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Fúria de Lia Rodrigues – Les corps et le monde dans tous leurs états

Lia Rodrigues et sa compagnie ont débarqué dans un Paris en surchauffe  pour y présenter leur dernière création, Fúria, une œuvre majuscule qui résonne intensément comme un choc salutaire dans ces temps contrariés. Présenté au Théâtre de Chaillot, dont l’artiste brésilienne est artiste associée, le spectacle jouera les prolongations au 104 à Paris dans le cadre du Festival d’Automne. En 70 minutes, Lia Rodrigues déploie une chorégraphie qui serait comme  une métaphore du Brésil d’aujourd’hui, ou plus largement du monde tel qu’il est, dans une crise perpétuelle en proie à la furie.

Fúria -Lia Rodrigues

Tout débute pourtant en silence sur un plateau plongé dans le noir. Mais on perçoit au fond côté jardin un entrelacs de couvertures, de tissus, de bâches en plastique. Un bric-à-brac informe dont surgissent un à un les cinq danseuses et les quatre danseurs du spectacle. Lentement, ils s’érigent  pour débuter une marche au ralenti. Certains sont debout, d’autres sont allongés, tirés par le reste du groupe alors que dans le même mouvement, ce monceau de tissus et de guenilles prend forme. Pieds nus, baskets, talons : chacune et chacun se distinguent par son accoutrement. Cette marche qui fait le tour de la scène est proprement sidérante comme un carnaval baroque rythmé par les chants et les percussions répétitives de chants traditionnels et danses des Kanaks de Nouvelle-Calédonie dans un crescendo qui se prolonge. Les corps sont constamment manipulés, tordus, violentés,  souvent chosifiés et exhibés dans leur nudité. La deuxième séquence voit le groupe se reformer pour une danse collective affolée comme épileptique.

Lia Rodrigues ne pose pas de limites, ni d’interdits et montre même une courte scène de masturbation masculine. Il n’y a là rien de gratuit ou de volontairement provocant mais une revendication d’absolue liberté dans un monde qui tente en permanence de la museler. La chorégraphe brésilienne, qui a fait ses classes chez Maguy Marin dans les années 1980, partage ce propos éminemment politique, la vision d’un art qui ne peut pas être déconnecté du monde. Lia Rodrigues refuse pourtant d’être taxée d’artiste militante : “Je ne me reconnais pas dans ce mot trop lourd, trop connoté, explique-t-elle, je suis juste une simple citoyenne qui mène des actions concrètes avec une immense nécessité de partage ce qui pour moi est un besoin vital“. Cet engagement, qui s’est traduit par un travail artistique dans l’une des plus grandes favelas de Rio de Janeiro, transparait dans Fúria : non pas de manière didactique mais dans un récit poétique et onirique qui serait comme une parabole du passé et du présent du Brésil. La pauvreté extrême, le racisme endémique, la violence permanente, il y a tout cela dans Fúria.

Fúria – Lia Rodrigues

Ce n’est pas pour autant un spectacle pessimiste. À l’inverse, le titre même est une invitation à résister et  à combattre avec énergie. Fúria n’est pas un spectacle confortable. Comment ne pas se sentir mis en cause par cette révolte qui envahit la scène ? Dans une ultime séquence, un danseur dont la tête est entourée d’un immense tissu rouge sang qui lui couvre le visage se met à haranguer le public. Il finit par rejoindre la salle pour se joindre au public médusé. Lia Rodrigues signe avec Fúria un spectacle nécessaire qui donne des forces pour les jours sombres.   

Fúria – Lia Rodrigues

 

Fúria de Lia Rodrigues au Théâtre de Chaillot. Avec Clara Cavalcanti, Valentina Fittipaldi, Larissa Lima, Leonardo Nunes, Carolina Repetto, Andrey Silva, Karoll Silva, Felipe Vian et Ricardo Xavier. Mardi 4 décembre 2018. À voir au 104 à Paris du 12 au 15 décembre.

 

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