage, quelque chose de très attachant et qui n'appartient qu'à elle. Sa Dulcinée avait des airs d'Aurore, une véritable leçon de style. Le partenariat avec Karl Paquette fonctionnait là encore très bien, les deux artistes faisant preuve également d'une adorable complicité et d'un certain piquant. Alors tant pis si le brio de Karl Paquette a fait défaut dans le troisième acte. Le danseur a tout de même le mérite de reprendre des rôles que beaucoup d'Étoiles délaissent passés 35 ans, lui assume son statut jusqu'au bout. Les autres rôles étaient aussi soignés, dominé par l'enthousiasmante Hannah O'Neill en danseuse de rue. Florian Magnenet était pour sa part sûrement le meilleur Espada de la série, ajoutant une touche d'humour et jouant le beau gosse sûr de son charme avec un second degré bienvenu. Un peu plus tard dans la série, Myriam Ould-Braham a repris Kitri avec Mathias Heymann. La fatigue se faisait un peu sentir chez la danseuse. Mais le couple formé par ces deux Étoiles est d'un charme absolu et désarmant, rrésultat de deux artistes dansant ensemble depuis des années. Même si, personnellement, dans ce genre de ballet, j'ai préféré l'association de Mathias Heymann avec Ludmila Pagliero, apportant plus d'énergie. (Amélie Bertrand).

Don Quichotte de Rudolf Noureev - Myriam Ould-Braham
Léonore Baulac et Germain Louvet ont enchaîné dans les rôles principaux, une double première pour les deux premières Étoiles d'Aurélie Dupont ! Beaucoup d’interrogations et sans doute trop d’attente pour ce couple avec une double prise de rôle. Le résultat est pour le moins mitigé. Don Quichotte est un ballet qui doit "pétiller comme du champagne" pour reprendre les mots de Rudolf Noureev. On fut très loin du compte. Léonore Baulac est apparue crispée, trop focalisée sur les difficultés techniques à dépasser pour pouvoir incarner une Kitri consistante. Les morceaux de bravoure furent ainsi escamotés. Danser la variation des castagnettes à un train de sénateur vide la danse de toute sa substance. C’est la vitesse qui lui donne du sens et permet d’assoir le personnage. Quant à la série de fouettés finale, elle fut abrégée bien avant la sacro-sainte barre des 32. Son partenaire a semblé plus à l’aise, mais Germain Louvet peine à convaincre qu’il est un simple barbier. Sa danse est élégante malgré quelques réceptions approximatives, mais trop raffinée. On ne danse pas Basilio comme Siegfried. Ce n’est pas un prince mais presque un mauvais garçon. Léonore Baulac et Germain Louvet ont l’une et l’autre un potentiel qui reste à exploiter mais ils ont paru encore trop verts pour Don Quichotte. Beaucoup d’excellents seconds rôles ont été à noter lors de cette représentation du 19 décembre, tout particulièrement Francesco Mura en Gitan, impérial et assurément le meilleur de cette série (Jean-Frédéric Saumont).
Place ensuite à une prise de rôle attendue le 20 décembre : celle de Paul Marque en Basilio, accompagnée par l'Étoile Dorothée Gilbert. Elle avait entamé cette série dans le second rôle de Cupidon. Elle y fut divine. Rien d’étonnant pour la technicienne la plus affûtée des Étoiles. Mais on attendait sa Kitri et à juste titre. Dorothée Gilbert déboule sur scène comme un ouragan et prend possession de la scène avec autorité. Elle déjoue avec aisance tous les pièges de la chorégraphie. Ses lignes superbes font merveille dans la vison de Dulcinée et elle offre dans le Grand Pas des équilibres sans trembler. Voilà la grande Kitri de la série ! Un véritable cadeau pour son partenaire, Paul Marque, tout jeune Sujet nimbé de sa médaille d’or au Concours de Varna. Il est sans conteste un des grands espoirs de la compagnie qui devrait très vite gravir les échelons. Fallait-il pour autant l’associer à Dorothée Gilbert pour cette prise de rôle forcément périlleuse ? Basilio est un des rôles les plus exigeants du répertoire. Paul Marque n’a nullement démérité même si sa danse ne fut pas toujours très propre. Il n’a pas assuré les portés à deux mains du premier acte mais on ne peut guère le lui reprocher pour sa première représentation de Don Quichotte. Et il sembla de plus en plus à l’aise au fil du spectacle pour être un partenaire efficace pour le Grand Pas final. Un mot bien sûr de Sae Eun Park qui fut une Reine des Dryades de très grande facture. Elle est aujourd’hui une danseuse accomplie parmi les toutes meilleures de la compagnie (Jean-Frédéric Saumont).

Don Quichotte de Rudolf Noureev - Amandine Albisson (la Reine des Dryades)
Isabella Boylston et Mathieu Ganio ont pris le relai le jour de Noël. Voilà la danseuse invitée que l’on n’attendait pas et qui n’était pas forcément la bienvenue. La balletosphère française n’échappe pas à un anti-américanisme primaire. On est davantage habitué à des ballerines venues de l’Est et on regarde avec circonspection celles qui traversent l’Atlantique. Il y a pourtant d’excellents artistes aux États-Unis. Et l’American Ballet Theatre, qui a rompu avec sa politique d’invités internationaux, compte en son sein des merveilles. Isabella Boylston en fait partie. C’est aujourd’hui l’une des danseuses les plus accomplies de l’ABT et sa prestation sur la scène de Bastille a démontré qu’Aurélie Dupont a fort bien fait de l’inviter. Héritière de cette tradition américaine, Isabella Boylston respire la joie de vivre sur scène avec cette générosité et la volonté de faire le show, de s’amuser en dépit du trac et de l’enjeu. Sans renier son école stylistique, fondamentalement américaine, elle a fait sienne la rédaction de Rudolf Noureev. Elle a pu compter pour cela sur Mathieu Ganio, l’incarnation de l’élégance de la danse française par excellence. C’était ainsi l’autre plaisir de cette distribution : revoir Mathieu Ganio en Basilio, un rôle qu’il ne semblait plus vouloir danse. Mais il a repris avec panache le flambeau qui devait échoir à Hugo Marchand, blessé. Mathieu Ganio n’est pas forcément un Basilio naturel mais il sait faire sien ce rôle en campant un personnage à la fois drôle et distant. Et quel fabuleux partenaire pour Isabella Boylston ! Attentif, l’aidant à dépasser les difficultés techniques de cette version comme ce moment dans le Grand Pas où la ballerine rectifia in extremis un déséquilibre qui aurait pu la faire trébucher. Ces petits instants de frayeur font aussi partie du spectacle. L’une des distributions les plus attrayantes et les plus joyeuses de cette série. (Regrettons que l’Opéra de Paris n'ai pas signalé sur la feuille de distribution qu’Isabella Boylston est invitée et fait partie de l’American Ballet Theatre, cela aurait été lus convenable... ) (Jean-Frédéric Saumont).
La suite de la série fut un peu plus chaotique. Alice Renavand et Isaac Hernandez, vu le 4 janvier, fut la distribution surprise Josua Hoffalt indisponible a dû être remplacé. Mais bien qu’il y ait dans la compagnie plusieurs danseurs capables d’endosser très vite le rôle (et on pense en tout premier lieu à François Alu... ), la direction de la danse a préféré faire appel à un invité de dernière minute. Isaac Hernández de l’English National Ballet fut donc de retour à Paris pour deux représentations. C’est évidemment un plaisir de revoir ce danseur virtuose après La Bayadère. Et l'on n’avait pas vu Alice Renavand dans un grand ballet en trois actes depuis fort longtemps. Mais en dépit de ce changement de partenaires, elle a parfaitement relevé ce défi. Pétillante, droite sur ses pointes, souveraine dans le Grand Pas, sa Kitri est parfois un peu surjouée, mais elle tient son personnage de bout en bout. Reste que le partenariat semblait inexistant. Aucune complicité entre les deux artistes, c’est un peu comme si chacun racontait sa propre histoire. Il faut sans doute incriminer un temps de répétition insuffisant. Et Don Quichotte exige une forte complicité pour que le ballet soit totalement réussi. Dommage ! Mais j'espère revoir très vite Alice Renavand dans une pièce classique. Une soirée enchantée aussi par Hannah O’Neill en Reine des Dryades. Que n’a-t-elle été distribuée en Kitri qui lui conviendrait comme un gant ! (Jean-Frédéric Saumont).

Don Quichotte de Rudolf Noureev - Audric Bezard (Espada) et Valentine Colasante (la Danseuse de rue)
Place enfin pour terminer cette série à Valentine Colasante et Karl Paquette. Distribution imprévue et celle dont tout le monde parle après la nomination de Valentine Colasante, désormais Danseuse Étoile. Il n’y a donc rien à ajouter. Il est indiscutable que sur l’ensemble de la soirée, Valentine Colasante a largement tenu son rang et son interprétation n’eut rien à envier à celles de ses aînées. Volcanique, elle a dansé chaque moment avec une intensité peu commune pour finir sur une série de fouettés impeccables. À l’unisson, Karl Paquette n’a ménagé aucun effort pour son dernier Basilio avant une retraite annoncée l’an prochain. Il faut le dire encore : Karl Paquette est depuis 10 ans le pilier de cette maison, capable de danser tous les grands rôles classiques. Il est facile de briller sur deux ou trois représentations mais c’est une autre affaire que de pouvoir assumer de longues séries en endossant parfois plusieurs rôles sans faillir. À l’avenir, sans Karl Paquette, il faudra que la direction de la danse fasse preuve de plus d’imagination et de créativité pour établir les distributions qui permettent à la compagnie de ne pas être à bout de souffle et en manque d’Étoiles. Vu leur nombre, ce serait un comble... (Jean-Frédéric Saumont).
Seule la distribution réunissant Ludmila Pagliero et Pablo Legasa n'a pu être vue par la rédaction. N'hésitez pas à venir nous raconter en commentaire votre avis sur cette soirée si vous y avez assisté.
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