TOP

Hommage à Jerome Robbins – Ballet de l’Opéra de Paris

Après avoir manqué le coche du bicentenaire Marius Petipa, le Ballet de l’Opéra de Paris n’a à l’inverse pas manqué de fêter le centenaire de naissance de Jerome Robbins. Avec de nombreuses oeuvres à son répertoire, la compagnie a en effet une histoire forte avec le grand maître américain, qui y est souvent venu pour offrir ses ballets à plusieurs générations d’Étoiles. La soirée hommage judicieusement conçue – sans conteste l’un des programmes les plus alléchants de la saison – comprend des tubes de Jerome Robbins, aussi des ballets que la compagnie n’avait pas dansés depuis longtemps, et l’entrée au répertoire de Fancy Free. Le Ballet de l’Opéra de Paris est en reconstruction (du moins on l’espère) et il faut du temps pour s’imprégner pleinement de ballets que l’on n’a pas dansé depuis longtemps. Mais la magie Jerome Robbins, que la compagnie parisienne prend un évident plaisir à danser et dont l’école va à merveille au chorégraphe américain, a encore fonctionné

A Suite of Dances de Jerome Robbins – Mathias Heymann

Voir entrer au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris Fancy Free est une curiosité. Fancy Free, c’est le symbole de la comédie musicale à l’américaine (même si l’on n’y chante pas), la danse jazz, le swing de Bernstein, l’humour, le sens du show US. Bref, quelque chose de naturellement assez éloigné du style de l’Opéra de Paris, qui naturellement préfère les ballets “Chopin” de Jerome Robbins. Mais la compagnie parisienne s’aime s’essayer à de nouveaux styles. Comme quoi il n’y a pas besoin d’aller chercher dans l’ultra-contemporain pour trouver une nouvelle façon de danser, un bon vieux Robbins suffit (créé en 1944, c’est l’une des toutes premières créations du chorégraphe qui n’a alors pas 30 ans). Fancy Free, c’est l’histoire de trois marins en permission à New York, qui ont envie de s’amuser le temps d’une nuit. François Alu, Karl Paquette et Stéphane Bullion proposent un trio plutôt séduisant. Il est surtout question de jeu au début du ballet, et la complicité entre le fou-fou François Alu, la bonhomie de Karl Paquette et l’allure rêveuse de Stéphane Bullion fonctionne avec délice. Les femmes ne sont pas en reste, avec Alice Renavand et Eleonora Abbagnato qui apportent sans peine le glamour et l’humour de leur personnage, dans un style 50’s qui leur va à ravir. 

Fancy Free est un ballet facilement séduisant avec son allure de comédie musicale, mais c’est aussi un ballet qui a vieilli : la scène de harcèlement de rue, censée faire rire à sa création, ne fait plus sourire personne à l’heure de #MeToo, et c’est tant mieux. Passons donc pour se retrouver à l’intérieur du bar, où les trois marins rivalisent d’imagination et de variations pour séduire ces deux dames. Le rythme s’y casse un peu. Il faut dire qu’il n’est pas facile de passer après François Alu. Ce dernier a naturellement le style Fancy Free, par son talent pour la comédie comme son sens inné du show. Sa variation est de plus faite pour l’effet whaou, électrique, quand les solos de ses deux comparses sont plus dans la finesse de la danse jazz. La complicité se casse ainsi entre les trois, qui sont un peu moins sur la même longueur d’onde. C’est surtout une histoire de style qui n’est pas complètement acquise pour une première. La danse Broadway-jazz et ses subtils contre-temps, dansée de plus en chaussures à bride pour les femmes, n’est pas des plus évidentes à choper. Mais Fancy Free ne demande qu’à s’épanouir à Paris. La distribution de la première montre qu’elle aime s’amuser dans cette façon de danser, qu’elle prend un évident plaisir à se glisser dans cette ambiance surannée américaine. Il faut laisser au ballet le temps de s’installer, et on l’espère d’être vite repris, pour que le Ballet de l’Opéra de Paris puisse s’en saisir pleinement, dans toutes ses subtilités.

Fancy Free de Jerome Robbins – Stéphane Bullion, Alice Renavand, Karl Paquette, Eleonora Abbagnato et François Alu

A Suite of dances est une toute autre ambiance, solo masculin créé sur mesure pour le grand Mikhail Baryshnikov en 1994, quatre ans avant la mort de Jerome Robbins. Plus qu’un solo, il s’agit en fait d’un duo entre le danseur et le-la violoncelliste, présent en scène pour jouer les Suites pour violoncelle de Bach. Hommage à la danse académique qui se décale et où l’humour n’est jamais très loin, c’est un condensé de la danse de Jerome Robbins, presque une oeuvre testament. Il faut du temps pour un interprète pour s’imprégner pleinement de ces 15 minutes de danse. Mathias Heymann, qui y faisait sa prise de rôle, y montre beaucoup de promesses et le grand danseur qu’il est aujourd’hui. Tout n’est pas là, et c’est normal, mais l’on devine la grande interprétation que cela peut devenir. La première variation se cherche, la complicité a du mal à s’installer avec la violoncelliste qui prend un tempo étonnamment lent et reste un peu perdue dans sa partition. Mais la deuxième variation est un petit bijou, où Mathias Heymann peut y montrer toute sa musicalité et l’instinct de sa danse. Espérons là encore que l’Étoile puisse danser et redanser ce merveilleux solo, qu’il puisse le faire pleinement sien et y atteindre une sorte de plénitude qu’ont les grands interprètes qui l’ont beaucoup dansé. 

Afternoon of a Faun est peut-être le ballet du programme le plus connu du public parisien, régulièrement repris ces dernières années. Le ballet transpose L’Après-midi d’un Faune de Vaslav Nijinski dans une salle de danse. Le Faune est un danseur à l’échauffement, la Nymphe une danseuse qui se rejoint. Ils entament un duo, mais ne sont-ils pas chacun plus concentrés sur l’image que leur renvoie le miroir du studio ? Absent de la scène depuis plusieurs mois, Hugo Marchand y revient de façon magistrale. Tout est intense chez lui, tout est vibrant, tout est unique. Tout est toujours chargé d’émotion. Son Faune est hypnotisant, ambivalent entre la danseuse et le miroir, et plastiquement sculptural. Amandine Albisson est, comme souvent, dans une séduction acidulée, un peu ailleurs. Ce décalage entre les deux me gêne en général, mais cela va très bien à Afternoon of a Faun où le duo n’en est finalement pas vraiment un. Elle a comme son partenaire des lignes magnifiques qui se fondent naturellement bien dans la danse néo-classique de Jerome Robbins. Les deux apportent au ballet beaucoup de glamour indispensable à l’oeuvre, sans oublier une certaine tension sexuelle – implicite ici contrairement à la création de Vaslav Nijinski. 

Afternoon of a Faun de Jeromle Robbins – Amandine Albisson et Hugo Marchand

Glass Pieces, qui n’était plus dansé par le Ballet de l’Opéra de Paris depuis 14 ans, fait un merveilleux retour. Créé dans les années 1980, profondément moderne, le ballet plonge dans l’énergie et la jungle de New York, mettant en scène un mouvement de foule savamment orchestré, qui crée comme il se déploie pleinement dans le rythme infernal de la ville. Et au milieu, un duo sorti de nulle part, comme deux étranges créatures que l’on ne croise que dans la pénombre de la nuit new-yorkaise. Oeuvre avant tout collective, Glass Pieces demande une précision sans failles du groupe pour que le chaos reste savamment organisé. Si quelques petits réglages restaient nécessaires dans la première partie, le corps de ballet s’empare avec force de Glass Pieces, rendant hommage à toute sa modernité. L’on sent les danseuses et danseurs heureux de le danser, mais aussi heureux de le danser ensemble, d’être un groupe uni. Quelques Sujets privés jusque-là de visibilité, comme Héloïse Bourdon ou Fanny Gorse, trouvent un plein bonheur à quelques moments de solo, tout comme Axel Ibot qui fait son retour dans la troupe après un an de congé au L.A. Dance Projet, et avec une énergie décuplée. Dans le duo, Ludmila Pagliero y est hypnotique, en symbiose avec Stéphane Bullion très à l’aise dans ce registre. Ce pas de deux peut pourtant vite paraître longuet, il est a priori simple, sans effet de virtuosité. Tout tient dans la tension et le mystère entretenu, que Ludmila Pagliero sait distiller avec délice. Le final, où le groupe retrouve le centre, emporte tout. Une conclusion percutante pour une soirée globalement de haute tenue.

Première oblige, le programme s’était ouvert avec le Défilé du Ballet. Le public est resté plutôt sage (disons même assez froid). Dorothée Gilbert chez les femmes a été la plus vivement saluée. Chez les hommes, François Alu a été accueilli comme une star et tant pis pour le grade. Pour les Étoiles, Hugo Marchand et Mathias Heymann ont été des plus chaleureusement applaudis. Mais c’est bien sûr Karl Paquette, qui faisait là son dernier Défilé, qui a tout raflé à l’applaudimètre. Ses adieux sont fixés au 31 décembre. 

Glass Pieces de Jerome Robbins – Cyril Chokroun, Thomas Docquir, Antonio Conforti, Matthieu Botto, Florent Melac et Julien Meyzindi

 

Hommage à Jerome Robbins par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier, précédé par le Défilé du Ballet. Fancy Free de Jerome Robbins, avec Stéphane Bullion, Karl Paquette et François Alu (les trois marins), Eleonore Abbagnato, Alice Renavand et Aurélia Bellet (les trois femmes) ; A Suite of dances de Jerome Robbins, avec Mathias Heymann et Sonia Wieder-Atherton (violoncelle) ; Afternoon of a Faun de Jerome Robbins, avec Amandine Albisson (la Nymphe) et Hugo Marchand (le Faune) ; Glass Pieces de Jerome Robbins, avec Ludmila Pagliero et Stéphane Bullion, Héloïse Bourdon et Axel Ibot, Roxane Stojanov et Fabien Révillion, Fanny Gorse et Florimond Lorieux. Lundi 29 octobre 2018. À voir jusqu’au 14 novembre

 



Commentaires (5)

  • Cathy

    François Alu est décidément bien entouré dans Fancy free… Une étoile parmi d’autres ! Sa nomination ne serait que justice. Après le déni d’un Emmanuel Thibault, l’opéra ne peut commettre deux fois la même erreur.
    Possible nomination le 8, lors de la retransmission au cinéma ?

    Répondre
  • Cyril

    Une nomination pour un petit rôle dans une pièce d’une soirée? Je ne pense pas.

    Pendant le défilé, c’était terrible le silence pour Emilie Cozette. C’est à se demander si le public sait encore de qui il s’agit, tellement on ne la voit JA-MAIS (et on le regrette assez peu, il faut le dire).
    Absence de Mathieu Ganio? Où est-il?

    En les voyant défiler comme ça, on se rend compte de l’hétérogénéité des étoiles, en particulier chez les femmes. Difficile d’être aussi emballé par Baulac, Albisson ou Hecquet que par Gilbert, Ould-Braham et Pagliero.
    Surprise de revoir Abbagnato, dont on pouvait se demander si elle était encore comptée dans les effectifs.

    Mais pour moi la vraie surprise de la soirée a été la présence de Stéphane Bullion, qui a du danser à cette occasion plus que ces cinq dernières années réunies! Et c’était pas mal!

    Enfin, toujours un pouce en haut pour Alice Renavand, qui je trouve, est une éternelle bonne surprise qui se bonifie en dernière partie de carrière à l’Opéra!

    Répondre
  • baude

    Et pas de nomination en effet ! Je lis toujours avec beaucoup d’attention votre blog et ses commentaires. De ma province, je ne suis pas toujours au fait des coutumes internes à l’Opéra, et cela me permet d’en apprendre un peu plus. Merci pour cette mine d’informations, @ Amélie !
    @Cyril : Même constat pour Emilie Cozette, que j’ai peiné à reconnaître sur les photos. La jeune garde est moins aguerrie, mais je suis curieuse et impatiente de voir évoluer Eléonore Baulac, que je trouve particulièrement prometteuse.
    Je vous souhaite un week-end dansant !

    Répondre

Poster un commentaire