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Programme Plus Plus – Ballet de Lorraine

C’est la saison dernière que le Ballet de Lorraine a fêté ses 50 ans, mais les festivités continuent encore cette saison. Le premier programme de la troupe est ainsi à l’image de son répertoire, avec une pièce du grand Saburo Teshigawara, la reprise d’une oeuvre de son directeur Petter Jacobsson avec Thomas Caley et une création d’un chorégraphe moins connu des réseaux, Thomas Hauert. Résultat : le maître japonais domine par son génie chorégraphique qui ne cesse de surprendre, tandis que les deux pièces de groupe sont de qualité plus inégale. Leurs points communs cependant : la formidable virtuosité et la personnalité percutante en scène de chacun des interprètes du Ballet de Lorraine. 

Transparent Monster de Saburo Teshigawara – Ballet de Lorraine

À force de voir ses oeuvres si souvent données dans l’Hexagone, l’on croit connaître par coeur Saburo Teshigawara. Le chorégraphe japonais ne cesse pourtant de surprendre et d’étonner. Preuve en est encore avec ce trio Transparent Monster, entré au répertoire du Ballet de Lorraine en février dernier. Sont-ils anges ou démons ? Les trois danseurs sur scène sont un peu de tout ça, des êtres en tout cas surnaturels. Le premier et le troisième en scène sont en opposition, en rapport de force, en face-à-face même juste la fin de la pièce. Le premier est solaire, avec un travail du haut du corps hypnotique, comme dénoué de toute contrainte de colonne vertébrale. Le troisième est plus sombre, voulant peut-être prendre sa place. Au milieu, le deuxième apparaît avec une danse plus aérienne, moins nerveuse, faisant comme le lien entre les deux combattants, les rassemblant comme les séparant. L’espace est dessiné par la lumière, créée comme toujours par Saburo Teshigawara, qui semble comme délimiter les zones de combat. La danse virtuose des trois êtres en scène ne perd pas une miette en bavardage. Tout est percutant, incisif, et tient en haleine pendant 20 minutes où rien n’est là par hasard. Du grand art. 

Créée en 2017 sur mesure pour le Ballet de Lorraine (tous les interprètes sont en scène), Record of ancient things de Peter Jacobsson et Thomas Caley ne se perd pas forcément non plus en bavardage, mais la force créatrice est moins visible. Cela se sent, la pièce est pour la compagnie et les chorégraphes connaissent par coeur les qualités de leurs danseurs et danseuses. La première partie mise ainsi sur l’énergie du groupe, tout en offrant un espace à chacun et chacune avec une démonstration technique mâtinée de pas académiques. Le tout se fait en basket, qui apporte un rebond à n’importe quel grand jeté qui va bien à la troupe. La suite, qui mêle solos et duos avant de revenir au groupe, se pose plus dans une technique contemporaine. Il y a là un savoir-faire indéniable des chorégraphes pour monter une pièce qui tient 40 minutes sans lasser tout en mettant en avant ses interprètes. La scénographie est efficace, le jeu de lumière, jouant sur les trois ambiances théâtre/night-club/stade est admirable. Mais cela semble un peu comme la pièce de commande, la création qu’il faut fournir chaque année lorsque l’on dirige un CCN. Record of ancient things tient toutefois bien son rôle de pièce-signature, montrant à la fois la patte des chorégraphes comme de la troupe, sans toutefois qu’un fond, un propos percutant, la rende vraiment inoubliable. 

Record of ancient things de Peter Jacobsson et Thomas Caley – Ballet de Lorraine

La création Flot de Thomas Hauert joue aussi sur le groupe – et il faut le dire, le collectif du Ballet de Lorraine est enthousiasmant. Mais le chorégraphe a peut-être été un peu trop ambitieux dans son choix musical, à savoir la Suite de Valses de Serge Prokofiev. La musicalité du compositeur – sublime au demeurant – est parfois insaisissable pour la danse (oui, même dans ses partitions de ballet). Il faut jouer à la fois dans cette sorte d’académisme qu’est la valse et l’aspect profondément trasngressif de Prokofiev. Et Thomas Hauert n’y est pas forcément arrivé. Suite de Valses est composé de différentes valses de Prokofiev : les deux valses du ballet Cendrillon, d’autres tirées de son opéra Guerre et Paix et de la musique du film Lermontov. Pas de hasard, ce sont sur les deux valses spécialement créées pour la danse, qui ouvrent et ferment la pièce, que Thomas Hauert trouve la meilleure façon de poser sa danse sur la musique. Les autres sont plus problématiques. Le chorégraphe essaye de s’amuser avec la partition – il la découpe ou l’étouffe -, tente le duo comme le groupe. Mais sa danse reste comme coupée de la musique, son intention chorégraphique a ainsi du mal à s’installer. D’autant plus que Thomas Hauert a choisi un certain formalisme dans son découpage, avec chaque valse comme autant de numéros. C’est toutefois par l’ensemble qu’il se sauve – il a là encore compris le bel outil qu’était ce groupe de Lorraine – mais la musique est restée la plus envahissante. 

Flot de Thomas Hauert – Ballet de Lorraine

 

Programme Plus Plus par le Ballet de Lorraine à l’Opéra de Lorraine. Record of ancient things de Peter Jacobsson et Thomas Caley, avec Jonathan Archambault, Amandine Biancherin, Agnès Boulanger, Alexis Bourbeau, Pauline Colemard, Justin Cumine, Charles Dalerci, Inès Depauw, Flavien Esmieu, Angela Falk, Simon Feltz, Nathan Gracia, Tristan Ihne, Vivien Ingrams, Margaux Laurence, Valérie Ly-Cuong, Amélie Olivier, Elsa Raymond, Rémi Richaud, Willem-Jan Sas, Ligia Saldanha, Céline Schœfs et Luc Verbitzky ; Transparent Monster de Saburo Teshigawara, avec Justin Cumine, Nathan Gracia et Willem-Jan Sas ; Flot de Thomas Hauert, avec Jonathan Archambault, Amandine Biancherin, Agnès Boulanger, Alexis Bourbeau, Pauline Colemard, Justin Cumine, Charles Dalerci, Inès Depauw, Flavien Esmieu, Angela Falk, Simon Feltz, Nathan Gracia, Tristan Ihne, Margaux Laurence, Valérie Ly-Cuong, Amélie Olivier, Elsa Raymond, Rémi Richaud, Willem-Jan Sas, Ligia Saldanha, Céline Schœfs et Luc Verbitzky. Mercredi 14 novembre 2018. À voir jusqu’au dimanche 18 novembre
 

Commentaires (1)

  • Danseravecunechaussette

    Je trouve votre critique un peu trop hypocrite envers ce qui est connu et reconnu dans cette soirée. En effet, la pièce du célèbre chorégraphe japonais est à mon goût assez bâclée, épris d’une facilité arrogante de la part de son créateur, néanmoins les interprètes arrivent à porter la pièce en matière de professionnalisme et de qualité.
    En tout cas nos avis diffèrents, car pour moi, le temps fort de la soirée était sans hésitation la création de Thomas Hauert.
    Aussi je me permet de vous signaler une erreur dans votre article, la pièce de Petter Jacobsson et Thomas Caley a été créé en 2017 et non en 2007.

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